Le pape François, excellent communicant ou pape normal ?

«Qui suis-je pour juger ?, Saint-Pierre n’avait pas de compte en banque, le confessionnal n’est pas une chambre de torture…» Il n’y a pas de doute, le pape François a le sens de la formule. Si bien que plusieurs médias l’ont qualifié à maintes reprises de bon communicant.

En trois ans de pontificat, si beaucoup de ses phrases choc ont fait mouche, d’autres lui ont aussi joué des tours. On se demande alors si le pape François ne serait pas plutôt un pape normal, privilégiant spontanéité et franchise… à ses risques et périls.

Le pape fait preuve d’une spontanéité… maîtrisée

Dès son premier voyage apostolique pour les Journées Mondiales de la Jeunesse (JMJ) de Rio, à l’été 2013, le pape François instaure une nouvelle tradition: à l’inverse de ses prédécesseurs, il propose une conférence de presse durant le vol retour plutôt qu’à l’aller.

Un choix habile: combien de fois les propos mal interprétés de Benoît XVI avaient-ils gâché sa visite avant même qu’il soit arrivé à destination ? François fait alors preuve d’une spontanéité… maîtrisée. Interrogé sur l’avortement, il se contente d’un froid et prudent: «vous connaissez la position de l’Eglise». Revenant de Terre sainte, au printemps 2014, questionné sur l’éventuelle béatification polémique de Pie XII, il se borne à expliquer qu’il manque un miracle.

Une simplicité qui en désarme plus d’un

Devant la presse, il n’hésite pas non plus à avouer avoir des doutes, voire, une totale ignorance du sujet, comme lorsqu’on le questionne à propos des élections européennes. Si cette sincérité plaît au départ, elle finira par en agacer certains. Interrogé un autre jour sur la politique d’austérité en Grèce, il confie être «allergique à l’économie» et qu’il ne «comprend pas bien la situation».

A un journaliste qui lui demande si, en opposant riches et pauvres, il n’oublie pas les classes moyennes, le pape répond avec humilité : «Vous avez raison. Belle correction (…) Je crois que je dois approfondir ce point dans le magistère». Une simplicité qui en désarme plus d’un, espérant du chef de l’Eglise catholique un peu plus d’autorité. D’autres, en revanche, sont séduits par sa sincérité. Mais parfois, ce franc-parler crée certains dérapages…

Le «coup de poing» et les «lapins»

Lors de son voyage au Sri Lanka et aux Philippines en janvier 2014, le pape François aura fait fort. Dans l’avion qui le mène vers l’archipel philippin, interrogé sur la liberté d’expression, en réaction à l’attentat meurtrier contre le journal satirique «Charlie Hebdo», il prononce cette fameuse phrase: si un ami «dit un gros mot sur ma mère, il doit s’attendre à recevoir un coup de poing». La phrase provoque un torrent de réactions dans les médias français.

Le Père Federico Lombardi, ›porte-parole’ du Vatican, a à peine le temps de réagir qu’une autre bombe médiatique est à nouveau catapultée par le pape argentin. Dans l’avion qui le ramène vers Rome, il plaisante à propos des familles nombreuses: «Certains croient que – pardonnez-moi l’expression – pour être de bons catholiques, on doit être comme des lapins».

Cette fois-ci, l’humour du pontife passe mal auprès des familles nombreuses catholiques. Il doit lui-même corriger le tir, deux jours plus tard à l’audience générale, assurant que les familles nombreuses sont «un véritable don de Dieu». Ces couacs médiatiques ne semblent pourtant pas inciter François à davantage de prudence.

Donald Trump et les murs

En février dernier, le pape François crée une nouvelle tempête médiatique lors de la conférence de presse du vol retour du Mexique. Un journaliste lui demande si un catholique doit voter pour Donald Trump, lui expliquant que le candidat républicain à la présidentielle américaine souhaite construire un mur pour repousser les migrants à la frontière mexicaine.

Le pape répond qu’un «homme qui pense seulement à construire des murs et non à faire des ponts n’est pas chrétien». Donald Trump réagit en jugeant les propos du pape «honteux», avant de calmer le jeu. Fait inédit: au lendemain, le Père Lombardi fait une longue mise au point sur les propos du pape.

«Eviter la grossesse n’est pas un mal absolu»

Il en profite aussi pour clarifier sa pensée sur la contraception. A bord de l’avion papal, interrogé sur le virus Zika, le pape avait affirmé qu’»éviter la grossesse n’est pas un mal absolu, dans certains cas». Des journalistes y avaient vu, à tort, une ouverture du pape sur la contraception.

Le 1er mars, une énième polémique éclate après une nouvelle formule maladroite du pontife. Dans une conversation à huis clos devant une délégation du mouvement français des «Poissons roses», le pape évoque une «invasion arabe» en Europe. Là encore, le directeur du Bureau de presse du Saint-Siège se sent obligé de clarifier les choses… «Le pape n’a pas parlé d’une invasion violente ou préoccupante», explique-t-il de manière un peu bancale.

Un pape normal

Les polémiques, souvent, s’éteignent aussi vite qu’elles sont apparues. Preuve qu’en trois ans de pontificat, ce pape continue de bénéficier, globalement, d’un bon apriori dans la presse. La popularité de ce pape, jugent certains vaticanistes, fait que les médias lui passent tout, ou presque ! Si Benoît XVI avait parlé de «mal absolu» et de «crime» pour l’avortement, ou d’»invasion arabe» comme l’a fait François récemment, ses propos auraient probablement provoqué une vraie déferlante médiatique. Avec le pape argentin, ses expressions pourtant très dures sur l’avortement passent presque inaperçues. L’invasion arabe ? Une formule amoindrie, voire, excusée dans la presse généraliste !

Avant d’être un bon communicant, François est donc surtout un «pape normal». Le Vatican, d’ailleurs, ne dispose pas de vrai «service de communication et de marketing», explique Greg Burke, actuel vice-directeur du Bureau de presse du Saint-Siège. Les clés de communication de François ? Ce sont son «naturel et sa spontanéité», constate-t-il. S’il a conscience du poids des images et des vidéos dans ce monde ultra-connecté, le pape ne cherche pas à en abuser. D’ailleurs, il a horreur des caméras, assure Mgr Dario Edoardo Viganò, préfet du Secrétariat pour la communication. Lors de la signature d’actes importants, ou durant des visites de malades à l’hôpital, il demande expressément aux caméras de sortir.

L’adieu à une certaine sacralisation de la papauté

«C’est le pape de la proximité, qui comme manifeste programmatique de son pontificat, a tout de suite dit : habituez-vous à la normalité», analyse encore Mgr Viganò. «Dépeindre le pape comme une sorte de superman (…) me paraît une offense, assurait le pape François lui-même au début de son pontificat. Le pape est un homme qui rit, qui pleure, qui dort bien (…). Une personne normale».

Si le pape dérape ou se trompe, ce n’est pas grave. Cela fait partie de cette normalisation de la figure pontificale. Au risque de déstabiliser une partie des fidèles habitués à une certaine sacralisation de la papauté. (cath.ch-apic/imedia/bl/be)

Greg Burke aux Journées François de Sales à Annecy en 2014
10 mars 2016 | 16:18
par Jacques Berset
Temps de lecture : env. 5  min.
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