Le Renouveau romand a atteint sa maturité
Saint-Maurice, 25 mai 2015 (Apic) Issus du Pentecôtisme, les groupes de prière du Renouveau charismatique ont investi l’espace ecclésial romand dans les années septante, avant de connaître un lent déclin à partir des années nonante. En quarante ans, le mouvement a enthousiasmé de nombreux fidèles sans jamais parvenir à réellement susciter l’intérêt du clergé. Retour sur son développement – de son essor à sa «maturité» – à l’heure du rendez-vous annuel des groupes de prière de Suisse romande, le lundi de Pentecôte, qui se tient cette année à Saint-Maurice.
Le Renouveau charismatique romand a fêté ses quarante ans en 2012. Dans une étude réalisée pour l’Université de Fribourg, l’historienne valaisanne Virginie Dufour indique que le premier groupe recensé date de 1972 à Fribourg. Trois ans plus tard, il y en avait dans tous les cantons romands, diffusés principalement de bouche à oreille.
Les expériences spirituelles, fortes, ainsi que les conversions, amenaient naturellement les membres convaincus à en inviter d’autres, de sorte que les groupes se constituaient progressivement et informellement dans la maison d’un particulier, une salle paroissiale, une chapelle de quartier ou autour d’une communauté religieuse.
Issu des milieux populaires
Aucune étude sociologique n’a été réalisée pour définir le profil des membres de ces groupes de prière, mais des spécificités communes permettent d’esquisser les traits caractéristiques de ces premiers charismatiques. De manière générale, ils étaient issus des milieux populaires et n’étaient pas particulièrement engagés dans le domaine des «grandes causes sociales» qui animaient l’Eglise des années septante.
Le lien à l’Eglise n’était pas flou pour autant. Les membres du Renouveau n’avaient pas de compte à régler avec l’institution et désiraient fermement, dès les premières années, y rester unis. Ce mouvement n’a donc jamais eu à «conquérir» une autonomie – comme ce fut le cas de l’Action catholique, notamment. Une réalité qui s’explique en partie par le fait que ces personnes «avaient perdu tout contact avec l’Eglise ou (…) n’en faisaient pas partie du tout», explique Virginie Dufour.
La présence de personnes émotionnellement ou psychiquement faibles, voire marginales, constituait une autre composante commune à tous les groupes. Elles se sentaient intégralement accueillies, telles qu’elles étaient, explique la journaliste Monique Hébrard, auteur de l’enquête «Les charismatiques» (Cerf, 1991).
L’amorce d’une structure ecclésiale
Si le Renouveau s’est introduit en Suisse de manière spontanée et diffuse, une structure a rapidement vu le jour au début des années quatre-vingts autour de l’abbé Bernard Müller, prêtre du diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg et fondateur de la communauté Cana-Myriam, en Valais. Il fut nommé en 1981 «Délégué diocésain auprès du Renouveau» par Mgr Pierre Mamie.
Dans le cadre de ce mandat, il amorça la coordination des groupes de prière romands à travers des rencontres et des retraites, mais également par l’établissement du «Conseil romand» – devenu entretemps l’Equipe de Communion entre les groupes Romands (ECR) –, dont la mission consistait à être à l’écoute des groupes et des attentes de l’Eglise en vue de la «pleine insertion» de cette nouvelle réalité dans l’institution.
En 1987, ce Conseil rédigea une charte des groupes de prière qui fut dès lors le document fondamental autour duquel s’articulait le Renouveau romand. Le grand rassemblement des Lundis de Pentecôte voyait le jour cette même année.
L’accueil timide du clergé
Dès le début, l’accueil du clergé fut, de manière générale, relativement timide. Certains évêques s’engagèrent plus que d’autres, à l’instar de Mgr Henri Schwery, évêque de Sion, qui accueillit trois communautés nouvelles sur son territoire diocésain – Le Verbe de Vie, les Béatitudes et Cana-Myriam. «Il fut probablement l’évêque le plus intéressé par le Renouveau, note Virginie Dufour, et s’investit beaucoup pour ce courant, allant même jusqu’à prêter son propre chalet à la communauté Cana-Myriam, en attendant qu’elle trouve une autre maison».
L’épiscopat romand, quant à lui, n’étaient pas opposé au Renouveau mais ne l’a jamais, pour autant, activement soutenu. Selon l’historienne, dans les années septante et quatre-vingt, les évêques craignaient avant tout ses possibles «excès et dérives».
L’accueil des prêtres, dans son ensemble, fut similaire à celui des évêques. «Force est de constater que la majorité ne prit pas au sérieux cette nouvelle forme de prière», relève Virginie Dufour. Cette réserve se fondait sur différents éléments: le bouleversement qu’induisait l’élan charismatique dans des structures parfois essoufflées ou la frustration de certains prêtres de voir leurs fidèles quitter la paroisse pour se rendre de plus en plus fréquemment dans des communautés nouvelles.
Pas de grande percée œcuménique
L’historienne avance également une autre cause, liée à l’exercice de l’autorité: au sein des mouvements charismatiques, la distinction clerc-laïc est minimisée et le «leadership» est souvent tenu par les seconds. «Cette nouvelle place offerte aux prêtres, celle de priant avec les priants, dérangea probablement certains clercs et les dissuada de participer aux réunions de prière ou de s’engager plus activement dans le mouvement».
Dans le domaine œcuménique, le Renouveau n’est pas vraiment parvenu à devenir un vecteur de communion, malgré son origine protestante et l’ouverture confessionnelle de ses pratiques constitutives – louange, écoute de la Parole, exercice des charismes etc. A la suite d’un premier élan œcuménique «convaincu et vigoureux», le Renouveau catholique a connu «un temps de repli» lors de son intégration ecclésiale et dès le moment où des pratiques telles que l’eucharistie, la confession, ou encore l’adoration du Saint-Sacrement ont pris davantage de place dans le Renouveau catholique.
Le Renouveau aujourd’hui
Dès le début des années nonante, l’expansion du Renouveau ralentit et connaît, à partir de 1995, une période de décroissance. Le nombre de groupe commence à diminuer. Le mouvement entre alors dans une période d’essoufflement. «Le manque d’engagement de certaines personnes qui satellisent sans s’investir ou, au contraire, les nombreuses personnes très engagées en paroisse qui n’ont, de ce fait, plus de temps à consacrer au Renouveau, le peu de soutien de la part des prêtres (…) et des évêques, le vieillissement des groupes qui peinent à se renouveler et à attirer les jeunes en sont les raisons les plus évidentes», selon Virginie Dufour.
Si les groupes de prières vieillissent et peinent à se renouveler, le Renouveau n’est pas éteint pour autant dans l’Eglise romande. «Nous sommes aujourd’hui moins nombreux», relève Marie-Hélène Borgeat, modératrice de l’ECR. «Nous avons passé par des périodes difficiles. Il a fallu toutes ces années pour que le mouvement mûrisse et que nous prenions conscience que nous sommes, en toute modestie, le levain dans la pâte».
L’intégration ecclésiale est plus aboutie qu’elle ne l’était il y a encore vingt ans. «Nous avons évolué, de la louange vers l’accueil de l’Esprit en Eglise, poursuit-elle. Le Renouveau est aujourd’hui plus profond. Il est en pleine maturité. Nous sommes certes moins nombreux, mais plus intégrés. Aujourd’hui encore, le Renouveau apporte à l’Eglise une certaine spontanéité et lui rappelle, malgré tout, que l’Esprit est toujours à l’œuvre».
Encadré: Lundi de Pentecôte 2015
La basilique de l’Abbaye de Saint-Maurice était pleine ce lundi 25 mai 2015 pour accueillir la rencontre annuelle du Renouveau charismatique de Suisse romande. Réunis autour du thème «Qu’il entre le Roi de Gloire» (Ps 23), plus de 700 participants ont été reçu par Mgr Joseph Roduit, l’actuel abbé. Des temps de louange, d’enseignement et de rencontre ont constitué la trame de cette 28e rencontre annuelle. (apic/pp)