Le pape François nomme un proche à la Doctrine de la foi

Le pape François a nommé l’archevêque argentin Mgr Víctor Manuel Fernández, 60 ans, préfet du dicastère pour la Doctrine de la foi (DDF), a annoncé le Bureau de presse du Saint-Siège le 1er juillet 2023. Ce théologien très proche du pontife succède au cardinal Luis Francisco Ladaria Ferrer, qui à 79 ans conclut son mandat. En nommant son compatriote comme «gardien du dogme», le pape lui donne une feuille de route prônant l’annonce de la miséricorde et non pas le contrôle et la condamnation. 

Mgr Fernández était jusqu’à présent archevêque de La Plata et ce depuis 2018. Avec cette nouvelle fonction qui commencera officiellement mi-septembre, précise le Saint-Siège, il reçoit aussi la charge de président de la Commission biblique pontificale et de la Commission théologique internationale. 

La mission que lui confie le pape 

Dans une lettre au nouveau préfet, le pape François précise les contours de sa mission, lui demandant de consacrer son « engagement personnel plus directement à l’objectif principal du dicastère qui est de ›garder la foi’». Le pape explique que l’autre section du dicastère, consacrée aux questions disciplinaires et liées en particulier à l’abus de mineurs, est conduite par des « professionnels très compétents ».

L’objectif du DDF, poursuit le pape, est de « veiller sur l’enseignement qui découle de la foi afin de donner une raison à notre espérance, mais pas comme des ennemis qui montrent du doigt et condamnent ». Et de critiquer vertement les « méthodes immorales » utilisées par ce dicastère héritier du Saint-Office, au cours de son histoire : « Il fut un temps où, au lieu de promouvoir la connaissance théologique, on poursuivait d’éventuelles erreurs doctrinales ». 

Le pontife donne alors un « critère fondamental » pour les travaux théologiques : « Considérer comme inadéquate toute conception théologique qui […] met en doute la toute-puissance de Dieu et surtout sa miséricorde ». « Nous avons besoin d’une pensée qui puisse présenter de manière convaincante un Dieu qui aime, qui pardonne, qui sauve, qui libère, qui promeut les personnes et les appelle au service fraternel », insiste-t-il.

Saluant la capacité de Mgr Fernández à « faire dialoguer les connaissances théologiques avec la vie du peuple saint de Dieu », le pape estime qu’on ne peut imposer « une seule manière » d’exprimer la vérité. « Les différentes lignes de pensée philosophique, théologique et pastorale, si elles se laissent harmoniser par l’Esprit dans le respect et l’amour, peuvent aussi faire grandir l’Église », affirme-t-il, assurant que « cette croissance harmonieuse préservera la doctrine chrétienne plus efficacement que n’importe quel mécanisme de contrôle ». 

Le pape François rappelle aussi que « la réalité est supérieure à l’idée », mettant en garde contre « une théologie de bureau », une « logique froide et dure qui cherche à tout dominer ». 

Qui est le nouveau préfet du DDF ?

Mgr Víctor Manuel Fernández est un proche du pape François. En 2007, l’alors cardinal Bergoglio et lui faisaient partie tous deux du groupe de rédaction du «document d’Aparecida», en conclusion de la Ve conférence des évêques latino-américains. Ce texte, qui met l’accent sur l’importance de la religiosité populaire, le décentrement de l’Eglise vers les périphéries existentielles et la conversion pastorale de chacun des membres du peuple de Dieu, est considéré comme programmatique du pontificat actuel. 

En 2014, un an après l’élection de Jorge Mario Bergoglio, Mgr Fernández a d’ailleurs publié un livre exposant «le projet de François» (éditions emi). Il est aussi considéré comme l’une des plumes de l’exhortation apostolique Amoris laetitia – dont une note controversée ouvre la possibilité de communion pour les personnes divorcées-remariées –, publiée à la suite du Synode des évêques de 2014 et de 2015 sur la famille, auquel il a participé. 

Né le 18 juillet 1962 à Alcira Gigena, dans la province de Córdoba, Víctor Manuel Fernández a été ordonné prêtre le 15 août 1986 pour le diocèse de Villa de la Concepción del Río Cuarto. Après des études de théologie biblique à l’Université pontificale grégorienne à Rome, il a fait un doctorat en théologie à la faculté de théologie de Buenos Aires.

Durant son ministère dans son diocèse de Córdoba, le père Fernández a été curé de paroisse, mais aussi formateur au séminaire, responsable pour l’œcuménisme et pour la catéchèse. Il a fondé par ailleurs un Institut de formation des laïcs et des enseignants. 

En 2008 et 2009, le père Fernández a été président de la Société théologique argentine et doyen de la faculté de théologie de l’Université catholique argentine ; en 2009 il est nommé recteur de cette même université par celui qui était alors archevêque de Buenos Aires, le cardinal Bergoglio. Mais sa nomination reste bloquée au Vatican, obligeant le cardinal Bergoglio à venir plaider sa cause à Rome, pour obtenir finalement l’approbation de Benoît XVI en 2011.

Signe de proximité entre les deux Argentins : à peine deux mois après son élection, le 13 mai 2013, le pape François nomme le recteur archevêque. Mgr Fernández est consacré évêque le 15 juin de la même année. 

Au Vatican, Mgr Fernández a été consulteur de la congrégation pour l’Éducation catholique et est actuellement membre du dicastère pour la Culture et l’éducation. Au sein de la Conférence épiscopale argentine, il est président de la commission pour la foi et la culture depuis 2017. Il est par ailleurs l’auteur de nombreuses publications traduites en diverses langues, abordant entre autres des thèmes bibliques et des questions sociales, ou encore des thématiques humaines comme « l’art du baiser ».

La nomination de ce profil à la tête de ce dicastère marque une rupture. Dans un livre paru en début d’année, l’ancien préfet de la Doctrine de la foi, écarté en 2017, le cardinal Gerhard Ludwig Müller, cite Mgr Fernández parmi ses détracteurs, et critique plus largement des théologiens sud-américains qui défendent « la primauté de la pastorale » sur le dogme.

Départ du cardinal Ladaria Ferrer

Mgr Fernández remplacera donc à l’automne le jésuite espagnol Luis Ladaria, qui termine son mandat au DDF après six ans (2017). Le cardinal avait été nommé secrétaire du même dicastère par Benoît XVI en 2008. Le pape François l’avait choisi comme préfet en 2017 pour remplacer le cardinal Müller.

Au sein de ce dicastère, il a notamment mené les travaux de la commission de dialogue doctrinal entre l’Église catholique et les Lefebvristes – dialogues qui n’ont pas permis de trouver un accord commun – et de la première Commission d’étude sur le diaconat féminin de 2016, qui avait conclu que le rôle de diaconesse n’apporterait pas plus de reconnaissance aux femmes dans l’Église. 

Sous sa présidence, le DDF a publié en 2021 un «Responsum” remarqué, refusant la bénédiction des unions de personnes du même sexe, qui provoqua un tollé médiatique, certaines sources affirmant que le pape François n’aurait pas apprécié le ton du document. Pendant la pandémie de coronavirus, le dicastère a publié une note expliquant que, compte-tenu du contexte grave, il était moralement acceptable d’utiliser des vaccins pour lesquels des lignées cellulaires provenant de fœtus avortés ont été utilisées dans le processus de recherche et de production. Cette décision suscita de nombreuses polémiques.  

En 2018, le préfet espagnol avait exprimé sa « sérieuse préoccupation » face aux partisans du sacerdoce féminin. Il a fait aussi partie des cardinaux de la Curie, aux côtés du cardinal Ouellet, à avoir publiquement exprimé son inquiétude concernant le chemin synodal allemand lors de la visite ad limina des évêques allemands en 2022. Il a signé une lettre demandant aux évêques allemands de mettre fin au projet de conseil synodal en 2023.

Le cardinal Ladaria a lui-même été entaché par un scandale de couverture d’abus du fait d’une lettre envoyée en 2015 au diocèse de Lyon dans laquelle il invitait à la discrétion pour éviter le scandale dans le cadre de l’affaire Preynat-Barbarin. (cath.ch/imedia/cd/mp)