Le Père Dominique Catta: chantre de l'harmonie interreligieuse en Afrique
Le Père Dominique Catta, co-fondateur de l’Abbaye de Keur Moussa au Sénégal, est décédé le 18 août 2018, à l’âge de 92 ans. Il avait créé une musique laudative puisant aux sources du grégorien et de la tradition africaine. Le Frère Thomas Pikandieu Gomis, qui l’a côtoyé pendant plus de 30 ans à Keur Moussa, explique comment son art a vivifié le dialogue interreligieux au Sénégal.
«Ce fut un moment inoubliable, lorsque le griot musulman a repris, avec sa kora, un magnificat, un air typique du répertoire catholique», se rappelle le Frère Thomas. Une syntonie interreligieuse que seuls les instruments étaient capables de créer aussi simplement et spontanément. «Car Dominique Catta avait bien compris que la musique est un langage universel, qui transcende les différences», souligne le religieux sénégalais. Le prêtre a notamment révolutionné la pratique de la kora, un instrument à cordes d’Afrique de l’Ouest, en l’adaptant comme instrument d’accompagnement des chants liturgiques.
Le trésor culturel africain en lumière
Au cours des 32 ans de vie en communauté avec le prêtre-musicien, le Frère Thomas Pikandieu Gomis a été témoin de l’engouement inattendu et mondial qui a accueilli le travail de Dominique Catta. «Plus de 2000 personnes ont participé aux obsèques, note le Frère Thomas, dont beaucoup de musulmans. Ce qui montre la popularité du Père Dominique dans le pays. Des personnalités de très haut rang ont salué son œuvre».
Pour le sous-prieur de Keur Moussa, le Père Catta était «non seulement un grand artiste, passionné par la culture sénégalaise, mais aussi un maître d’altruisme et d’humanisme, qui avait un immense respect pour les autres traditions. Le peuple africain lui est infiniment reconnaissant d’avoir mis en lumière une partie de son trésor culturel».
Symbole de la tolérance sénégalaise
Il confirme que son œuvre «d’inculturation musicale» a donné un magnifique élan au dialogue interreligieux, au Sénégal et plus largement en Afrique. Un travail effectué avec la collaboration de nombreux griots musulmans, dont la kora est l’instrument de prédilection. «La kora s’utilise traditionnellement pour faire les louanges d’une personne. Le Père Catta l’a utilisée pour faire la louange de Dieu», note le Frère Thomas.
Le Sénégal, qui compte 94% de musulmans, est réputé pour sa tolérance religieuse. Le sous-prieur estime ainsi que les réalisations du Père Catta représentent parfaitement le désir des Sénégalais de vivre l’unité dans la diversité. Pour preuve, les instruments de la kora et du balafon sont cités dans la première phrase de l’hymne national.
Frère Thomas a lui-même appris à jouer de la kora et à chanter sur cet instrument avec le Père Dominique. «Maintenant, il nous appartient de poursuivre son œuvre, de maintenir la flamme qu’il a allumée», assure-t-il. (cath.ch/rz)
Keur Moussa, une quête artistico-spirituelle
L’épopée de Keur Moussa a commencé en 1963, au lendemain de l’indépendance du Sénégal. Dominique Catta faisait alors partie d’un groupe de neuf moines de l’Abbaye bénédictine de Solesmes, venus implanter la vie monastique au Sénégal. En posant le pied sur cette terre musulmane, il était déjà profondément marqué par le chant grégorien. Des sonorités découvertes et assidûment travaillées dans le monastère sarthois où il était entré à l’âge de 20 ans. «J’ai vécu profondément le chant grégorien pendant 17 ans. Je pense que c’est providentiel», affirmait Dominique Catta à l’agence Apic en 2012.
Peu après son arrivée, il a fait une expérience culturelle «bouleversante», qui a orienté son travail artistico—spirituel. Lors d’une fête, dans le village de Keur Moussa, il a écouté et enregistré, caché derrière la foule avec son magnétophone, les chants locaux en sérère, une langue locale. «Tout ça est très beau», a-t-il alors pensé. Il y a là une richesse». L’idée lui est ainsi venu de mettre des paroles chrétiennes sur la chanson, «de sorte que Dieu enrichisse cette musique». Cette découverte survenait dans le contexte de la sortie des premiers documents du Concile Vatican II. La constitution sur la liturgie encourageait les missionnaires à s’ouvrir aux richesses culturelles des peuples parmi lesquels ils vivaient.
L’expérience de la musique africaine
L’expérience de la fête villageoise a immédiatement lancé Dominique Catta dans la composition de chants pour les ouvriers chrétiens qui travaillaient à l’Abbaye. En 1964, un prêtre diocésain sénégalais lui a offert une kora à clés de bois, instrument qui a été au cœur de son œuvre. Il a également écouté à ce moment-là les émissions musicales de Radio Sénégal. Il a travaillé ensuite sur des bandes magnétiques conservées à l’Université de Dakar. Elles comprenaient des enregistrements de chants de l’ancien empire français en Afrique, au nord et au sud du Sahara. Dominique Catta confessait y avoir découvert «la musique de sa vie». Il soulignait avoir beaucoup de respect pour cette musique africaine ancienne, différente de la musique moderne, «celle des villes, qui distrait l’homme et le détourne de sa vraie fin».
Succès international
La musique «hybride» du Père Dominique a dépassé progressivement les frontières du Sénégal et a connu un vif succès à l’échelle internationale. Elle est toujours actuellement reprise pour des cérémonies ou des concerts dans des monastères et paroisses, en France et ailleurs.
Le travail des bénédictins sur la musique sacrée a été récompensé par plusieurs hautes distinctions. Les disques de Keur Moussa ont valu aux moines de recevoir en 1993 aux États-Unis le prix international de musique Albert-Schweitzer. En 2004, l’abbaye a reçu le Prix annuel des Académies pontificales. Les moines se sont également vus décerner la Légion d’Honneur française en 2012. En 2016, le Sénégal a élevé le Frère Dominique Catta au rang de «trésor humain vivant», une distinction reconnue par l’UNESCO.
Le président et poète sénégalais Léopold Sédar Senghor (1906-2001), avait également reconnu «l’apport notoire» de la liturgie inculturée dans l’histoire de l’Eglise en Afrique. RZ