Le SAPEC demande à E. Baume-Schneider de créer un tribunal spécial
Dans une lettre ouverte publiée le 27 septembre 2023, le groupe SAPEC (soutien aux personnes abusées dans une situation d’autorité religieuse) interpelle la conseillère fédérale Elisabeth Baume-Schneider. L’association de victimes demande en particulier à la cheffe du Département de Justice et Police (DFJP) la mise en place de tribunaux judiciaires indépendants pour juger les ecclésiastiques.
«À situation exceptionnelle, solution exceptionnelle», explique la lettre du SAPEC. «La plupart des cas [d’abus sexuels par des prêtres, ndlr] qui sont et seront encore révélés sont prescrits par la justice civile, mais les auteurs qui sont encore en vie, continuent de célébrer la messe, ce qui est intolérable pour les victimes», regrette l’association. «Et certains évêques ferment les yeux», ajoute le texte.
Pour une instance juridique spéciale
Le SAPEC rappelle que, lors de la présentation des résultats de l’étude pilote sur l’histoire des abus sexuels dans l’Église suisse, le 12 septembre dernier à Zurich, «Mgr Bonnemain a émis à plusieurs reprises, sous le feu des questions des journalistes à ce sujet, le désir que soient instaurés des tribunaux judiciaires et disciplinaires, composés de professionnels en la matière, indépendants et externes». L’association de victimes assure souscrire à cette demande, «avec l’exigence qu’elle émane d’une instance fédérale, avec des enquêteurs et des juges laïcs compétents dans ce domaine complexe». «Aussi, nous vous demandons, à vous Madame la Conseillère fédérale, en tant que Cheffe du Département de Justice et Police, de mettre en œuvre rapidement une telle instance juridique», poursuit le SAPEC.
«La proposition vient surtout d’un groupe de victimes qui en a ras le bol que rien ne change»
Jacques Nuoffer, président du groupe SAPEC
Le groupe, principalement présent en Suisse romande, affirme avoir choisi d’interpeller Elisabeth Baume-Schneider suite à son intervention dans l’émission Forum de la RTS, du 12 septembre dernier. La cheffe du DFJP avait qualifié l’étude «d’inquiétante et alarmante», tout en y voyant «un pas significatif pour agir». Elle avait assuré faire «entièrement confiance au système judiciaire suisse pour répondre aux procédures qui auront lieu.»
Lenteurs et manque de transparence
«Nous avons pensé que la conseillère fédérale était la personne la mieux placée pour faire bouger les choses au plus haut niveau», commente à cath.ch Jacques Nuoffer. Le président du SAPEC admet toutefois que l’association n’a pas recherché les conseils d’un spécialiste en droit avant de rédiger la lettre ouverte. «La décision a émané de manière spontanée au sein du comité, face à la constatation des lenteurs, du manque de transparence et de la partialité flagrante qui règne encore au sein de l’Eglise.»
Jacques Nuoffer relève que les membres du groupe ne sont effectivement pas des experts dans le domaine du droit. Il avoue ne pas savoir selon quelle base juridique un tel tribunal «émanant d’une instance étatique» pourrait fonctionner.
Critique contre le Vatican
Le texte du SAPEC critique également la décision du Vatican de confier à Mgr Joseph Bonnemain, évêque de Coire, les enquêtes préliminaires touchant certains de ses collègues. Une procédure conforme au motu proprio Vos estis lux mundi, mais qui a suscité de nombreuses critiques en Suisse. «Nous sommes sidérés qu’un évêque suisse soit désigné pour enquêter sur ses confrères qu’il connaît et apprécie. Comment, dans cette configuration, être neutre et impartial?», déplore la lettre ouverte du SAPEC.
Création d’un tribunal pénal interdiocésain
Par ailleurs, la Conférence des évêques suisses (CES) a confirmé le 23 septembre le projet de création d’un tribunal ecclésial pénal et disciplinaire. «Les lois pénales suisses continuent bien évidemment à prévaloir et les autorités de poursuite pénale seront toujours sollicitées pour tous les cas d’abus ou autres délits commis en milieu ecclésial », précise la CES dans un communiqué. «Le tribunal ecclésiastique s’occupera des sanctions qui doivent être prises à l’encontre des membres du clergé en cas de violation d’une loi ecclésiastique», ajoutent les évêques.
Urs Brosi, secrétaire général de la Conférence centrale catholique romaine de Suisse (RKZ) estime qu’un tel tribunal ecclésiastique interdiocésain pourrait être composé en partie de laïcs. Une instance qui, pour lui, pourrait afficher une «distance» avec les autorités ecclésiastiques. Un tel tribunal ne pourrait cependant pas être complètement séparé de l’Eglise, étant donné qu’il serait chargé de faire appliquer le droit canonique, un code législatif interne à l’institution, dans lequel l’Etat n’a évidemment aucune compétence.
Une proposition plus symbolique que formelle
«La proposition faite à Mme Baume-Schneider est plus symbolique que formelle», admet Jacques Nuoffer pour cath.ch. «Elle vient surtout d’un groupe de victimes qui en a ras le bol que rien ne change! Nous voulons provoquer un sursaut, faire apparaître quels moyens peuvent exister pour s’occuper du problème, voir ce que Mme Baume-Schneider pourrait faire dans cette situation. La lettre est ainsi principalement destinée à faire bouger les parlementaires, à interpeller la responsabilité de l’Etat.»
Des propositions positives
Pour le président du SAPEC, certaines propositions ayant émané de l’Eglise ces derniers temps vont pourtant dans la bonne direction. Il note ainsi l’appel d’Urs Brosi, dans une interview à kath.ch (23 septembre), à Mgr Bonnemain de se faire assister, dans son enquête, par un expert externe à l’Eglise. «C’est quelque chose que j’avais déjà demandé personnellement à l’évêque, afin d’assurer au processus un minimum d’indépendance et de crédibilité», affirme le président du SAPEC. (cath.ch/com/arch/rz)
Le rapport du projet pilote sur l’histoire des abus sexuels dans l’Eglise suisse a permis de dénombrer, entre 1950 et 2022, 1’002 cas d’abus sexuels sur 921 victimes pour 510 auteurs. Selon les historiens, il ne pourrait s’agir là que de la partie émergée de l’iceberg. La faillite de l’institution et les négligences des évêques dans la gestion des abus sont pointées du doigt.