Le Temple d'Engollon, chef-d'oeuvre méconnu du patrimoine neuchâtelois
La simplicité extérieure de l’Eglise St-Pierre d’Engollon (NE) contraste avec sa richesse intérieure. Passé le seuil de la porte, le visiteur est plongé dans la beauté de ses fresques médiévales. Et revit en images l’histoire du salut.
Par Maurice Page
Situé avec son petit village au centre du Val-de-Ruz, St-Pierre d’Engollon est longtemps passé pour un modeste temple rural. Mais lorsque des peintures médiévales y furent mises au jour, lors d’une rénovation entreprise en 1923, il ne fit aucun doute que l’on avait fait une «grande découverte» qui vaut encore aujourd’hui le détour.
La vie de Jésus en images
Après avoir enjambé le ruisseau du Seyon, le promeneur grimpe un rapide raidillon et atteint le léger plateau où se trouve l’église St-Pierre entourée de son cimetière, d’un verger et d’un pré. Son clocher de style roman – qui date en fait du début du 19e siècle – lui donne l’allure trappue des temples campagnards.
Passé l’entrée, le regard du visiteur est immédiatement attiré vers la droite et le choeur voûté où se déroule le récit imagé de la vie du Christ, à l’instar d’une bande dessinée.
L’histoire débute par la nativité. Assise dans son lit, Marie, accompagnée de Joseph, porte l’Enfant nouveau-né. L’adoration des mages montre Marie assise tendant l’Enfant aux trois rois. Dans la présentation au temple, une figure présente Jésus à Siméon sur un autel, en présence de Marie. Enfin, le massacre des Innocents clôt le récit de la naissance du Christ, avec le cruel Hérode, assis sur un trône, qui donne l’ordre aux bourreaux d’exécuter les enfants nouveau-nés.
La narration se poursuit avec la représentation de la Cène, qui inaugure le récit de la Passion. Le cycle reprend avec la flagellation où l’on voit le Christ, debout et dénudé, fouetté par deux bourreaux. Dans la scène suivante, il est assis sur un trône, frappé de coups de bâtons et couronné d’épines. Conformément au récit évangélique, suit le portement de la croix avec l’aide de Simon de Cyrène, la crucifixion et la descente de croix. Le récit s’achève sur la résurrection montrant le Christ sortant du tombeau une bannière à la main.
Un décor typique des années 1400
Les peintres actifs à Engollon se révèlent, non pas «rustiques» et «sans culture», comme on les a qualifiés autrefois, mais bien comme des artistes-artisans dotés d’un indéniable savoir-faire, souligne l’historien de l’art Nicolas Schätti.
Engollon se rattache, à un type de décor d’église caractérisé par une structuration très simple, qui permet de multiplier les scènes pour créer un véritable récit en images. Dans le diocèse de Lausanne, dont dépendait Engollon, ce type de décor a surtout été en faveur dans les régions alémaniques, entre autres l’Oberland bernois.
Les lignes amples et souples des silhouettes d’Engollon évoquent les formes habituelles du gothique international, en vogue autour de 1400. Certains détails des costumes, notamment les vêtements ajustés au corps et les chausses s’effilant en pointe, situent les peintures au tournant du XVe siècle, précise Nicolas Schätti.
En levant la tête, le regard parvient sur l’image triomphante du Christ en Majesté qui se détache sur le fond bleu-gris du berceau de la voûte. Figuré dans une mandorle, le Christ tient un globe de la main gauche. A la hauteur de sa tête apparaissent le soleil et la lune. Aux angles figurent les quatre symboles ailés des évangélistes, identifiés par des banderoles.
Un lieu de sépulture seigneurial
Ces peintures témoignent de l’importance première d’Engollon comme lieu de culte et de sépulture seigneurial de la vallée, explique Jacques Bujard, conservateur cantonal des monuments et des sites de Neuchâtel.
Les dimensions et la qualité de ce décor ne s’expliqueraient pas si cette église du Val-de-Ruz n’avait été choisie par les nobles d’Aarberg comme lieu de sépulture. St-Pierre est en effet étroitement lié à la seigneurie de Valangin, dont le château domine les gorges du Seyon, quelques kilomètres en aval.
Le premier décor peint (presque entièrement disparu) est vraisemblablement contemporain de l’ensevelissement dans le choeur de Gérard d’Aarberg, seigneur de Valangin, tué à la bataille de Laupen qui opposa en 1339, les seigneurs de Neuchâtel, de Fribourg et du Jura aux Bernois et aux Waldtstätten.
En 1417, Jeanne de Beauffremont, puis Guillaume d’Arberg, son mari, en 1427, décidèrent de se faire ensevelir dans l’église. Guillaume ordonna alors de bâtir une chapelle au nord.
Avec la construction de la collégiale de Valangin, consacrée en 1505, la paroissiale d’Engollon perdra peu à peu sa prééminence. En 1531, Guillaume Farel y prêche la Réforme, adoptée peu après, et dès 1558, Engollon forme une paroisse réformée avec Fenin.
Lieu de culte depuis le Haut Moyen-Age
Le choeur actuel date du 13e siècle ou du début du 14e siècle. Les dernières fouilles ont cependant permis de mettre en évidence les traces des fondations d’un édifice antérieur, datant du Haut Moyen-Âge. Des travaux transformèrent ce temple aux 15e et 17e siècles, et au début du 19è siècle, avant les deux dernières campagnes de restauration de 1923-124 et 2005-2006. Les archéologues ont déterminé pas moins de dix états de construction successifs, relève Christian de Reynier, de la Conservation du Patrimoine. (cath.ch/mp)
Une restauration controversée
A la suite de sa mise au jour en 1923, l’ensemble pictural fut jugé trop fortement lacunaire. On confia alors à l’artiste-peintre Alfred Blailé, plus tard membre et président de la commission fédérale des beaux-Arts, la tâche de lui redonner sa cohérence, note l’historien de l’art, Nicolas Schätti. Pour augmenter au mieux la lisibilité des peintures, il restitua la trame ornementale et compléta les parties que l’on imaginait pouvoir restituer, en intervenant fortement dans la substance même de l’oeuvre médiévale.
A relever qu’à cette époque déjà, certains critiquèrent cette intervention jugée trop lourde. Vingt ans plus tard, la polémique rebondit: La restauration de 1923-24 est avant tout destinée aux paroissiens souhaitant un «ensemble harmonieux» en accord avec une certaine esthétique religieuse, et non pour les rares connaisseurs de la peinture du Moyen-Age qui passent dans leur village paisible», déplore Heribert Reiners, professeur d’histoire de l’art à l’Université de Fribourg.
La dernière campagne de restauration achevée en 2006 sera évidemment beaucoup plus soucieuse de la substance originale. Quoi qu’il en soit, l’enchantement des fresques médiévales continue d’opérer sur le visiteur. MP
Série d'été
Pendant l'été, les journalistes de cath.ch vous emmènent, chaque semaine à la découverte d'une oeuvre d'art, connue ou méconnue, qui orne un édifice religieux de Suisse romande. Leur histoire est souvent étonnante.