«L'Eglise doit accompagner les homosexuels de Madagascar»
A Madagascar, les homosexuels ne sont pas persécutés ni discriminés mais pas non plus acceptés. Le prêtre catholique Séraphin Handriniaina, auteur d’une récente thèse sur la question, souhaite que l’Eglise accueille et accompagne davantage ces personnes qui s’affirment de plus en plus dans la société malgache.
La communauté homosexuelle est de plus en plus visible à Madagascar. Face à ce constat, Séraphin Handriniaina, responsable de la formation permanente des prêtres à Madagascar et docteur en théologie de l’Université de Fribourg, a commencé à s’intéresser, il y a plus de dix ans, à l’approche pastorale de ces personnes. Il a enquêté sur le sujet pendant plusieurs mois, dans tout le pays. Ses découvertes et réflexions ont débouché sur une thèse défendue à l’Université de Fribourg et la publication en 2019 du livre Homosexualité à Madagascar, en parler à l’Eglise?, (aux éditions L’Harmattan). cath.ch l’a rencontré lors de son séjour à Fribourg mi-avril 2019.
Comment est perçue l’homosexualité à Madagascar?
Séraphin Handriniaina: L’homosexualité, comme la sexualité en général, est un sujet tabou dans le pays. Ceci vient principalement du fait que, dans la société malgache traditionnelle, la fécondité et l’unité sociale sont des valeurs fondamentales. L’homosexualité est vue comme un facteur perturbateur pour ces deux piliers.
Le fait que la foi catholique, qui regroupe le quart de la population malgache, soit réticente face à ce phénomène, est un autre élément qui joue contre ces personnes.
Comment cela se manifeste-t-il?
Il n’y a pas de persécution ou même de réelle discrimination envers les homosexuels à Madagascar. Il n’y a pas de criminalisation au niveau de la loi. On ne peut pas dire non plus que les homosexuels sont vraiment exclus. Je dirais plutôt qu’ils ne sont pas acceptés, qu’ils sont niés. Ils vivent ainsi la plupart du temps leur sexualité en cachette. Dans certaines parties de Madagascar, il est très mal vu que les hommes ne soient pas mariés et n’aient pas de descendance. Alors, les homosexuels se marient et ont des enfants. Mais ce sont surtout les femmes qui en souffrent. Parce que leurs maris mènent une double vie.
«Il s’agit de garder en tête que les homosexuels sont des enfants de Dieu»
Les homosexuels sont souvent mis à l’écart dans leur famille, pour laquelle il s’agit d’une honte. Et comme les liens familiaux sont très forts et très importants dans le pays, être exclu de sa famille équivaut à être exclu de la société.
Comment avez-vous constaté la réalité homosexuelle dans l’île?
La première fois c’était en 2007. Un groupe homosexuel avait organisé un spectacle public à Antananarivo, la capitale. Je me suis rendu compte que l’homosexualité était de plus en plus revendiquée, et que l’Eglise ne réagissait pas du tout face à cela. Je me suis donc sérieusement penché sur ce phénomène. J’ai mené mon enquête pendant trois mois, dans plusieurs régions du pays. Pour essayer de voir ce que vivent les homosexuels, ce qu’ils veulent et comment l’Eglise doit aborder le sujet.
Comment la société et l’Eglise réagissent face à l’affirmation de l’homosexualité?
Le sujet est de plus en plus discuté dans les médias et les réseaux sociaux. Mais dans la société en général, cela reste tabou. Dans l’Eglise également, il existe un réflexe de déni, principalement parce qu’on ne sait pas comment réagir, on ne sait pas que dire. Alors que la problématique est de plus en plus présente. Mon livre est ainsi principalement destiné à esquisser des pistes en ce sens, à ouvrir le dialogue. Il faut briser le cercle vicieux qui fait que la communauté homosexuelle et l’Eglise s’ignorent réciproquement, principalement parce qu’elles ont peur l’une de l’autre.
Que faire concrètement pour y arriver?
Je n’ai pas de formule toute faite. Mais il faut dans un premier temps sortir du déni et accepter cette réalité. Il n’y a pas besoin non plus de créer une pastorale particulière pour les homosexuels. Mais il faut par contre leur porter une attention pastorale spéciale, comme l’Eglise le fait avec toutes les personnes vulnérables.
Surtout, il s’agit de garder en tête que les homosexuels sont des enfants de Dieu, comme nous tous, créés à Son image. Les rejeter serait une erreur. L’autre erreur serait de mettre de côté l’enseignement chrétien afin de ne pas les heurter. Il faut trouver une juste mesure dans l’accueil et l’accompagnement de ces personnes. En cela, l’exhortation Amoris laetitia donne de très bonnes pistes de prise en charge pastorale. Regarder la personne et l’accueillir telle qu’elle est, sans la juger, mais en essayant de la guider vers l’idéal chrétien en matière de sexualité. Tout en étant conscient que tout le monde ne peut pas atteindre cet idéal.
Que pensez-vous de la criminalisation de l’homosexualité qui existe encore dans certains pays?
Au nom de ma foi chrétienne, je ne peux pas accepter cela. Personne ne devrait être jugé ou condamné pour son orientation sexuelle. A mon avis, personne ne choisit de devenir homosexuel. Même si des pratiques homosexuelles se déroulent parfois dans des démarches de débauche, ce qui est selon moi dommageable.
Souhaiteriez-vous que Madagascar suive une partie de l’Occident dans l’affirmation des droits homosexuels, avec par exemple le mariage gay ou l’adoption d’enfants par un couple de même sexe?
Je ne crois pas que les situations en Europe ou aux Etats-Unis puissent se transposer à Madagascar, parce que le contexte et l’histoire sont différents. Je ne pense pas non plus que les homosexuels du pays veuillent revendiquer le droit de se marier, en tout cas pas dans l’immédiat. Ce qu’ils veulent avant tout, c’est que l’on accepte leur existence.
Moi, je ne veux faire aucune provocation ni revendication, mais une interpellation et une anticipation des défis qui attendent l’Eglise dans mon pays. (cath.ch/rz)