Les bénédictines de Sarnen: 400 ans de «rébellion féminine»
Le couvent Saint-André des bénédictines de Sarnen (OW) célèbre actuellement quatre siècles d’existence. Une exposition extraordinaire, ouverte depuis le 6 juin 2020, retrace l’histoire de la «rébellion» des religieuses.
Par Vera Rüttimann/ traduction et adaptation: Raphaël Zbinden
L’exposition extraordinaire «Ein Kloster im Gepäck» (Un monastère dans les bagages), à présent visible au Musée historique d’Obwald, fait partie du programme des festivités du jubilé des monastères bénédictins d’Engelberg (900 ans) et de Sarnen. La manifestation met l’accent sur l’an 1615, qui a vu sept religieuses quitter Engelberg pour Sarnen afin de fonder le monastère de Saint-André.
Une photographie grand format, exposée dans le musée obwaldien, présente le paysage hivernal qu’on dû voir les sept sœurs bénédictines quand elles ont marché le long du vieux chemin de la vallée d’Engelberg jusqu’à Grafenort. C’était le 18 février 1615. Elles ont probablement dû progresser dans la boue jusqu’à leur arrivée à Sarnen, tard dans la soirée.
Le double monastère comme pierre d’achoppement
Quelle était la raison de leur voyage? Depuis ce jour de 1615, Le monastère d’Engelberg est exclusivement masculin. Mais pendant presque 500 ans, il avait été «double», abritant également une congrégation féminine. Le couvent était en mauvais état et l’Abbé Jakob Benedikt Sigerist, dont le portrait grand format est aussi exposé dans le musée, voulait le fermer.
Les monastères doubles, explique Klara Spichtig, la directrice du musée, étaient vivement critiqués depuis le Concile de Trente (1545-1563). Il était demandé aux religieuses de se déplacer dans d’autres couvents. Mais celles de Sarnen se sont opposées à cela. Elles sont allées fonder leur propre couvent, à Sarnen, à une quarantaine de kilomètres d’Engelberg.
«Je suppose qu’elles n’avaient pas pris grand-chose avec elles», souligne Klara Spichtig. L’exposition présente des hypothèses sur ce que les sept religieuses ont pu avoir dans leurs bagages lors de leur pénible voyage à Sarnen.
A la fois une malédiction et une bénédiction
Sœur Rut-Maria Buschor, la prieure actuelle de Sarnen, observe dans une vitrine un coffret de chapelet du 17e siècle provenant du couvent de Sarnen, un cordon de prière du 16/17e siècle, un chapelet du 17e siècle et la reproduction en argile d’un biscuit tel qu’on en trouvait à l’époque.
Un cahier datant de l’époque où Frère Erasmus von Altmanshausen, du couvent de Saint-Gall, officiait comme prieur à Engelberg, est l’un des rares objets dont on est certain qu’il ait fait le voyage d’Engelberg à Sarnen, souligne Sœur Rut-Maria.
La décision de l’abbé Jakob Benedikt Sigerist d’abandonner le couvent d’Engelberg était probablement à la fois une malédiction et une bénédiction, estime la prieure. Même si cela a été très dur pour les religieuses, elles ont réussi à se développer correctement par la suite. Après l’inauguration du nouveau couvent à Sarnen en 1617, la communauté s’est agrandie. Vingt trois femmes y sont entrées au cours des 15 années suivantes.
L’essor commence avec Scholastica de Wyl, élue comme deuxième prieure à Sarnen en 1620, note la Soeur Rut-Maria devant la grande peinture à l’huile intitulée Tableau post-mortem de Scholastika von Wyl (1650). La religieuse du 17e siècle est représentée allongée sur son lit de mort dans sa robe noire, avec un voile noir doublé de blanc et un large foulard à col rabattu.
Guérir les blessures
Sœur Rut-Maria admet cependant qu’elle se sent plus proche d’autres religieuses fondatrices du couvent. Surtout les «forte têtes» qui ont fait preuve d’un grand esprit d’indépendance et qui, comme elle aujourd’hui, ont dû se battre sur plusieurs fronts. C’est le cas de Walburga Viol, qui avait été pendant cinq ans supérieure du couvent d’Engelberg (1596-1601) et qui a été la première prieure de Sarnen, en 1617. Walburga Viol avait été précédemment renvoyée du couvent d’Engelberg pour non respect du règlement interne. Elle était sortie de l’enceinte afin de mendier pour la préservation du couvent.
La prieure de Sarnen apprécie également Apollonia Funk de Constance, supérieure d’Engelberg de 1608 à 1615. Elle a démissionné de façon inopinée le matin du départ vers Sarnen. Avant cela, elle avait résisté avec succès aux plans de l’Abbé Sigerist pour fermer le couvent.
Quand la génération qui a vécu le déménagement d’Engelberg à Sarnen a disparu, les relations entre les deux monastères ont commencé à se détendre. Entre-temps, le contact entre les deux institutions ne se faisait pratiquement que par l’intermédiaire du nonce ou de l’évêque, remarque Sœur Rut-Maria. La prieure trouve fascinante la façon dont certaines blessures peuvent guérir avec le temps. Même si, aujourd’hui encore, on parle du couvent «d’en bas» pour celui des femmes, et «d’en haut» pour celui des hommes. (cath.ch/kath/vr/rz)