Le «procès Becciu», signe d’un changement d’époque au Vatican
Le procès de l’immeuble de Londres, qui va s’ouvrir le 27 juillet 2021, est l’aboutissement d’une enquête de quatre ans et une étape importante dans le long processus de réforme de l’économie vaticane entamé depuis 2013 par le pape François. Mais il est aussi ressenti à Rome comme un véritable bouleversement. Un juriste de la Curie y voit même un changement d’époque.
Camille Dalmas, I.MEDIA
Pour la première fois de son histoire, un tribunal du Vatican dirigé par un laïc cite à comparaître un «prince de l’Église» – le cardinal Angelo Becciu. Jusqu’au 30 avril dernier et un motu proprio (décret de la propre initiative du pape) du pape François, les cardinaux ne pouvaient être jugés que par la cour de cassation du Vatican, une instance dirigée exclusivement par des membres du collège cardinalice. L’abolition de cette justice de caste, qui visait à protéger les futurs électeurs du pape, répondait selon le pontife à un besoin de «véritable égalité».
Cette exigence d’égalité est essentielle, commente un professeur de droit canon d’une des universités pontificales de Rome, parce qu’elle est en rupture avec la «tolérance» voire le «mutisme» culturel qui a longtemps caractérisé le fonctionnement des instances du Vatican. Jusqu’à peu, prédominait «une culture où on prend en compte le cas particulier au dépens de la règle universelle». Celle-ci, assure-t-il, était même «ancrée» dans le droit canonique, par exemple dans le cas des «procédures d’équité».
Le Vatican se doit d’être un État «parfait»
Comme face aux cas d’abus sexuels – par exemple dans la gestion de ceux commis par l’ex-cardinal Theodore McCarrick – la justice vaticane considère désormais que nul ne peut bénéficier d’un traitement particulier. Est à l’œuvre une logique de «purification» des institutions du Vatican qui est perçue comme indispensable afin de préserver la crédibilité du Saint-Siège, analyse le juriste qui souhaite rester anonyme.
«Même si elle connaît beaucoup de ‘résistances’, la dynamique de professionnalisation semble bien avoir été lancée»
Pour le canoniste romain, la distinction issue des Accords du Latran (1929) entre le Vatican, État temporel du pape, et le Saint-Siège, centre spirituel de l’Église catholique, est désormais de moins en moins pertinente. Érigé pour répondre à la fin des États pontificaux et à la question romaine, le Vatican s’est toujours pensé «vis-à-vis de l’Italie», et conservait un fonctionnement «culturel» hérité de son passé. Aujourd’hui, il se doit d’être «un État papal parfait», insiste le canoniste, parce qu’il en va de son bon fonctionnement mais surtout de sa «crédibilité spirituelle».
Le fait qu’un cardinal soit un justiciable «presque comme les autres» du petit État est le signe de ce «rapprochement» des deux entités – «presque», parce qu’il aura fallu que le pape François autorise la convocation du cardinal Becciu pour qu’elle se fasse, comme nous le confirme une source vaticane.
La fin d’une tradition d’amateurisme
Cette évolution radicale du plus petit État au monde implique de mettre fin à une forme d’amateurisme généralisé au plus haut niveau de la Curie, qu’on devine à l’œuvre en lisant les actes d’accusations présentés par le Saint-Siège dans le cas de l’affaire de l’immeuble de Londres. «Il existe un lien étroit entre l’incompétence et le fait d’être dévalisé», dénonçait d’ailleurs récemment le cardinal australien George Pell, ancien préfet du Secrétariat pour l’Économie qui fut au début du pontificat le fer de lance de la professionnalisation du Saint-Siège.
«Il n’est plus tenable de se contenter d’une gestion en bon père de famille», explique encore un official de la Curie. Même si elle connaît beaucoup de «résistances», la dynamique de professionnalisation semble bien avoir été lancée. En témoigne le fait que l’enquête de l’affaire de l’immeuble de Londres ait été menée par un ancien magistrat italien nommé par le pape François en 2019, le président du Tribunal Giuseppe Pignatone. Contrairement à la tradition vaticane qui voulait qu’on place exclusivement des professeurs de droit au Vatican, le pontife est cette fois-ci allé chercher un ancien procureur du parquet romain qui avait largement fait ses preuves dans la lutte contre la mafia.
Le procès à venir pourrait créer «beaucoup de scandales et affaiblir la confiance qu’ont les catholiques dans le fonctionnement du Vatican», estime encore le fonctionnaire de la Curie. Mais c’est un «mal indispensable» aujourd’hui, insiste-t-il, parce qu’il est question de «l’exemplarité» du Saint-Siège. Et de conclure: «Le pape a été élu pour cela». (cath.ch/imedia/cd/rz)