Leonardo Boff: «L'encyclique 'Laudato Si' va marquer son temps»
Sao Leopoldo, 27 juin 2015 (Apic) Leonardo Boff, l’un des pères de la théologie de la libération au Brésil et chef de file de la théologie de l’écologie, salue la force et les avancées de l’encyclique ‘Laudato Si’ du pape François.
Avant d’évoquer le contenu de l’encyclique, Leonardo Boff a souligné d’emblée, dans le cadre d’une interview au site jésuite brésilien Instituto Humanitas Unisinos (IHU), que, sur la forme, le pape a adopté une méthodologie qu’il avait déjà fait inclure dans le document de la Vème Conférence Générale de l’Episcopat d’Amérique latine et des Caraïbes d’Aparecida, au Brésil, en mai 2007: «Voir, juger, agir et célébrer». Pour le théologien, «cette méthodologie a l’avantage de partir de la base, des réalités concrètes, des défis réels et non de doctrines à partir desquelles sont établies des déductions, généralement abstraites et peu pertinentes».
Pour Leonardo Boff, la grande nouveauté de l’encyclique ‘Laudato Si’ est qu’elle assume «le nouveau paradigme contemporain selon lequel nous formons un grand tout, avec des réalités interconnectées, ayant une influence les unes sur les autres. Cela amène à passer outre la fragmentation des savoirs et confère au texte une grande unité». D’après le théologien, «le principal concept théologique contenu dans l’encyclique est de voir moins la nature que la Création. De fait, elle renvoie au Créateur et constitue l’expression d’un acte d’amour».
Responsabilité de la «maison commune»
L’un des motifs de satisfaction principaux de Leonardo Boff est cependant le fait que, dans ce document, François propose une approche du monde différente. «Le pape propose une vision évolutionniste de l’univers, où la singularité de l’homme lui confère une mission éthique et l’obligation d’assumer ses responsabilités à l’égard de la Création. Le pape voit le monde comme une maison commune, ce qui suggère un sentiment de familiarité».
«En cela, poursuit-il, il s’inspire de saint François pour rappeler la fraternité entre les hommes et les femmes, entre tous les êtres, mais aussi avec les éléments». Leonardo Boff y voit d’ailleurs une dimension poético-mystique et une vision positive du pape, qui tente de sauver ce qui existe de bon. «Mais il est également rigoureux dans la critique qu’il adresse aux agresseurs de la maison commune, lorsqu’ils évoque les millions de pauvres qui sont ignorés et lorsqu’il s’élève contre la culture de la consommation. Il propose une sobriété partagée».
«La technocratie éloigne l’être humain de la nature»
Leonardo Boff s’exprime ensuite sur la partie de l’encyclique qui évoque «la racine humaine de la crise écologique», dans laquelle le pape explique que la crise est la «conséquence d’un anthropocentrisme moderne et attire l’attention sur les méfaits du relativisme». Le théologien estime que, pour le pape, «la racine de la crise écologique vient de la technocratie, d’une espèce de dictature de la technique avec la prétention de résoudre tous les problèmes écologiques». Le théologien s’associe à la position du Saint-Père lorsque ce dernier «critique cette vision car cette dernière isole les êtres alors qu’ils sont tous étroitement liés. Et à vouloir les dissocier, poursuit-il, cela peut engendrer plus de méfaits que de bienfaits. C’est pour cela qu’il parle d’anthropocentrisme, car la technocratie éloigne l’être humain de la nature. Pire, elle est l’arme de domination de l’être humain sur les autres et sur la nature».
«Cette fois-ci, il n’y aura pas d’arche de Noé!»
Particulièrement sensible, depuis très longtemps, à la relation entre écologie et pauvreté, Leonardo Boff a évidemment réagi au thème du lien entre la dégradation de l’environnement et l’exclusion -pauvres, personnes âgées, victimes de la financiarisation de la vie- toujours très présent dans les discours du pape François. Là encore, l’approche du Saint-Père d’une «Ecologie intégrale», où toutes les composantes sont interdépendantes, est, selon lui, pertinente. Le pape rappelle à juste titre qu’offenser la terre, c’est offenser l’être humain, qui, lui aussi, fait partie de la terre. En outre, «la voracité productiviste et consumériste produit deux injustices. L’une, écologique, dégrade les écosystèmes. L’autre, sociale, fait basculer dans la pauvreté des millions de personnes. Le pape dénonce donc à juste titre, cette connexion causale».
Enfin, concernant les suites qui seront données à cette encyclique, Leonardo Boff croit que le document va marquer son temps. «Je pense que les impacts de cette encyclique seront énormes, tant par l’amplitude du travail que par la perspective, nouvelle, d’une écologie intégrale, valable pour l’ensemble de la planète, pour ses habitants et pour tous les êtres qui la peuple». Un espoir autant qu’une nécessité pour Leonardo Boff. «Car cette fois-ci, nous ne disposons pas d’une arche de Noé, qui pourrait sauver seulement quelques-uns. Cette fois-ci, il faut que nous puissions tous nous sauver.» (apic/jcg/rz)