L’Egypte face à une démographie galopante et au manque de ressources
47 % des femmes enceintes et quasiment autant d’enfants souffrent d’anémie en Egypte, selon une récente étude de l’UNICEF sur la santé familiale dans ce pays qui approche les 115 millions d’habitants, dont plus de la moitié vit sous le seuil de pauvreté. L’Egyptienne Dina Raouf Khalil Fahmy témoignera de cette réalité lors de l’Assemblée générale de l’Association suisse de Terre Sainte le 8 septembre 2024 à Schaffhouse.
Jacques Berset, pour cath.ch
La grande majorité de la population égyptienne souffre, confie Dina Fahmy à cath.ch, en particulier depuis l’éclatement de la guerre en Ukraine, de la hausse vertigineuse de son alimentation de base. Le prix du pain subsidié et obtenu sur la base de cartes de rationnement, attribué à près de 80% de la population, a quadruplé, passant de 5 piastres à 20 piastres.
Directrice adjointe et responsable de la collecte et des relations extérieures de l’Association de Haute Egypte pour l’Éducation et le Développement (AUEED/AHEED), Dina Fahmy souligne que son organisation a été fondée en 1940 à l’initiative du Père jésuite Henry Ayrout pour fournir une éducation aux familles paysannes dans les zones rurales de Haute-Egypte. Statutairement, elle ne s’occupe pas des réfugiés, mais des populations pauvres des régions rurales, d’autant plus que ces derniers se trouvent essentiellement dans les villes, en Haute-Egypte les réfugiés soudanais se trouvent à Assouan et un peu à Louxor.
Plus de la moitié de la population sous le seuil de pauvreté
Plus de la moitié de la population égyptienne vit sous le seuil de pauvreté, et encore davantage dans les villages agricoles de Haute-Egypte, où les familles très traditionnelles comptent au moins six enfants, contre tout au plus deux dans les grandes villes. La population égyptienne compte actuellement 2,2, millions de naissance par année, ce qui pose pour les familles des problèmes de logement – dans les villages, plusieurs familles s’entassent dans une seule maison – mais également de graves problèmes de ressources, en nourriture, en eau…
Si le quelque 10 millions de réfugiés – en grande majorité des Syriens et des Soudanais qui ne vivent pas dans des camps, mais sont dispersés dans les villes où ils exercent des activités dans le domaine de la restauration, de l’alimentation, des soins et des services – sont plutôt bien acceptés, ils suscitent cependant des tensions, car ils concurrencent souvent les locaux sur le marché du travail. «Parfois les gens ont peur des Syriens, parce qu’ils sont très entreprenants…»
L’économie frappée de plein fouet par la guerre à Gaza
La première source de revenus est l’argent versé par les 6 ou 7 millions d’Egyptiens travaillant essentiellement en Arabie saoudite, au Qatar, au Koweit et dans les Emirats arabes. La deuxième source est le tourisme qui se remettait péniblement du COVID, mais qui souffre désormais des conséquences de la guerre à Gaza, et la troisième sont les revenus du canal de Suez qui ont baissé de près d’un quart par rapport à l’année précédente suite aux répercussions de la crise en mer Rouge. Le constat global est donc sombre.
Aujourd’hui, l’AUEED travaille avec la population dans plus de 500 villages de Haute-Égypte, en influençant positivement leur vie par des mesures d’éducation et de développement, assure cette chrétienne copte orthodoxe qui a un important bagage académique et une longue expérience professionnelle et de développement communautaire. (voir encadré).
Des «écoles parallèles»
L’Association a été la première à lancer le concept d’«écoles parallèles», qui développe un programme d’éducation non formelle en accueillant des élèves en décrochage scolaire ou qui n’ont jamais été à l’école. Le programme, qui s’adresse principalement aux filles et aux femmes, en leur donnant des outils leur permettant de développer leurs compétences et leur assurance. «Nous avons 16 ‘écoles parallèles’ avec 1400 élèves, et sur le même principe des jardins d’enfants ›non formels’ ainsi que des ›écoles de santé’ pour les familles, où l’on enseigne les règles d’hygiène et la nutrition».
«On ne choisit pas les élèves, mais on encourage la scolarisation des filles, des enfants de familles pauvres. Dans certains villages, notre école est la seule institution scolaire. Dans certains villages, près du tiers des élèves sont musulmans».
Dina Fahmy se réjouit que son Association ait de très bonnes relations au niveau local avec les voisins musulmans. Lors du renversement du président Mohamed Morsi, issu des rangs des Frères musulmans, dès le 14 août 2013, dans tout le pays, des dizaines d’églises de toutes les confessions, des écoles, des dispensaires, des magasins, des pharmacies et des immeubles appartenant à la minorité chrétienne étaient pillés et incendiés.
«Des voisins musulmans ont protégé nos écoles»
«Mais les musulmans qui n’appartenaient pas à la mouvance des Frères musulmans étaient aussi menacés, qualifiés de ‘mécréants’, accusés d’être des ‘non musulmans’. Le 14 août, on a assisté à une vague d’agressions très planifiée, mais nos écoles n’ont pas été touchées, certaines d’entre elles ont été protégées par les voisins musulmans…»
Pour les chrétiens, la situation s’est depuis améliorée du point de vue sécuritaire. «Notre situation sécuritaire est meilleure que sous Hosni Moubarak (président de 1981 à 2011) et Mohamed Morsi (président de 2012 à 2013), car il n’y a plus d’opposition ouverte… mais nous devons faire face à une très forte hausse du coût de la vie, à une inflation galopante et à la dévaluation de la livre égyptienne. La pauvreté a fortement augmenté, la classe moyenne est aussi très touchée». Et de conclure que survivre est un défi de tous les jours pour une majorité des Egyptiens. (cath.ch/jbe/bh)
Dina Fahmy
Dina Fahmy, qui travaille depuis 2003 pour l’AUEED a notamment un diplôme de la Faculté de technologie de l’Université du Caire obtenu en 1987 et un master en anthropologie appliquée et développement participatif à l’Australian National University (ANU) de Canberra, en Australie. Sa formation lui a permis d’étudier en profondeur les questions de participation des communautés, l’anthropologie et les questions de genre. Elle a été aussi active plus d’une décennie dans le développement communautaire au bureau égyptien de l’Institute of Cultural Affairs (ICA), une organisation internationale non gouvernementale de développement dont le siège est à Bruxelles. JB
L’AUEED
L’AUEED, la plus importante ONG pour l’éducation dans le secteur privé et dont les écoles sont reconnues par le gouvernement, a en charge 35 écoles avec 12’800 élèves, en majorité des chrétiens de diverses confessions. Elles se trouvent dans les gouvernorats de Sohag, Assiout, Minya et de Qena. L’Association a également une école au Caire. Elle emploie dans ce secteur environ un millier d’enseignants, d’administrateurs et autres employés. En plus de 80 ans, des milliers d’élèves ont pu poursuivre leurs études, ont été diplômés et occupent des fonctions de cadres en Egypte et à l’étranger». JB
> Assemblée générale ordinaire de l’Association suisse du Terre Sainte le dimanche 8 septembre 2024, 11h00 – 12h30 au centre paroissial St. Maria, Promenadestrasse 23, 8200 Schaffhouse.