Le cardinal Béchara Raï, patriarche maronite du Liban | © ANI
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Le patriarche Béchara Raï, «pivot de la vie politique» au Liban

Alors que le Liban fait face à une hyperinflation, à une vague de licenciements, à un chômage exponentiel, au surendettement, la moitié des Libanais vit désormais sous le seuil de pauvreté. Réitérant son plaidoyer pour la neutralité du pays du Cèdre, le patriarche Béchara Raï est désormais le «pivot de la vie politique», estime le quotidien libanais «L’Orient-le Jour».

Le cardinal Béchara Raï pour que le Liban devienne le défenseur de la paix, sans se mêler des politiques et conflits régionaux ou internationaux. Sur le site Vatican News, le 16 juillet 2020, le patriarche maronite désignait le Hezbollah «qui fait ses guerres et entraine le Liban avec lui en Syrie ou au Yémen… Ce n’est pas normal. Cette neutralité du Liban,  qui fait partie de son essence, est aujourd’hui déchirée. Et malheureusement la mainmise du Hezbollah sur la politique et le gouvernement, fait que nous sommes délaissés par les pays arabes, par l’Europe et les Etats-Unis».

Le Liban, autrefois qualifié de «Suisse du Moyen-Orient», vit depuis l’une des pires crises de son histoire depuis l’éclatement des premières manifestations en octobre 2019. En avril, près de 50% de la population libanaise vivait sous le seuil de pauvreté, et plus de 20% sous le seuil d’extrême pauvreté, selon les dernières données disponibles de la Banque mondiale.

Le confessionnalisme politique en question

La classe politique libanaise est rendue responsable du naufrage actuel et c’est encore contre elle que les Libanais se sont mobilisés en masse dès l’automne dernier, fustigeant son impéritie et sa corruption, l’accusant d’avoir fait prévaloir les intérêts particuliers plutôt que celui de la nation. Les manifestants réclamaient alors la fin du «système», celui d’une répartition des pouvoirs en fonction des communautés religieuses, propice, selon eux, au clientélisme.

Après avoir présidé la messe dominicale dans sa résidence d’été de Dimane, le patriarche Béchara Raï a vu son appel à la neutralité, lancé sur la scène locale il y a déjà deux semaines, polariser de plus en plus les parties politiques.

Le cheikh Abdel Amir Kabalan, président du Conseil supérieur chiite | © Jacques Berset

Cette «neutralité positive» – qui est la vraie «vocation du Liban», rappelle le prélat maronite, a fait sortir du bois autant des défenseurs que des détracteurs, à l’instar du cheikh Abdel Amir Kabalan, président du Conseil supérieur chiite, et d’autres dignitaires de la même communauté. Il a dénoncé «la bêtise et la mesquinerie» de «ceux qui sympathisent avec les traîtres et les collaborateurs, sous divers slogans, cherchant à déformer l’image du Liban résistant après son triomphe sur l’ennemi sioniste».

Pas une proposition confessionnelle

Durant le week-end, et notamment dans son homélie du 19 juillet 2020 à Dimane, le patriarche maronite «a repris son bâton de pèlerin pour mieux expliciter cette proposition qui a mis le pays en émoi, assurant qu’il ne s’agit pas ‘d’une proposition confessionnelle, de classe ou importée, mais une réappropriation de notre identité et de notre nature libanaise’», rapporte «L’Orient-le Jour».

Dans le sillage du rôle national joué traditionnellement par les chefs de l’Eglise maronite, le patriarche Béchara Raï a affirmé que «la neutralité n’est pas une proposition confessionnelle, de classe ou importée, mais une réappropriation de notre identité et de notre nature libanaise».

Pour un vivre ensemble équilibré

Pour lui, la neutralité constitue «une démarche de salut pour tous les Libanais sans exception». Et d’espérer que le concept de neutralité sera compris de manière objective, à travers des dialogues intellectuels qui révéleront sa nature nationale et politique et son importance pour le développement du Liban et de la région.

Le prélat a rappelé que l’Etat libanais, depuis son indépendance en 1943, a instauré son rôle indépendant dans le système des nations, élaborant sa charte nationale sur la base d’un vivre ensemble équilibré, dans le respect des droits et des obligations de toutes les composantes du pays.

«Ni Orient ni Occident»

Selon ce pacte national, l’Etat a déclaré sa neutralité se basant sur le droit international, adoptant l’expression «ni Orient ni Occident», en préservant les droits de l’Homme et des populations et en s’ouvrant à tous les pays à l’exception d’Israël, en raison de son hostilité et de l’occupation.

«Le Liban s’engage également à promouvoir le dialogue entre les religions, les cultures et les civilisations et à défendre les problèmes arabes communs et la cause palestinienne, sans conclure d’alliances régionales, internationales, politiques, idéologiques ou militaires», a conclu le prélat.

L’incapacité du gouvernement fustigée

Selon le quotidien libanais francophone, le patriarche maronite est déterminé à aller jusqu’au bout pour défendre son idée. Il l’a d’ailleurs lui-même réaffirmé dimanche soir 19 juillet, lors d’une messe à Harissa, lorsqu’il a dit que «la prise de position en faveur de la neutralité n’est pas circonstancielle, mais de principe». Le cardinal Raï devrait se rendre au Vatican incessamment, dès cette semaine pour certains, ou vers la mi-août pour d’autres, en attendant le retour du pape François. Mais l’appui à la neutralité du Liban ne vient pas que du Vatican, poursuit «L’Orient-le Jour».

Le prélat maronite a également critiqué le gouvernement de Hassane Diab, en évoquant la crise actuelle. «Nous compatissons aujourd’hui avec les Libanais qui souffrent de la pauvreté et de la pénurie, alors que leur nombre augmente en raison de l’incapacité du gouvernement à effectuer des réformes dans les secteurs concernés».

Le patriarcat aux rendez-vous de l’histoire

Rappelons la place particulière qu’a constamment occupée le patriarcat maronite durant les phases charnières de l’histoire du pays du Cèdre. Ce rôle-pivot s’explique par deux facteurs fondamentaux qui se complètent l’un l’autre: l’attachement ferme du chef de l’Eglise maronite à l’indépendance et à la liberté du Liban, en général, et des chrétiens, en particulier, et la place occupée par le patriarcat en cas de flottement au niveau du leadership politique, rappelle le quotidien de Beyrouth. Sans le désigner explicitement, le patriarche vise le parti chiite Hezbollah qui, selon «L’Orient-le Jour» continue «de prendre en otage le pays tout entier, et plus particulièrement la légalité, pour servir les intérêts et les visées d’une puissance régionale».

Pour le journal, la position du patriarche ne se limite pas simplement à une «perception chrétienne» de la conjoncture présente, mais elle défend surtout une certaine image du Liban, sa vocation historique de «pays message, de centre de rencontre et de dialogue des civilisations et des religions, ouvert sur le monde dans sa globalité».

Contre la tutelle syrienne et les débordements palestiniens armés

La longue histoire de l’Eglise maronite est riche en exemples similaires qui illustrent la défense par le patriarcat maronite des fondamentaux qui constituent la raison d’être de l’entité libanaise. Et de citer «l’appel de Bkerké» de septembre 2000, rédigé par l’Assemblée des évêques maronites sous la présidence du patriarche Nasrallah Sfeir, qui, à la suite du retrait israélien de mai 2000, réclame le retrait syrien du Liban.

«Ce document a créé les conditions objectives et a pratiquement pavé la voie au retrait des troupes de Damas en avril 2005, d’autant qu’il a été précédé et suivi d’une attitude ferme du patriarche Sfeir concernant la tutelle syrienne».

Porte-étendard de la neutralité

Le patriarcat maronite avait tiré également la sonnette d’alarme trois décennies plus tôt lorsque la souveraineté et l’indépendance du Liban étaient bafouées par l’OLP de Yasser Arafat. Le patriarche maronite Paul Méouchi soulignait alors que la poursuite de la «politique de concessions» devant les débordements palestiniens armés mènera le pays à la catastrophe. «C’était cinq ans avant le déclenchement de la guerre libanaise, en avril 1975, sous l’effet des structures paraétatiques mises en place par les organisations palestiniennes».

«En se faisant le porte-étendard de la neutralité, le cardinal Raï cherche à sauvegarder ces fondamentaux qui sont aujourd’hui gravement menacés parce qu’ils sont axés essentiellement sur la liberté et l’indépendance, le respect du pluralisme et de la diversité culturelle, autant de constantes nationales qui sont l’antithèse de ce que le Hezbollah tente d’imposer manu militari aux Libanais en s’impliquant directement dans les conflits en cours dans plusieurs pays arabes». (cath.ch/ani/orj/vaticannews/be)

Le cardinal Béchara Raï, patriarche maronite du Liban | © ANI
20 juillet 2020 | 14:39
par Jacques Berset
Temps de lecture : env. 5  min.
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