Le Père Thierry Magnin invite à «penser l'humain au temps de l'homme augmenté»

A l’époque des biotechnologies modernes, l’homme est capable non seulement de modifier le vivant, mais encore de fabriquer des morceaux de vivant artificiel, comme des virus, des fragments d’ADN ou des génomes de bactéries. Mais ces progrès technologiques fulgurants, qui peuvent servir la dignité de l’homme, peuvent également l’asservir, dans une sorte d’esclavage moderne, avertit le Père Thierry Magnin.

L’homme cybernétique, le «transhumain», peut-il vraiment sauver l’homme ou doit-il susciter nos craintes ? L’ancien recteur de l’Université catholique de Lyon (UCLy) – depuis le 1er juillet 2019 nouveau secrétaire général de la Conférence des évêques de France – a invité à la réflexion les participants au Forum d’Engelberg, qui s’est tenu à Genève les 24 et 25 juin 2019.

Le transhumanisme en question

Une nouvelle ingénierie du vivant se développe aujourd’hui, entre réalisations et promesses, notamment pour la médecine. Sans oublier une dimension économique évidente, voire une guerre techno-économique pour la conquête de ces nouveaux marchés prometteurs, note celui qui est à la fois docteur en sciences physiques et docteur en théologie.

Né au Mali en 1953 et ordonné prêtre en 1985 pour le diocèse de Saint-Etienne, Thierry Magnin est notamment physicien diplômé de l’Ecole d’ingénieurs de Lyon (Ecole catholique d’arts et métiers – ECAM) et de l’Ecole des Mines de Saint-Etienne. De ce fait, il est bien placé pour à la fois saluer les progrès de la science, qui permet de réparer les fonctionnalités du vivant aujourd’hui, et mettre en garde contre les risques de dérives.

Risques de dérives

En effet, les progrès des biotechnologies, de l’intelligence artificielle, de la robotique, conduisent à imaginer, à espérer mais aussi à redouter un dépassement de l’humanité (*). Thierry Magnin cite, par exemple, l’élaboration de puces à ADN, qui permettent d’analyser l’expression des gènes d’un échantillon dit «pathologique», par rapport à un échantillon normal, et de repérer ainsi une anomalie génétique prédisposant à une maladie. Il mentionne encore la fabrication de nanomédicaments (des nanovecteurs qui ciblent des tissus particuliers).

Ces derniers permettent de soigner très localement des cellules cancéreuses. Il s’agit ici de soigner, voire de «réparer» (en allusion à la machine), mais aussi d’augmenter les fonctionnalités grâce à ces mêmes technosciences.

Un «technophile» averti

Tout en s’avouant «technophile» et en reconnaissant le fort intérêt de l’intelligence artificielle et des NBIC (nanotechnologies, biotechnologies, technologies de l’information et sciences cognitives), le physicien et théologien ne peut rester indifférent aux «promesses vertigineuses que certains tenants du transhumanisme adressent aujourd’hui». Et de souligner le risque de nouveaux «esclavages modernes» quand domine la recherche d’une perfection des fonctionnalités comme critère de progrès.

Si cela devient un chemin obligatoire, alors le risque est grand de créer des sous-catégories d’êtres humains. «Il peut y avoir là le creuset de nouvelles formes d’esclavagisme au détriment des plus faibles, en particulier de personnes fragiles que certain courants eugénistes voudraient ne plus voir au sein de nos futures communautés humaines».

Nouvelle méthode de manipulation du génome

Thierry Magnin attire l’attention sur une de ces technologies appelée CRISPR Cas9.

Il s’agit de la nouvelle méthode de manipulation du génome, mise au point récemment, et c’est une découverte majeure dans l’histoire des sciences de la vie. CRISPR/Cas permet en effet de modifier le génome sur des plantes, des animaux, des cellules humaines, de façon ciblée, simple et rapide. Il devient ainsi relativement abordable de neutraliser des gènes et des séquences ADN ou de les remplacer pour ajouter de nouvelles caractéristiques.

Les applications potentielles envisagées concernent l’éradication de maladies génétiques ou de vecteurs de ces maladies mais aussi la recherche pour mieux comprendre le rôle des gènes, dans l’embryon humain notamment.

Le Père Thierry Magnin met en garde contre les «effets hors cible» des manipulations du génome | © Jacques Berset

Attention aux «effets hors cible»

Mais les chercheurs ont détecté des «effets hors cible» causés par ces méthodes. «Si l’utilisation de cette technologie sur les cellules somatiques [cellules du corps à l’exclusion des cellules germinales et des cellules de l’embryon aux premiers stades du développement, ndlr] posent les questions habituelles de consentement éclairé – notamment aujourd’hui pour soigner certains cancers – il n’en va pas de même pour les recherches et les actions sur les embryons humains et les cellules germinales, où les questions d’éthique sont redoutables!»

Evoquant les tentatives de modifications génétiques sur des embryons humains à l’aide de CRISPR effectuées depuis 2015 par des chercheurs chinois, et la naissance en Chine, fin 2018, de deux jumelles génétiquement modifiées grâce à la technologie CRISPR d’édition du génome, Thierry Magnin y voit un grand danger.

Les jumelles chinoises, des «esclaves du progrès à tout prix» ?

«Cette annonce, difficile à vérifier complètement, a fait l’effet d’une bombe. Elle a entraîné beaucoup de réactions négatives, étant donné notamment les effets ‘hors cible’ qui conduiront les jumelles à porter des mutations génétiques non connues qu’elles pourront transmettre à leur descendance». Et le professeur Magnin de se demander si ces deux jumelles ne seraient pas d’une certaine façon des «esclaves du progrès à tout prix», par le biais de ces «tests humains» grandeur nature. «Ne joue-t-on pas là les ‘apprentis sorciers’ ?»

Un journaliste de la «MIT Technology Review» a publié, au début 2019, une information qui fait redouter le pire au Père Magnin: «les modifications effectuées sur l’embryon des jumelles pourraient aussi permettre une augmentation de leurs capacités cognitives. En plus d’être potentiellement invulnérables à un certain type de VIH [virus de l’immunodéficience humaine, ndlr], les jumelles seraient génétiquement dotées ‘d’aptitudes cognitives supérieures’». Certes, relève le théologien français, «dans la guerre techno-économique que se livrent la Chine et les Etats-Unis, il n’est pas simple de démêler le vrai du faux. Mais il se peut que sous couvert thérapeutique, les essais chinois sur ces jumelles constituent un premier test d’augmentation de l’humain, avec tant de conséquences inconnues!»

«Perfectionner la machine» ne suffit pas

En observant que les biotechnologies et que la biologie de synthèse risquent de s’enfermer dans un fonctionnalisme trop strict, Thierry Magnin lance un appel à la réflexion et à la vigilance. Il invite à élargir le regard pour répondre avec objectivité et pertinence aux défis techniques et éthiques de l’utilisation des technosciences sur le vivant végétal, animal et humain.

Car pour lui, «prendre soin du vivant» ne peut se limiter à augmenter ses fonctionnalités pour «perfectionner la machine», car on peut se demander si ce vivant simplifié, réduit à des fonctionnalités, n’est justement pas trop réduit pour être vraiment vivant et si le «transhumain» envisagé en ce sens ne serait pas en fait un «humain appauvri». (cath.ch/be)

(*) Dans Penser l’humain au temps de l’homme augmenté (Albin Michel 2017), le Père Thierry Magnin nous entraîne à discerner en quoi les progrès technologiques peuvent servir la dignité de l’homme ou asservir celui-ci en maximisant son utilité. Pour son ouvrage, Thierry Magnin a reçu le Prix Humanisme chrétien 2018.

 

https://youtu.be/QRQW49VbnCwhttps://youtu.be/QRQW49VbnCw

 

 

 

Le Père Thierry Magnin, ancien secrétaire général de la Conférence des évêques de France | © Jacques Berset
11 juillet 2019 | 17:00
par Jacques Berset
Temps de lecture : env. 5  min.
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