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Vatican

Le Saint-Siège proteste après la condamnation du cardinal Ouellet

La secrétairerie d’État a transmis à l’ambassade de France près le Saint-Siège une note verbale protestant contre la condamnation du cardinal Ouellet par la justice française dans l’affaire des religieuses de Pontcallec, indique le directeur du Bureau de presse du Saint-Siège, Matteo Bruni, dans un communiqué diffusé le 13 avril 2024. La note dénonce notamment une «grave violation des droits fondamentaux à la liberté religieuse et à la liberté d’association des fidèles catholiques».

Le 3 avril dernier, le tribunal judiciaire de Lorient avait condamné en première instance le cardinal Marc Ouellet, préfet émérite du dicastère pour les Évêques, à payer plus de 100’000 euros de dommages et intérêts à une religieuse française. Mère Marie Ferréol, ancienne membre des dominicaines du Saint-Esprit de Pontcallec (en Bretagne), avait porté plainte après avoir été renvoyée de sa congrégation le 21 octobre 2020, au terme d’une enquête canonique ayant révélé de graves difficultés relationnelles avec ses consÅ“urs. 

La note, diffusée en italien et en français par le directeur du Bureau de presse du Saint-Siège Matteo Bruni, en réponse à des journalistes, liste les points de contentieux soulevés par la note de la secrétairerie d’État, à commencer par l’absence de communication formelle de la part de la justice française. «Le Saint-Siège a eu connaissance seulement par la presse de la décision supposée du Tribunal de Lorient, en France, sur un contentieux civil concernant le renvoi d’un Institut religieux de madame Sabine de la Valette (ex-sœur Marie Ferréol)», est-il indiqué. La déclaration précise que le cardinal Ouellet «n’a jamais reçu aucun acte de citation du Tribunal de Lorient».

Matteo Bruni indique que la visite apostolique du cardinal Ouellet au sein de la Communauté des Dominicaines du Saint Esprit s’est faite «conformément à un mandat pontifical». «À l’issue de cette visite, a été adoptée une série de mesures canoniques à l’endroit de Madame Sabine de la Valette, parmi lesquelles figure son renvoi de cet Institut religieux», ajoute-t-il.

L’institut des dominicaines du Saint-Esprit a son siège à Pontcallec, dans le Morbihan | DR

«Une éventuelle décision du Tribunal de Lorient pourrait soulever non seulement des questions importantes concernant l’immunité, et dans le cas où elle porterait sur la discipline interne et sur l’appartenance à un Institut religieux, elle pourrait avoir donné lieu à une grave violation des droits fondamentaux à la liberté religieuse et à la liberté d’association des fidèles catholiques», indique enfin la note.

Cette décision de justice constitue donc, selon Rome, une atteinte aux principes régissant les relations entre l’Église et l’État selon la jurisprudence associée au modèle français de laïcité. Du point de vue de la diplomatie pontificale, l’intervention de la justice civile au sujet d’une décision canonique soulève un conflit de juridictions et revêt donc un caractère de violation de la liberté religieuse. Il est rarissime que le Saint-Siège rende publique une telle note diplomatique, et la diffusion de cette information par ses services de communication traduit le caractère exceptionnel de cette affaire.

Polémique autour du renvoi de sœur Marie Ferréol

Cette réaction du Saint-Siège constitue un nouvel épisode de la polémique ouverte par le renvoi définitif de la vie religieuse de sœur Marie Ferréol – née Sabine Baudin de la Valette –, à l’issue d’une enquête canonique menée par le cardinal canadien Marc Ouellet. En décembre 2021, le pape François avait d’ailleurs pris la plume pour clarifier un certain nombre d’éléments concernant cet institut traditionaliste fondé à Pontcallec en 1943, qui compte aujourd’hui une centaine de sœurs et qui dirige cinq établissements scolaires hors-contrat en France. Le pape écrivait avoir suivi de «très près» la situation de l’institut.

Sabine Baudin de la Valette avait intenté une action en justice, sa défense dénonçant un renvoi «sans motif, sans possibilité de se défendre, dans des conditions dures et vexatoires», après 34 ans de vie consacrée. Plus de trois ans après son renvoi, le tribunal breton avait donc statué: le cardinal Ouellet, la communauté de Pontcallec et les deux visiteurs apostoliques, le bénédictin Jean-Charles Nault et la cistercienne Maylis Desjobert, avaient été condamnés à payer à la religieuse 182’400 «‚¬ au titre de son préjudice matériel, 10’000 «‚¬ au titre de son préjudice moral, et 10’000 «‚¬ au titre des frais du procès.

Selon la décision de justice, le cardinal Ouellet, doit assumer la majorité de ces montants (60% et 55%). Les juges français lui reprochent notamment «un abus de droit», estimant que le prélat aurait pu agir sans mandat spécial du pape, dans un domaine qui ne relevait pas de sa compétence. Le cardinal était à l’époque préfet du dicastère pour les Évêques – poste qu’il a quitté en janvier 2023 – et n’avait pas juridiction sur les instituts religieux. 

En outre, le tribunal met en cause aussi son «absence d’impartialité», en sa qualité «d’ami proche d’une des sÅ“urs de l’institut des dominicaines du Saint Esprit, sÅ“ur Marie de l’Assomption [Emilie d’Arvieux], dont les positions étaient notoirement opposées à celles de Mme Baudin de la Valette». 

Enfin, le tribunal relève le manque de fondement des motifs exprimés par le prélat pour justifier «la lourdeur des sanctions prononcées, au surplus sans respect du droit canonique et des droits fondamentaux de la personne». Pour le Saint-Siège, la justice française aurait donc outrepassé ses prérogatives en mentionnant le «respect du droit canonique», qui ne se situe pas dans son périmètre de juridiction.

Une décision contestée par les dominicaines du Saint-Esprit

Dans un communiqué publié par les dominicaines du Saint-Esprit, les religieuses avaient assuré que le cardinal Ouellet avait bien été mandaté «spécialement par le Saint-Père» et que la décision du renvoi a «été prise par le Souverain pontife à la suite de la visite apostolique» menée par les visiteurs apostoliques. Condamnée elle aussi, pour «non-respect de la procédure de renvoi» et «non-respect du devoir de secours», la communauté avait annoncé faire appel de cette décision de justice.

«Cette procédure d’appel va permettre de mettre en lumière les nombreuses erreurs de fait et de droit commises par le premier juge dans un contexte très médiatisé par Sabine Baudin de la Valette», écrivaient les religieuses.

De son côté, la défense de Sabine Baudin de la Valette, maître Adeline Le Gouvello, salue «un pas important pour la vérité et, espérons-le, pour l’Église elle-même, afin que, dans la gestion des abus, soient aussi pris en compte les abus de pouvoir». (cath.ch/imedia/bh)

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14 avril 2024 | 10:14
par I.MEDIA
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