Le Valais s'interroge sur le suicide assisté
Faut-il faire entrer l’aide au suicide dans les EMS et hôpitaux du Valais? Les partisans du ‘oui’ à cette question ont organisé, le 16 février 2016 à Martigny, une conférence destinée à appuyer leur démarche. Le prêtre et écrivain catholique belge Gabriel Ringlet, le Conseiller d’Etat vaudois Pierre-Yves Maillard et le directeur d’EXIT Jérôme Sobel ont présenté leurs réflexions à ce sujet.
Dans une manifestation clairement orientée en faveur de la motion demandant au Conseil d’Etat de modifier la loi sur la santé pour permettre de réglementer l’aide au suicide dans les établissements de soins valaisans, les trois personnalités invitées se sont exprimées avec des avis nuancés.
Les consignes de respect et de retenue émises au début de l’événement ont été appliquées, malgré la délicatesse du sujet, signe d’un débat somme toute serein, dans le canton. La force des applaudissements des près de 200 personnes présentes témoignaient plutôt en faveur d’une adhésion aux thèses des intervenants.
Le nombre de chaises supplémentaires que les organisateurs ont dû mettre à disposition témoigne de l’intérêt des Valaisans pour la question du suicide assisté. La salle communale de Martigny était ainsi comble pour accueillir les trois orateurs de la soirée.
Considérer les «impasses» de vie
Pour l’abbé Gabriel Ringlet, auteur d’un livre récemment publié sur le suicide assisté, cet acte fatal est une «solution ultime», à n’exercer qu’en dernier recours, lorsque toutes les autres possibilités ont été exclues. Longtemps aumônier d’hôpital et confronté dans sa vie de prêtre à de nombreux cas de conscience liés à des situations de souffrances et d’agonies, il ne s’estime pas «pour ou contre» l’euthanasie, mais considère que les personnes peuvent se retrouver dans «des impasses» de vie, dans lesquelles le fait de se donner la mort devient compréhensible. Il a décrit à l’assistance martigneraine son expérience d’accompagnement, y compris rituel, pour des personnes qui cheminent vers le suicide assisté, une pratique aussi légale en Belgique.
L’abbé a notamment raconté son expérience avec une sœur carmélite atteinte d’une très grave et douloureuse ostéoporose, une histoire qui a beaucoup touché l’assistance. Alors que la religieuse lui avait exprimé son désir de recourir au suicide, elle refusait en même temps d’en parler à sa hiérarchie, de peur de se faire condamner. Signe que la pression religieuse peut s’exercer contre la volonté d’une personne. La sœur carmélite s’est finalement éteinte de façon naturelle.
La sédation, une «euthanasie déguisée»?
Le Père Ringlet a ainsi admis être en porte-à-faux, sur cette question, avec beaucoup de responsables catholiques. Pour étayer son point de vue, il a pris à témoin une récente déclaration de la Conférence des évêques de France (CEF) sur la fin de vie. Le texte expose un certain nombre de principes majeurs liés à cette question, tels que la nécessité de renforcer la solidarité familiale et sociale, ainsi que les soins palliatifs. Dans ce texte publié en janvier 2015, les prélats français rappellent également leur opposition à tout acte visant à tuer ou à se tuer, tout en préconisant comme solution la sédation.
Si Gabriel Ringlet souscrit complètement aux premiers principes prononcés par les évêques, il s’oppose cependant au dernier. Il qualifie ainsi la sédation d’»euthanasie déguisée», en affirmant que les doses médicamenteuses utilisées dans ces interventions le sont pour provoquer la mort du patient en fin de vie. L’abbé belge, qui est également journaliste, a en outre affirmé qu’une telle pratique rendait impossible toute préparation à la mort, tout accompagnement, notamment rituel et de la part des proches. Des aspects que le processus d’aide au suicide rend au contraire accessibles. Ces deux points ont néanmoins été contestés, à l’heure des questions, par des personnes de l’assistance travaillant dans les soins palliatifs. Elles ont assuré que, en tout cas en Suisse, la sédation n’était pas utilisée pour provoquer le décès du patient et que cette pratique faisait l’objet d’un accompagnement en bonne et due forme.
Finalement, le Père Ringlet a estimé que si le suicide assisté devait effectivement avoir lieu, il était important qu’il puisse se réaliser dans le lieu où la personne a effectué son cheminement vers la mort, en particulier dans les structures de soins palliatifs.
Il a insisté une dernière fois sur le fait que l’euthanasie restait malgré tout une «souffrance» et une «transgression fondamentale», mais sur laquelle personne ne pouvait porter de jugement.
Eviter le «purgatoire» sur terre?
Le discours a été sans surprise moins nuancé de la part du docteur Jérôme Sobel, directeur d’EXIT, la principale association d’aide au suicide de Suisse, qui s’est efforcé de justifier son activité. Il a longuement présenté les principes de fonctionnement de l’organisation, en particulier les critères censés légitimer ce genre d’interventions. Il a notamment indiqué que ces critères n’impliquaient pas forcément la présence d’une maladie incurable. Le médecin a ainsi inclus les souffrances psychologiques «insupportables» dans le catalogue des circonstances pouvant justifier le choix de se donner la mort. Il a insisté sur le fait que l’on ne pouvait pas laisser des personnes vivre «un purgatoire» sur terre.
Il a enfin soutenu l’idée d’une loi permettant le suicide assisté à l’intérieur des instituts de santé, en expliquant qu’il était souvent malaisé et douloureux pour les personnes de se déplacer pour effectuer le geste fatal.
Point de vue vaudois
Pierre-Yves Maillard a, de son côté, présenté les circonstances dans lesquelles le canton de Vaud a légiféré, il y a quelques années, sur l’aide au suicide dans les maisons de retraite et hôpitaux. Il s’agissait d’un contre-projet du gouvernement cantonal face à l’initiative populaire lancée en 2012 par EXIT intitulée «Assistance au suicide en EMS».
Soulignant la complexité de la question, le conseiller d’Etat responsable du département de la Santé a admis que son avis avait été longtemps partagé. Son principal souci ayant été d’empêcher les risques de dérives et de faire la part des choses entre la liberté de la personne requérante et la considération du personnel soignant.
La question n’était pas d’être pour ou contre le suicide assisté, a-t-il précisé, mais de savoir si l’on pouvait considérer les instituts sanitaires comme des «lieux de vie» des patients, rendant ainsi légitime leur demande de réaliser leur suicide dans les murs de l’établissement. Une solution de compromis a finalement été trouvée, en déterminant que ces instituts étaient à la fois des lieux de vie et des lieux de soins. La loi, entrée en vigueur en janvier 2013, tout en permettant de recourir à l’assistance au suicide à l’intérieur des établissements, fixe à cette pratique un cadre strict. Elle protège notamment d’une prise de décision précipitée en instaurant un accompagnement et une procédure garantissant que la demande d’assistance au suicide correspond bien à la volonté libre et réfléchie du résident ou du patient. La législation préserve, selon l’élu, également le personnel de santé en lui interdisant d’être impliqué dans la procédure. Le conseiller d’Etat s’est finalement réjoui de cette loi, qui a établi une nouvelle «clarté» et un climat de «paix» face à cette problématique. Le politicien a également assuré que la nouvelle législation n’avait pas provoqué d’opposition majeure du côté des établissements de soin et qu’elle n’avait pas non plus abouti à une augmentation des requêtes de suicide assisté.
Encadré 1
Une conférence unilatérale
Le caractère orienté de la conférence de Martigny a soulevé des critiques. Le prêtre catholique valaisan Michel Salamolard estime, en particulier, «plus que discutable» d’avoir proposé une conférence qui exclut la possibilité offerte aux participants de choisir leur opinion, à cause d’une présentation partielle des arguments, sans laisser de place aux idées contraires. Lui-même a décidé de ne pas assister à l’événement, après un échange de mail avec son organisatrice, la politicienne valaisanne Sylvie Masserey Anselin (PLR), députée suppléante au Grand Conseil. Il motive son absence par la volonté de l’organisatrice d’exclure tout débat, de faire ainsi une propagande unilatérale et de ne donner la parole à aucun Valaisan, alors qu’il s’agit justement d’un problème posé en Valais.
Michel Salamolard ne critique pas le dépôt d’une motion par le groupe libéral-radical, cela est conforme aux principes de la démocratie. Il est par contre déçu par les modalités de la conférence du 16 février. Le fait de n’avoir invité comme intervenants que des personnalités extérieures au Valais, et d’avoir sélectionné deux «promoteurs de l’aide au suicide imposé dans les EMS», Jérôme Sobel et Pierre-Yves Maillard, le laisse plus que perplexe.
Même s’il juge que les réflexions pastorales de Gabriel Ringlet méritent d’être approfondies, «en Eglise pas en politique», il souligne que ce dernier ignore le contexte suisse et valaisan, la législation et l’état de la discussion politique dans le pays. Il se demande si l’écrivain belge n’est pas tombé dans un «piège», tendu plus ou moins consciemment par les organisateurs en quête d’une caution morale. Canton «catholique» oblige! L’évêque de Sion aurait été un choix bien plus pertinent, selon l’abbé.
Fissures dans le barrage
Michel Salamolard attire l’attention sur le risque inhérent à toute banalisation de l’incitation et de l’aide au suicide, toutes deux autorisées par le code pénal, sauf «mobile égoïste». Plus grave, imposer les interventions d’EXIT au sein des EMS, au nom de la liberté individuelle de quelques personnes, revient, selon lui, à nier la liberté de beaucoup d’autres: les résidents des EMS, qui se verraient contraints d’accepter que des suicides assistés soient pratiqués sous leur toit, le personnel, «dévoué corps et âme aux pensionnaires et leur garantissant une fin de vie aussi confortable et supportable que possible, dans la dignité, le respect et l’affection». Michel Salamolard relève que, si une «solution vaudoise» était acceptée en Valais, ces membres du personnel devraient aussi subir les aides au suicide d’EXIT, sur leur lieu de travail et d’engagement.
Le prêtre valaisan martèle que «toute fissure dans le barrage interdisant de tuer ou de se tuer ne cessera de s’élargir, jusqu’à la rupture de toutes les digues. En Belgique, on discute déjà d’autoriser l’euthanasie en cas de souffrance psychique, l’euthanasie pour les enfants souffrant de maladie incurable».
En Suisse, constate-t-il, EXIT s’efforce déjà de promouvoir l’aide au suicide pour toute personne «fatiguée de vivre».
Les grands oubliés de cette discussion, selon Michel Salamolard, sont «les admirables soins palliatifs, à développer encore, ainsi que la solidarité sociale et nationale qui devrait s’orienter dans le sens d’aider à vivre, et non de pousser et d’aider à se suicider, en pensant à toute personne en souffrance ou en difficulté, quel que soit son âge et sa souffrance».
Encadré 2
Pas une apologie du suicide?
«Notre motion n’est pas une apologie de l’assistance au suicide. Loin de là», a affirmé dans le quotidien valaisan Le Nouvelliste Xavier Mottet, député et président du Parti Libéral Radical (PLR) valaisan. «Nous voulons simplement offrir la liberté à chaque Valaisan de sa vie et de sa mort», a ajouté le politicien à l’origine de la motion qui sera débattue au Grand Conseil à la session de mars. Le texte a été déposé avec cinq autres parlementaires du PLR, du Parti démocrate chrétien (PDC) et de l’Union démocratique du centre (UDC). Il demande en particulier que les malades valaisans bénéficient des mêmes droits que les patients vaudois.
Plusieurs Valaisans ont sollicité l’aide d’EXIT ces dernières années. En 2014, le canton a enregistré 13 décès consécutifs à un suicide assisté.
Fin 2015, 2’000 Valaisans étaient membres de l’association EXIT.
(cath.ch-apic/rz)