Le pape François et Emmanuel Macron, ici en septembre 2023, se tutoient | © Vatican Media
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Le pape François et la France, une relation délicate

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Pour la seconde fois, les 22 et 23 septembre 2023, le pape François posera le pied sur le territoire français, après sa visite du 25 novembre 2014 à Strasbourg. Mais dans les deux cas, pas question de parler d’une visite en France, car François préfère visiter les pays dits de «périphérie».

Accusé parfois de méconnaître l’Hexagone, dont il critique certaines dérives fruits de la philosophie des Lumières, le pontife argentin a cependant manifesté à de nombreuses reprises son attachement à l’héritage spirituel de l’Église de France et à sa créativité missionnaire actuelle.

Avant la Cité phocéenne, le pape a visité à Strasbourg le Parlement européen et le Conseil de l’Europe, sans assumer de visite pastorale dans ce diocèse concordataire arpenté par Jean Paul II en 1988. Les quelques instants du passage du pontife argentin sur le sol français furent néanmoins marqués par sa rencontre avec Ségolène Royal, alors ministre de l’Écologie, qui lui a demandé de publier son encyclique sur le «soin de la maison commune», Laudato si’, avant la COP21 organisée en France en décembre 2015. Un épisode que le pape racontera souvent lors de ses audiences au Vatican.

Le pape n’a par la suite pas honoré sa promesse de revenir en France pour une visite pastorale, initialement envisagée pour 2015 ou 2016. Les invitations lancées par les présidents Hollande et Macron n’eurent pas de suite. La dernière visite officielle d’un pape dans l’Hexagone demeure donc celle de Benoît XVI en septembre 2008, à Paris et à Lourdes.

François et les présidents

Après avoir brièvement salué le Premier ministre Jean-Marc Ayrault au terme de sa messe d’installation, le 19 mars 2013, le pape François a eu un premier contact plutôt froid avec le président socialiste François Hollande, reçu au Vatican en janvier 2014, quelques mois après la légalisation du mariage entre personnes de même sexe.

Mais l’assassinat du Père Jacques Hamel dans son église de Normandie, le 26 juillet 2016, sera l’occasion d’un réchauffement dans les relations. Le pape dira de François Hollande qu’il lui a parlé «comme un frère» lors d’une conversation téléphonique après cette tragédie. Le président Hollande est venu rencontrer le pape trois semaines plus tard, et les deux hommes se sont salués chaleureusement lors de l’audience aux chefs d’État de l’Union européenne, le 25 mars 2017, à l’occasion du 50e anniversaire du Traité de Rome.

Le pape François a également rencontré Emmanuel Macron à trois reprises, en juin 2018, en octobre 2021 et en octobre 2022. Des dossiers d’intérêts communs ont rapproché la France et le Saint-Siège, notamment la stabilisation du Liban. Mais les évolutions bioéthiques, comme la question de l’IVG et de la fin de vie, ont suscité des inquiétudes à Rome. Marqué par sa formation dans un établissement jésuite, le président français a joué la carte d’une certaine proximité avec le pape, allant jusqu’à le tutoyer.

D’après le programme du voyage à Marseille, ils doivent se rencontrer à trois reprises durant ces deux journées. La question de la fin de vie pourrait revenir sur la table, alors que la présentation du projet de loi autorisant «l’aide active à mourir» a été reportée à cause de la visite du pape. Le pontife a par ailleurs reçu le Premier ministre Jean Castex, le 18 octobre 2021 à l’occasion du centenaire des relations diplomatiques entre la France et le Saint-Siège. Il a également reçu durant son pontificat deux anciens présidents français, hors agenda officiel: Valéry Giscard d’Estaing en 2014, et Nicolas Sarkozy en 2016.

François et la laïcité

Le pontife a fait preuve d’une distance par rapport au modèle français de laïcité, qu’il considère comme ouvrant la voie à une forme d’intolérance. «Je crois que dans certains pays comme en France, cette laïcité a une coloration héritée des Lumières beaucoup trop forte, qui construit un imaginaire collectif dans lequel les religions sont vues comme une sous-culture», regrette-t-il dans son livre d’entretien avec Dominique Wolton, Politique et Société, paru en 2017.

«Quand on dit qu’il ne faut pas porter de croix visibles autour du cou ou que les femmes ne doivent pas porter ça ou ça, c’est une bêtise, car l’une et l’autre attitudes représentent une culture», explique le pontife argentin. Il ajoutait avec humour: «L’un porte la croix, l’autre porte autre chose, le rabbin porte sa kippa et le pape porte sa calotte! La voilà, la saine laïcité!»

Contrairement à Jean Paul II qui, en convergence intellectuelle avec le cardinal Lustiger, avait proposé une relecture de la devise républicaine «Liberté, Égalité, fraternité» en la situant à la lumière de l’enseignement du Christ, le pape argentin s’est montré critique à l’égard d’une «laïcité exagérée» qu’il considère, dans un entretien accordé à La Croix en 2016, comme «un héritage de la Révolution française.»

François et les figures spirituelles françaises

Au lendemain de son élection, le 14 mars 2013, improvisant sa première homélie, le pape François choisit de citer une phrase du Français Léon Bloy, avertissant que «celui qui ne prie pas le Seigneur prie le diable.» Il citera souvent l’écrivain pour souligner «qu’il n’y a qu’une seule tristesse, celle de ne pas être saints», ou encore puisera chez un autre Français, Joseph Malègue, pour développer le concept de «classe moyenne de la sainteté».

Le pape parle difficilement le français mais il le comprend, et il a beaucoup lu d’ouvrages en français durant ses années de formation jésuite, à l’époque du Concile Vatican II. Son confrère jésuite Henri de Lubac (1896-1991) fait ainsi partie de ses sources d’inspiration concernant la dimension «maternelle» de l’Église. Le 1er décembre 2022, en remettant le prix Ratzinger à un autre jésuite, le Père Michel Fédou, le pape François souligne l’apport de la théologie française au Concile.

D’autres personnalités jésuites ont structuré la formation intellectuelle de Jorge Mario Bergoglio, notamment Michel de Certeau (1925-1986), psychanalyste et spécialiste de l’Histoire religieuse, qui a conduit l’Argentin à s’intéresser à des figures mystiques controversées comme les Pères Jean-Joseph Surin (1600-1665) et Louis Lallemant (1588-1635), qui orientèrent la spiritualité ignatienne vers l’attention aux «mouvements de l’âme». Surtout, le pape François, dès la première année de son pontificat, le 17 décembre 2013, a procédé à la canonisation ‘équipollente’ (par simple décret) du prêtre savoyard Pierre Favre, l’un des premiers compagnons de saint Ignace de Loyola lors de la fondation de la Compagnie de Jésus.

Attachement à Charles de Foucauld

Une autre figure française, moins connue, compte beaucoup dans le lien entre le pontife argentin et la France. Il s’agit du prêtre ardéchois Gabriel Longueville (1931-1976), tué en Argentine alors qu’il revenait des obsèques de l’évêque Enrique Angelelli, figure de l’opposition à la dictature militaire, lui-même victime d’un assassinat déguisé en accident de la route. Le Père Gabriel Longueville et Mgr Angelelli, que le futur pape François avait personnellement connus lorsqu’il était provincial des jésuites d’Argentine, ont été béatifiés ensemble en avril 2019. En lien avec cette béatification, l’évêque de Viviers, Mgr Jean-Louis Balsa – devenu depuis archevêque d’Albi –, a développé un contact privilégié avec le pape François, qui a reçu à plusieurs reprises des délégations ardéchoises.

La canonisation de Charles de Foucauld, le 15 mai 2022, a été l’occasion de rappeler le fort attachement du pape François au saint ermite tué en Algérie en 1916. Le 1er décembre 2016, à l’occasion du centenaire de sa mort, il avait notamment invité toute l’Église à cheminer «sur ses traces de pauvreté, de contemplation et de service des pauvres.» Quatre ans plus tard, à l’occasion de son traditionnel discours de vœux à la Curie romaine, il avait offert aux responsables des dicastères une biographie du saint ermite.

Le «monument Pascal»

Enfin, encore plus récemment, le 19 juin dernier, le pape François a consacré une Lettre apostolique – intitulée Sublimitas et miseria hominis ›Grandeur et misère de l’homme’ – au philosophe janséniste français Blaise Pascal (1623-1662). Celui-ci fait partie des références culturelles et spirituelles récurrentes du pontife, ancien professeur de lettres en Argentine.

Dans un entretien accordé en 2017 à Eugenio Scalfari, fondateur du journal italien La Repubblica, le pape François avait même considéré «personnellement» que Pascal «devrait être béatifié.» Ces dernières années, dans ses méditations et enseignements, le pontife a eu plusieurs fois recours au «monument» que constituent ses Pensées.

La «sainte préférée» du pape François, Thérèse de Lisieux (1873-1897), est aussi une Française. Pour le 150e anniversaire de sa naissance, il a accueilli ses reliques place Saint-Pierre lors de l’audience générale du 7 juin 2023 et a annoncé vouloir dédier une lettre apostolique à la sainte patronne des missions. 

Regard positif sur la créativité missionnaire

Le pape a montré à de nombreuses reprises son admiration pour la créativité française, notamment en recevant de nombreux groupes engagés dans l’écologie humaine et le service aux pauvres. Les membres de l’association Lazare ont ainsi bénéficié de moments privilégiés avec le pape François, qui a institué la Journée mondiale des pauvres sur une proposition du cofondateur de cette association de colocation solidaire, Étienne Villemain, un «enfant terrible» comme aime le qualifier le pape.

Au printemps 2021, en pleine épidémie de Covid-19, d’anciens sans-abris de l’association ont même vécu en colocation avec le pontife dans sa résidence de Sainte-Marthe pendant trois jours, pour l’interviewer dans le cadre de l’ouvrage Des pauvres au pape. Du pape au monde (Éditions du Seuil), publié un an plus tard.

Également fondé par Étienne Villemain, le ‘Village de François’ est une autre association se situant dans la filiation du magistère social et écologique du pontife argentin qui a pris le nom de saint François d’Assise. Les membres de cette communauté de vie, qui ont notamment repris l’abbaye Notre-Dame-du-Désert, dans le Midi Toulousain, avaient été reçus par le pape le 14 mai 2022.

Parmi les nombreux acteurs du monde politique et associatif français qui furent reçus par le pape François figurent également les membres du mouvement de chrétiens de gauche «Les Poissons roses», qui furent invités à la Maison Sainte-Marthe pour une réunion informelle avec le pape François le 1er mars 2016.

François et la Ciase

Les évêques français de passage à Rome ont toujours souligné l’écoute fraternelle du pape François et la décontraction des échanges avec le pontife argentin, marquant une différence avec la forme plus protocolaire des audiences avec les papes précédents.

Cependant, certains ont assumé de se sentir quelque peu déroutés par ce pape «qui ne comprend pas notre modèle de laïcité», confiait l’un d’entre eux, ou qui «nous a mis en grandes difficultés», soupirait un autre. Ce dernier évoquait les déclarations étranges du pape dans son avion de retour de Grèce, sur la relation de l’archevêque démissionnaire de Paris, Mgr Michel Aupetit, avec sa secrétaire.

Plus fondamentalement, c’est sur la question des abus que le pape et l’épiscopat français ont semblé prendre des options différentes. La publication du rapport de la Ciase, en octobre 2021, a été observée avec une certaine inquiétude et une distance à Rome, où la promesse d’une audience du pape avec le président de cette commission, Jean-Marc Sauvé, ne s’est jamais concrétisée.

Les vives critiques de l’Académie catholique de France concernant la méthodologie de la Ciase semblent avoir été l’un des facteurs qui ont mené à la suspension de ce projet de rencontre, alors que le président de la Conférence des évêques de France, Mgr Éric de Moulins-Beaufort, avait assuré, à l’automne 2021, qu’elle se tiendrait dans un délai proche.

Six cardinaux français

Le choc provoqué par les statistiques de la Ciase, livrant une estimation de 330’000 personnes agressées au sein des institutions catholiques en France, avait pourtant conduit à une déclaration forte du pape François. Il exprimait alors «la honte» de l’Église lors de l’audience générale en salle Paul VI, dès le lendemain de sa publication. Mais cette sortie n’avait pas eu de suite. En décembre 2021, le pontife argentin reconnaissait même ne pas avoir lu ce rapport, dont une synthèse était pourtant accessible.

Outre les entretiens politiques et les visites épiscopales liées à sa charge, le pape a reçu de nombreuses personnalités françaises, comme le philosophe Edgar Morin, l’écrivain Éric-Emmanuel Schmitt, le Père Guy Gilbert, ou l’évêque dissident Jacques Gaillot.

À noter aussi qu’en deux ans, le pape François a nommé trois cardinaux français: Jean-Marc Aveline (au consistoire du 27 août 2022), ainsi que le nonce apostolique Christophe Pierre et l’évêque d’Ajaccio François-Xavier Bustillo, qui seront créés le 30 septembre prochain. Il avait en 2015 déjà élevé à la pourpre cardinalice le préfet du Tribunal de la Signature apostolique Dominique Mamberti. Avec ces nouvelles arrivées au profil bergoglien, les électeurs français au sein du Collège cardinalice seront au nombre de six, un chiffre historiquement élevé. (cath.ch/imedia/cv/ak/rz)

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Le pape François et Emmanuel Macron, ici en septembre 2023, se tutoient | © Vatican Media
21 septembre 2023 | 17:18
par I.MEDIA

Le Vatican l’avait annoncé. Les 22 et 23 septembre prochains, le pape François ne se rendra pas en France, mais à Marseille. Une visite spécifique dédiée en priorité à la Méditerranée et à l’émigration. Cath.ch vous propose un dossier qui aborde ce voyage sous différemts angles.

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