Le Saint-Siège et la France, deux siècles de relations tumultueuses

En étant reçu en audience par le pape François, le 26 juin 2018, le président français Emmanuel Macron s’inscrit dans une longue histoire des relations, parfois tumultueuses, entre la République française et le Saint-Siège.

Depuis Pépin le Bref, père de Charlemagne, la proximité séculaire entre la France et le Saint-Siège avait aussi été ponctuée de crises, au cours desquelles les souverains français n’ont pas hésité à défier l’autorité pontificale. Plusieurs d’entre eux ont même été excommuniés et ont menacé de créer leur Eglise. Mais la crise passée, le Souverain pontife pardonnait à la ›Fille aînée de l’Eglise’. L’installation de la République va bouleverser cet équilibre.

Canonisation de Jeanne d’Arc à Saint-Pierre de Rome

Le 2 novembre 1789, l’Assemblée constituante nationalise les biens du clergé. Le 13 février 1790, les vœux religieux sont abolis et les congrégations supprimées. Mais c’est la Constitution civile du clergé qui va mettre le feu aux poudres. Le 24 août 1790, Louis XVI approuve le décret. Le pape Pie VI (1775-1799) publie alors le bref Quod Aliquantum, le 10 mars 1791, et reproche au roi d’avoir accepté «une constitution qui n’est qu’un amas d’hérésies».

Dans son testament, le roi demandera pardon à l’Eglise pour avoir accepté cette Constitution civile du clergé. Dans l’éloge funèbre qu’il prononce pour le «roi martyr», Pie VI dénonce «l’esprit d’hostilité» dont est animé la France envers «la véritable religion» (1).

Le Concordat de 1801

A son arrivée au pouvoir, Napoléon Bonaparte, quant à lui, va chercher le soutien de l’Eglise. Le premier consul conclut le 14 juillet 1801 un concordat avec le Saint-Siège. Concernant également les protestants et israélites, leur statut ne sera pratiquement pas modifié jusqu’à la loi de 1905. Les relations se réchauffent avec le trône de Pierre, bien que Pie VII (1800-1823) refuse de valider le divorce de l’empereur et l’excommunie. Le pontife sera arrêté par les Français et conduit à Fontainebleau jusqu’en 1814. Il sera le dernier pape – avant Jean Paul II – à fouler le sol français.

Après la Révolution de 1830, Pie VIII (1829-1830) ne s’oppose pas au nouveau régime et demande même aux évêques français de reconnaître «le nouveau monarque élu par la nation». Malgré son soutien à la monarchie de Juillet, c’est pourtant la République, en 1848, qui envoie un corps expéditionnaire pour restaurer l’autorité pontificale menacée par les révolutionnaires italiens. Ces troupes resteront douze ans à Rome. Ce n’est qu’après leur évacuation que Rome deviendra la capitale du royaume d’Italie nouvellement créé.

Un difficile rapprochement jusqu’au ralliement de Léon XIII

Le pape Pie IX (1846-1878) se considère alors prisonnier et s’enferme au Vatican. Une partie de l’opinion française prend son parti. Notamment Louis Veuillot qui, dans l’Univers, écrit que le pape attend «anxieusement des nouvelles de France et qu’il se lève parfois la nuit pour prier en disant: ‘O Francia ! nobilissima Francia’». Au même moment, Gambetta proclame que «le cléricalisme, voilà l’ennemi !»

A partir de 1879, le gouvernement français mène une guerre ouverte pour réduire l’influence du catholicisme. Pendant que la laïcisation des hôpitaux se poursuit, l’article 7 de la loi Ferry interdit l’enseignement aux congrégations non-autorisées.

Politique d’apaisement

En 1884, Léon XIII (1878- 1903) publie cependant l’encyclique Nobilissima gallorum gens – la très noble nation française – et tente un rapprochement.  Le pontife demande aux catholiques d’éviter «les dissentiments politiques», alors que la mort du comte de Chambord rend peu probable une restauration monarchique. Le cardinal Lavigerie, avec son fameux «toast d’Alger», entame le rapprochement entre Eglise et République.

Dans son encyclique Au milieu des sollicitudes – écrite et publiée en français – Léon XIII demande de cesser toute opposition «à la République qui est le gouvernement actuel de la nation». La stratégie du pontife passe par une reconquête de la société. Sa politique d’apaisement va fonctionner jusqu’à l’affaire Dreyfus. Deux blocs antagonistes se reconstituent alors, mettant en jeu la religion.

Loi de séparation et prophétie de Pie X

Dès 1903, de très nombreuses congrégations sont expulsées ou dispersées. Les liens diplomatiques sont rompus le 30 juillet 1904, sous le règne de Pie X (1903-1914). D’après l’historien Pierre Pierrard, dans Les papes et la France, «on voit alors le monde catholique se tourner vers la Fille ainée de l’Eglise qui s’apprête à devenir la principale puissance laïque du monde».

Le 9 décembre 1905, la loi de séparation des Eglises et de l’Etat est adoptée. Dans l’encyclique Vehementer nos, le 11 février 1906, le pape dénonce l’Etat qui «abroge de sa seule autorité le pacte solennel qu’il avait signé». Dans Gravissimo officii du 10 août 1906, Pie X explique que les associations diocésaines ne peuvent «absolument être formées» sans «violer les droits sacrés qui tiennent à la vie elle-même de l’Eglise».

Mais pour Pie X, la forme des instituions importe peu. Il profite de la béatification de Jeanne d’Arc, en 1908, pour laisser entendre que la porte de Rome est toujours ouverte. Lors d’un consistoire en 1911 devant des cardinaux français, le pape déclare que le peuple «qui a fait alliance avec Dieu» aux fonts baptismaux de Reims «se repentira et retournera à sa première vocation».

La paix autour de la figure de Jeanne d’Arc

Sous le règne du pape Benoît XV (1914-1922), l’Eglise bénéficie de «l’Union sacrée» dans les tranchées, qui a vu plus de 9’000 religieux se battre aux côtés des soldats. En 1919, une majorité modérée est au pouvoir en France, des entretiens officieux se déroulent alors à Rome. Le 16 mai 1920, à l’occasion de la canonisation de sainte Jeanne d’Arc, en présence d’un «ambassadeur extraordinaire», le pape «manifeste solennellement l’intérêt qu’il porte à la France».

En 1921, l’ambassade de France près le Saint-Siège est rétablie après 15 ans d’absence. Le 13 juin de la même année, Benoit XVI annonce que la France «vient de reprendre auprès du Vicaire de Jésus-Christ la place qu’elle avait occupée durant des siècles».

La «fille aînée» de l’Eglise

De même que Pie XI (1922-1939), pour faire un nouveau pas vers sa «fille aînée», proclame le 2 mars 1922 sainte Jeanne d’Arc patronne secondaire de la France. La détente continue avec Maximam gravissimanque (18 janvier 1924) qui reconnaît les associations diocésaines. Même si celles-ci sont «bien différentes de celles que Pie X avait autrefois réprouvées», affirme alors le pontife.

La condamnation de l’Action française, en 1926, termine de réchauffer les relations. La dernière brouille survient en 1947, lorsque Georges Bidault, chef du gouvernement, estime que le renouvellement du corps épiscopal – qu’il juge trop compromis avec Vichy – n’est pas assez important. La situation est alors gérée par le futur Jean XXIII, alors nonce à Paris.

Après Vichy, une nouvelle page des relations

Cependant, la restauration des relations politiques et juridiques n’est pas le tout de la pensée des papes. Venu sept fois en France, Jean Paul II (1978-2005) lui demande ce qu’elle «a fait de son baptême». En 2005, pour le centenaire de la loi de 1905, Jean Paul II déclare que «cette paix» permet à l’Eglise qui est en France de «reprendre une part toujours plus active à la vie de la société».

Benoît XVI, en visite à Lourdes, note que «les présupposés sociopolitiques d’une antique méfiance, ou même d’hostilité, s’évanouissent peu à peu». Quant au pape François, il déclarait sous forme de boutade au quotidien catholique La Croix, en 2016, que si la France était bien la fille aînée de l’Eglise, elle n’était pas «la plus fidèle !» (cath.ch/imedia/acp/be)

(1) in Martin Dumont, La France dans la pensée des papes (Editions du Cerf, 2017), de même que les nombreuses citations de ce texte.

Le pape François recevant le 24 janvier 2014 au Vatican le président François Hollande | © Présidence de la République française
24 juin 2018 | 11:51
par Jacques Berset
Temps de lecture : env. 5  min.
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