«Le pire dans cette Eglise est l’hypocrisie»
Gabriella Loser Friedli, Présidente de l’Association pour les femmes concernées par le célibat des prêtres (Zöfra)
Fribourg, 23 août 2012 (Apic) «Il y a aujourd’hui dans l’Eglise catholique en Suisse un nombre plus élevé que jamais de prêtres qui vivent une relation clandestine», estime Gabriella Loser Friedli. La plupart de ces prêtres qui ont une relation cachée ou des enfants sont des étrangers, explique à l’Apic la fondatrice et présidente de l’Association pour les femmes concernées par le célibat des prêtres (Zöfra).
Ils sont prêtres catholiques et viennent d’Afrique, d’Amérique latine, d’Asie ou d’Europe. La plupart ont entre 30 et 45 ans et sont donc en âge d’être mariés. En Suisse, où on manque de prêtres, cette situation peut amener de nouveaux problèmes. Gabriella Loser Friedli parle de quinze cas dont son association s’occupe actuellement. De prêtres qui vivent une relation amoureuse cachée et qui sont devenus pères. La plupart sont étrangers, leurs partenaires aussi.
Personne ne doit rien savoir
Elle donne l’exemple de cette jeune femme africaine qui vit, quelque part en Suisse, avec ses deux enfants de cinq et sept ans. Leur père est un prêtre africain. Personne n’est au courant. Aujourd’hui cette femme voudrait au moins une reconnaissance de paternité. Mais cela ne sera pas si simple.
Si la chose se savait, le père de ses enfants pourrait devoir quitter la Suisse. Et cela aurait des conséquences imprévisibles pour lui et pour sa parenté en Afrique. Car avec son salaire de prêtre en Suisse, il fait probablement vivre tout son clan familial. Ou il finance un projet d’aide au développement dans son pays. C’est pourquoi il est contraint de garder un secret total sur sa relation de couple et sa paternité.
La pression des prêtres étrangers sur leur femme est donc dès le départ particulièrement forte, relève la présidente de Zöfra. «Personne, en aucune circonstance, ne doit rien savoir». Pour l’association, il est donc particulièrement difficile d’apporter une aide dans ces cas-là.
Selon les observations de Gabriella Loser Friedli, les jeunes prêtres suisses ont moins de problèmes avec l’obligation du célibat. Ils sont encore très motivés et ont la force de le supporter «sans trop en souffrir». Lorsque de jeunes prêtres suisses ont de sérieux problèmes de célibat, la situation est la plupart du temps assez rapidement réglée. «Avec le soutien de leur partenaire, ils apprennent une nouvelle profession. On ne constate pas chez eux de longues périodes de souffrance.»
Les prêtres suisses qui souffrent du célibat et ont une relation cachée sont âgés de 40 à 50 ans, parfois plus. Eux et leur compagne peuvent trouver de l’aide auprès de la Zöfra. Fondé comme un réseau en 1987, la Zöfra s’est structurée en association depuis l’an 2000. L’association peut compter aujourd’hui dans toute la Suisse sur un réseau d’environ 2’500 personnes, membres, sympathisants, anciens prêtres etc. capable d’apporter toutes sortes d’aides, relève sa présidente. Et les besoins sont grands. Depuis les débuts, plus de 500 femmes se sont adressées à la Zöfra.
Mais les temps sont devenus sensiblement plus durs. Jusqu’il y a 10 ou 15 ans, on trouvait généralement sans difficulté une place de travail pour les prêtres qui quittaient le sacerdoce pour s’occuper d’une famille, dans les services du personnel ou dans les œuvres d’entraide par exemple. «Aujourd’hui vous pouvez oublier!», note Gabriella Loser Friedli. Toutes les branches se sont largement professionnalisées. Celui qui n’a pas le diplôme exact requis n’a aucune chance, car on exige partout des connaissances spécifiques.
Il y a quelques années encore, elle encourageait les prêtres et leurs compagnes qui demandaient conseil à clarifier leur situation, afin d’avoir une vie supportable. Aujourd’hui, elle ne le fait plus. «Si on a 50 ou 55 ans et pratiquement aucune chance sur le marché du travail, va-t-on à cet âge entreprendre une nouvelle formation ? Quel employeur va t’il les engager ?»
C’est pourquoi beaucoup de prêtres persistent dans leur relation cachée. Aujourd’hui en Suisse, il y a plus de cas qu’au cours des 25 ans d’histoire de la Zöfra. Beaucoup attendent d’atteindre l’âge de la retraite à 65 ans avant de se retirer, de construire quelque part une maison de vacances, d’acheter un appartement et d’y commencer une nouvelle vie.
140 prêtres en activité concernés
Selon Zöfra, au moins 140 prêtres et religieux en activité en Suisse (sur environ 2’660 ndr) vivent une relation clandestine. Il y a une dizaine d’années ils étaient 90. Il ne s’agit que des cas dont l’association a eu connaissance par des femmes venues demander de l’aide. Il faut y ajouter sans doute un nombre significatif de situations ’au noir’.
Derrière ces chiffres, il y a surtout la souffrance de nombreuses femmes, hommes et enfants, souligne Gabriella Loser Friedli. Pour une femme avec des enfants, vivre une telle relation secrète avec un prêtre est souvent une «catastrophe». En tout cas dans certains domaines. La plupart du temps cependant l’amour est fort et vécu positivement. «Les conditions de vie sont souvent difficiles, mais je vois des partenariats très forts et résistants.»
Le plus dramatique est lorsque les enfants sont touchés. Les différences de salaire des prêtres sont très grandes selon les diocèses en Suisse. Alors que dans des cantons comme Zürich, Berne ou St-Gall, l’entretien d’un enfant et le soutien d’une femme ne pose pas de problèmes matériels pour un prêtre – et par là facilite la reconnaissance en paternité – la situation en Suisse romande, où les salaires des prêtres sont nettement plus bas, est sensiblement plus difficile.
Dans les cas les plus durs, où le prêtre n’a aucune marge financière, la Zöfra cherche des sponsors. Lorsqu’on sollicite l’Etat pour obtenir par exemple des avances de pension alimentaire auprès de l’employeur, on court le risque que la situation soit révélée. Ce que la plupart des prêtres préfèrent éviter à tout prix.
La situation des anciens religieux qui n’ont pratiquement aucune caisse de pension et qui vivent en dessous du minimum vital est particulièrement lourde. Beaucoup de couvents n’ont pas de moyens financiers. Ils possèdent certes des immeubles ou des terrains, mais ils ne veulent pas les vendre à cause de l’infidélité d’un de leurs membres. Gabriella Loser Friedli connaît un ancien religieux, âgé de 75 ans, qui joue de l’orgue le dimanche à l’église et donne des cours de langue à Caritas pour arrondir ses fins de mois. Si un religieux vit, par exemple, avec une veuve, un mariage est impensable aussi pour des raisons économiques. Sa partenaire perdrait sa rente de veuve et lui-même ne pourrait pas assumer seul l’entretien du ménage.
Des femmes plus conscientes
Autrefois, en plus des conseils financiers et juridiques, le fort sentiment de culpabilité des femmes et des hommes concernés était un thème très important. «Comment vivre avec cela sans en devenir malade ?» Aujourd’hui les femmes plus jeunes ou non-catholiques n’ont pas le moindre sentiment de culpabilité. Elles sont le plus souvent bien formées, ont un vrai revenu, sont beaucoup plus sûres d’elles mêmes et financièrement dans la situation d’aider leur partenaire à faire une formation complémentaire, souligne Gabriella Loser Friedli.
Cela ne fait pas disparaître pas chez l’homme la conscience de sa vocation sacerdotale. Dans certains cas, cette conscience augmente encore car l’homme doit combattre pour sa vocation. La pression sur lui s’accentue, car il ne peut en aucun cas se permettre de faute. «Il doit être encore plus parfait afin que personne ne puisse lui dire : «Parce que tu as une femme tu as été un moins bon prêtre ou tu as moins bien fait ton travail». A moyen ou à long terme, cela rend malade.
Plus on bétonne, plus on est proche de la rupture
Ce qu’il y a de plus fou, aux yeux de Gabriella Loser Friedli, est que l’obligation de célibat qui peut être «quelque chose de digne et d’élevé» rende malades et détruise tant de personnes. Beaucoup d’Eglises vivent l’expérience qu’il ne doit pas obligatoirement en être ainsi.
La présidente de la Zöfra est en persuadée. Aujourd’hui en Suisse, un prêtre sur deux a un problème avec le célibat. Cela ne se traduit pas forcément par une liaison cachée, mais par contre par des problèmes d’alcoolisme ou d’autres dépendances. Si un prêtre boit parce qu’il ne peut pas supporter sa solitude, cela a quelque chose à voir avec le célibat. Cela vaut de même pour un prêtre qui doit s’occuper de dix ou quinze paroisses, qui ne supporte plus la pression et se tourne toujours plus souvent vers la bouteille.
N’y a-t-il vraiment aucun espoir, nulle part ? «Lorsque que j’entends l’Eglise chanter les louanges de l’obligation du célibat sacerdotal, je pense toujours à la fin de la République démocratique allemande, note Gabriella Loser Friedli. Plus on bétonne et plus on conjure, plus proche est la rupture.» Lorsque l’Eglise (latine ndlr) met en avant cette obligation pour tous les prêtres dans le monde entier, cela la fait sourire. Elle a connu personnellement, au cours de voyages en Afrique et en Amérique latine, des couples de prêtres. Les femmes de prêtres de ces continents arrivent aussi en Suisse. Elle se rappelle également cet évêque du Togo qui, non sans fierté, lui a présenté ses quatre enfants et leur mère. «Le pire dans cette Eglise est l’hypocrisie», conclut Gabriella Loser Friedli.
Gabriella Loser Friedli a un diplôme de dessinatrice en bâtiment et d’employée de bureau. Elle travaille comme secrétaire à temps partiel auprès de l’Université de Fribourg. Elle est mariée depuis 1994 à Richard Friedli, ancien religieux dominicain, avec qui elle vit depuis 1974. Elle est la mère d’un fils âgé de 30 ans.
Site internet: www.kath.ch/zoefra
Avis aux rédactions : des photos de cette interview sont disponibles auprès de l’apic au prix de 80.– la première et 60.– francs les suivantes: apic@kipa-apic.ch.
(apic/job/mp)