Le chemin de croix du Vendredi-saint
Le pèlerinage de Jérusalem en miniature
Les fêtes religieuses durant l’année liturgique 4
Fribourg, 15 mars 2013 (Apic) Une des traditions les plus fortes de la Semaine-sainte qui précède la célébration de Pâques est chez les catholiques le Chemin de croix. Dans de nombreux lieux, les chrétiens refont le Vendredi-saint ce pèlerinage de Jérusalem en miniature.
Bien qu’il ne constitue pas une célébration liturgique proprement dite, le Chemin de croix s’est répandu partout, sous des formes les plus variées. Il a donné lieu à d’innombrables représentations artistiques, musicales, littéraires ou théâtrales. Dans nos contrées il n’est pratiquement pas une seule église qui n’ait pas son Chemin de croix, en peinture, en mosaïque ou en relief.
Le Chemin de croix entend faire revivre en quatorze stations les épisodes de la passion de Jésus tels que décrits par les évangiles et la tradition. Il comprend le jugement, la montée au calvaire, le crucifiement et de la mort du Christ.
Une pratique héritée des Franciscains du Moyen-Age
Si la pratique actuelle du chemin de Croix remonte aux XIV et XVe siècle, ses origines se fondent dès les premiers siècles du christianisme. Après l’édit de Milan en 313, par lequel l’empereur romain Constantin accordait la reconnaissance des chrétiens, les fidèles voulurent se rendre à Jérusalem sur les lieux de la vie, de la mort et de la résurrection du Christ, en particulier durant la semaine précédant Pâques. Ces endroits devinrent des lieux de pèlerinage. Selon le récit de la pèlerine Ethérie, à la fin du IVe siècle, on célèbre le Vendredi-saint à Jérusalem.
Au Moyen-Age, le pèlerinage est un des éléments importants de la vie chrétienne. On marche vers Jérusalem, Rome ou Saint-Jacques de Compostelle. Mais à la suite de la prise de la Palestine par les Arabes, le pèlerinage en Terre Sainte cessa d’être un phénomène de masse, pour devenir une aventure onéreuse et à l’issue incertaine. Après l’épisode des croisades et du royaume latin de Jérusalem, la Terre Sainte fut entièrement reprise par les Turcs à la fin du XIIIe siècle. En vertu d’un accord avec les Ottomans, les Franciscains devinrent au XIV siècle les custodes (gardiens) des Lieux Saints. Ils dirigeaient alors les exercices spirituels des pèlerins sur la ’via dolorosa’ suivie par le Christ, du tribunal de Pilate, au bas de la ville, jusqu’à son sommet, le Golgotha, lieu de la crucifixion de Jésus.
Ces sont les Franciscains qui eurent l’idée d’adapter cette méditation de la passion du Christ à la vie courante des fidèles, aussi en dehors de Jérusalem. Ils voulurent permettre à ceux qui ne pouvaient pas se rendre en Terre Sainte d’accomplir la même démarche que les pèlerins.
Benoît XIV recommande en 1742 l’extension de cette dévotion
Ils disposèrent pour cela, en plein air ou dans des églises des localités où ils étaient installés, des représentations imagées des scènes les plus marquantes de la passion du Christ et firent prier les fidèles devant chacune de ces «stations». Dans les rues des cités, les chemins des villages ou autour des églises, les croyants pouvaient ainsi revivre à leur échelle le pèlerinage de Jérusalem.
Au début, le nombre des stations et les scènes représentées étaient variables. Ce ne fut qu’au XVIIIe siècle que le chiffre fut arrêté à 14 par les papes Clément XII et Benoît XIV. En 1742, ce dernier pape exprima le souhait que «ce saint exercice se répande de plus en plus pour l’utilité du monde catholique». Il exhorta «les curés de tous les lieux et de toutes les villes à introduire cette dévotion». Le Chemin de croix ne devint cependant jamais une célébration liturgique au sens propre du terme.
Des traditions apocryphes
Le chemin de croix traditionnel a pour particularité d’introduire des éléments qui n’appartiennent pas aux évangiles canoniques mais se réfèrent à des traditions apocryphes. C’est le cas en particulier de l’épisode du voile de Véronique. Le personnage de Véronique – Bérénice dans la tradition grecque – apparaît dans un récit du VIIIe siècle qui agrège probablement des traditions antérieures. Selon ce texte, elle serait la femme qui fendit la foule des curieux pour essuyer le visage de Jésus montant au calvaire. De retour à la maison, elle aurait eu la stupéfaction de voir l’empreinte du visage du Christ imprimée sur le linge. Cette image authentique «vera icon» serait, selon l’étymologie populaire, à l’origine du prénom de Véronique. Quoiqu’il en soit, sa légende perdure aujourd’hui.
Une évolution qui se poursuit
L’évolution du Chemin croix s’est poursuivie au cours du XXe siècle. C’est ainsi que depuis 1958 et la construction d’un Chemin de croix à Lourdes, on a pris l’habitude d’ajouter, après la 14e station de la mise au tombeau, une 15e consacrée à l’arrivée des femmes devant le tombeau vide au matin de Pâques.
En 1964, le pape Paul VI rétablit la tradition du rite du Chemin de croix dans la soirée du Vendredi-saint au Colisée.
Dans le souci de donner un fondement plus évangélique à cette dévotion, Jean Paul II, tout en conservant le nombre de stations, en a modifié l’ordonnancement. Il a remplacé celle du voile de Véronique, de la rencontre de Jésus avec sa mère et celles des trois chutes de Jésus sous le poids de la croix, par l’agonie au Jardin des Oliviers, la trahison de Judas, le reniement de Pierre, la promesse du paradis au bon larron et la présence de Marie et Jean au pied de la croix. Un changement qui ne s’est cependant pas imposé à son successeur, puisque Benoît XVI a utilisé tantôt la formule traditionnelle, tantôt celle de Jean Paul II.
Depuis 1985, le Chemin de croix du Colisée a pris des allures œcuméniques. Alors que ni l’orthodoxe ni le protestantisme ne connaissent cette dévotion, le pape a invité des personnalités d’autres confessions à en rédiger les méditations. Le pape François pourrait lui aussi changer la tradition.
Le Chemin de la Croix
Paul Claudel (1868-1955)
Première station
C’est fini. Nous avons jugé Dieu et nous l’avons condamné à mort. Nous ne voulons plus de Jésus-Christ avec nous, car il nous gêne. Nous n’avons plus d’autre roi que César ! d’autre loi que le sang et l’or ! Crucifiez-le, si vous le voulez, mais débarrassez-nous de lui ! qu’on l’emmène !
Les 14 stations traditionnelles
I Jésus est condamné à mort
II – Jésus est chargé de sa Croix
III – Jésus tombe sous le poids de sa Croix
IV – Jésus rencontre sa Mère
V – Simon de Cyrène aide Jésus à porter sa Croix
VI – Véronique essuie la face de Jésus
VII – Jésus tombe pour la deuxième fois
VIII – Jésus console les femmes de Jérusalem
IX – Jésus tombe pour la troisième fois
X – Jésus est dépouillé de ses vêtements
XI – Jésus est cloué sur la Croix
XII – Jésus meurt sur la Croix
XIII – Jésus est descendu de la Croix et remis à sa Mère
XIV – Jésus est mis au tombeau
Les stations évangéliques
I – Jésus au jardin des Oliviers
II – Jésus, trahi par Judas, est arrêté
III – Jésus est condamné par le Sanhédrin
IV – Jésus est renié par Pierre
V – Jésus est jugé par Pilate
VI – Jésus est flagellé et couronné d’épines
VII – Jésus est chargé de la croix
VIII – Simon de Cyrène aide Jésus à porter la croix
IX – Jésus rencontre les femmes de Jérusalem
X – Jésus est crucifié
XI – Jésus promet son Royaume au bon larron
XII – Jésus sur la croix, sa mère et son disciple
XIII – Jésus meurt sur la croix
XIV : Jésus est déposé au sépulcre
XV – Avec Marie dans l’espérance de la résurrection du Christ»
Les Eglises orthodoxes
Les Eglises orthodoxes ne connaissent pas la tradition du Chemin de croix. Le Vendredi-saint ou Grand vendredi se déroule le rite dit de l’Epitaphe. On sort de l’église l’épitaphe, représentant la pierre fermant le tombeau du Christ. A la lueur des flambeaux, les fidèles font en procession trois fois le tour de l’église, en s’arrêtant quatre fois par tour au son des prières et des chants. A la fin de la célébration, l’épitaphe est ramenée dans l’église ou elle restera jusqu’à l’Ascension. A noter que le Vendredi-saint est aussi la fête des morts, comme le lendemain de la Toussaint chez les catholiques.
Les Eglises protestantes
La réforme protestante du XVIe siècle a aboli la pratique du chemin de croix, à l’instar du culte de la Vierge ou des saints. Le Vendredi-saint reste cependant un des moments principaux de l’année liturgique protestante. Les XVIIe et XVIIIe siècles ont développé une célébration particulière se déroulant l’après-midi du Vendredi-saint, l’office des Ténèbres, mélange de lectures de la Passion et de pages musicales composées pour la circonstance, autour d’une gestuelle dramatique scénarisée.
(apic/mp)