L’Église au Pérou déplore une «amnistie» des crimes contre l’humanité
Le 9 août 2024, le parlement péruvien a promulgué une loi prescrivant les crimes contre l’humanité commis avant 2002. Les évêques du pays regrettent cette mesure dont le véritable but serait de protéger des responsables politiques accusés d’avoir ordonné des exactions pendant la guerre civile.
Le texte adopté par le législatif péruvien met de facto un terme aux centaines d’enquêtes en cours sur les crimes présumés commis pendant le conflit civil, qui a fait quelque 69’000 morts et 21’000 disparus entre 1980 et 2000, rapporte Vatican News. Selon la nouvelle loi, «nul ne peut être poursuivi, condamné ou puni pour crime contre l’humanité ou crime de guerre pour des actes commis avant le 1er juillet 2002», date d’entrée en vigueur au Pérou du Statut de Rome, traité fondateur de la Cour pénale internationale qui stipule que les crimes les plus graves sont imprescriptibles.
Une loi pour protéger Alberto Fujimori?
La guerre civile au Pérou a été marquée par de violents affrontements entre le gouvernement péruvien et divers groupes d’insurgés d’extrême gauche, principalement le Sentier lumineux (Sendero Luminoso) et le Mouvement révolutionnaire Túpac Amaru (MRTA). Élu président en 1990, Alberto Fujimori a lancé une campagne anti-insurrectionnelle sévère, avec notamment la mise en place d’escadrons de la mort. Durant les 20 ans de conflit, les deux parties ont commis des violations massives des droits de l’homme, notamment des massacres, des disparitions forcées et des actes de torture.
«La nouvelle loi cause un préjudice irréparable aux victimes de la violence» – Conférence épiscopale péruvienne
La nouvelle loi devrait ainsi bénéficier à Alberto Fujimori. Âgé aujourd’hui de 86 ans, l’ancien président a été condamné en 2009 à 25 ans de prison pour avoir commandité deux massacres perpétrés en 1991 et 1992 par des escadrons de la mort. Il a été libéré en décembre 2023 par la Cour constitutionnelle pour raisons de santé.
Une procédure est toutefois encore en cours contre lui pour l’assassinat, en 1992, par l’armée, de six paysans soupçonnés d’avoir des liens avec la guérilla maoïste du Sentier lumineux. La nouvelle loi «d’amnistie», entrée en vigueur le 10 août 2024, a été promulguée par un parlement largement dominé par les partis de droite sous la houlette de la formation Fuerza Popular, dirigée par Keiko Fujimori, la fille de l’ancien président. Cette dernière a toujours milité pour la reconnaissance de l’héritage de son père et sa réhabilitation publique.
Recul de l’État de droit
Des personnalités d’Église au Pérou s’insurgent depuis longtemps contre l’impunité dont bénéficient des responsables politiques accusés de crimes contre l’humanité, et notamment Alberto Fujimori. Suite à la nouvelle loi, le Conseil permanent de la Conférence épiscopale a ainsi regretté publiquement que «le respect de la vie et la défense de la justice soient sacrifiés». Les évêques demandant qu’une véritable justice soit mise en place.
La nouvelle loi cause «un préjudice irréparable aux victimes de la violence, aux familles touchées et à tous ceux qui attendent de nos autorités qu’elles œuvrent pour le bien commun, en particulier pour les plus vulnérables, au sein d’un État régi par l’État de droit», ajoutent les prélats.
Pour l’Église péruvienne, le pays ne peut contredire ou s’écarter des traités internationaux relatifs aux droits de l’homme qu’il a signés et ratifiés. Le Haut-Commissaire aux droits de l’homme de l’ONU, Volker Türk, a aussi fait part de ses profonds regrets quant à la nouvelle législation, déplorant que le Pérou contrevienne aux obligations du pays en vertu du droit international et «constitue une évolution troublante dans le contexte d’un recul plus large des droits humains et de l’État de droit». (cath.ch/vaticannews/ag/arch/rz)