L'histoire de la fondation du Nouvelliste est passionnante
Suisse

'Le Nouvelliste', un journal créé pour la bataille des âmes

Le journal valaisan Le Nouvelliste fête cette année son 120e anniversaire. L’occasion de revenir sur un pan méconnu de sa création. En effet l’origine du journal le plus lu du Valais est intimement liée à la fondation de l’Œuvre Saint-Augustin par le chanoine Louis Cergneux de l’Abbaye de Saint-Maurice et Mère Marie-Thérèse Sidler.

Le jeune historien Bertrand Métrailler rapporte dans son livre Sauver le Valais par la presse la vision et l’itinéraire du chanoine et de cette jeune femme pour la création d’un journal populaire destiné à l’évangélisation des masses. Après Le Courrier de Genève (1868), La Liberté de Fribourg (1871) et Le Pays de Porrentruy (1873), le Valais catholique entend lui aussi disposer d’un journal capable de répandre la bonne parole face aux progrès du libéralisme, du socialisme et de l’anticléricalisme.

Le Nouvelliste paraît pour la première fois le 17 novembre 1903. Le journal sans illustration de quatre pages, dont une de publicité, connaît une rapide expansion et compte déjà 4’000 abonnés un an plus tard. Son abonnement est fixé à 3 francs par an pour trois numéros hebdomadaires, les mardis, jeudis et samedis.

Bon catholique… comme tout valaisan

La ligne éditoriale est donnée en première page: «Le Nouvelliste se voudra apolitique et… bon catholique, comme tout Valaisan qui a le culte de la Patrie. Organe populaire, il sera le dévoué défenseur de l’agriculteur, du commerçant, de l’industriel.»

Un des intérêts du livre de Bertrand Métrailler est de revenir en détails sur la genèse du projet et de s’attarder sur les deux protagonistes de cette aventure d’abord spirituelle, mais aussi économique et matérielle. Les liens particuliers entre le jeune chanoine Louis Cergneux et sa dirigée Marie Sidler sont illustrés à travers leur abondante correspondante.

Au-delà des multiples péripéties, on découvre deux âmes de combat. Au départ, Le Nouvelliste est donc une entreprise spirituelle. Ses créateurs développent un projet profondément militant pour raviver la foi des Valaisans qui tiédit. C’est une réponse à une préoccupation pour le salut des âmes valaisannes, explique l’historien.

Louis Cergneux

Le chanoine Louis Cergneux, fondateur du ‘Nouvelliste valaisan’ | OSA

Né à Salvan le 16 avril 1867, Louis Cergneux entre à l’Abbaye de Saint-Maurice en 1889. Ordonné prêtre en 1894, il devient professeur au collège de l’Abbaye, puis curé de paroisse. Mais un autre appel résonne en lui, celui d’un ministère dans la presse. Il a compris que l’écrit pouvait avoir une influence décisive sur l’évolution de la société. Il rallie à sa cause Marie Sidler. La jeune femme, fille du professeur de musique de l’Abbaye, entend se donner totalement à l’apostolat dans le but de diffuser la bonne nouvelle de l’Evangile, pour «donner une voix à Dieu», notamment par la presse. 

Déjà vers 1897, le chanoine s’adonne dans sa chambre, à des travaux d’impression. Grâce à une loterie organisée par les élèves du collège, il parvient à acquérir deux presses. Avec l’aide d’un jeune étudiant qui s’initie lui-même au métier de typographe, il publie, en juin 1899, le premier numéro des Echos de Saint- Maurice.

La publication donne des nouvelles de l’Abbaye et publie des textes écrits par ses confrères et des élèves, ou encore par Marie Sidler qui signe sous pseudonyme. Cette feuille mensuelle devient la vitrine du collège et vise à maintenir le lien avec les anciens. De 250 exemplaires au départ, elle passe à 1’200 en 1903. Dès 1900, il trouve de nouvelles machines et l’imprimerie déménage dans une vieille bâtisse que Cergneux loue rue des Terreaux, à Saint-Maurice. Elle prend le non d’Imprimerie Saint-Augustin. 

Mais cette première entreprise ne suffit pas à combler l’appel qu’il ressent. Ce qu’il veut, c’est un journal populaire capable d’entrer dans tous les foyers pour les ramener à l’Eglise.

Un défi éditorial et industriel 

L’entreprise morale et éditoriale est aussi industrielle, car imprimer et diffuser un journal coûte cher.

Le premier défi pour Cergneux est de convaincre l’Abbé et ses confrères chanoines. Plusieurs ne partagent pas cette idée de l’apostolat par la presse. Imprégnés d’enseignement traditionnel, ils y voient une manifestation d’orgueil de Cergneux, voire une oeuvre démoniaque. Pour eux, il vaudrait mieux investir dans un hôpital par exemple. Le chanoine peut compter alors sur le soutien actif de son confrère Joseph Mariétan (qui deviendra par la suite Abbé de Saint-Maurice) et d’un jeune journaliste Charles Haegler, revenu au pays après avoir travaillé dans divers journaux à l’extérieur. C’est lui qui sera rédacteur en chef et la plume du Nouvelliste. Après moult tergiversations, l’Abbé autorise finalement Cergneux à développer son projet.

L’autre défi est celui du financement. A force de persévérance et de persuasion, le chanoine obtient une grosse donation de 65’000 francs d’une riche famille française dans laquelle Marie Sidler avait été préceptrice et qui a avait perdu tragiquement sa fille à l’âge de douze ans.

Le Nouvelliste échappe au chanoine Cergneux

L’aventure du Nouvelliste est lancée le 17 novembre 1903. Mais de fait Cergneux en est rapidement écarté puisqu’il est envoyé comme curé à Bagnes, loin de Saint Maurice. En outre, des dissensions apparaissent rapidement avec Haegler quant à l’orientation du journal. Le chanoine veut un organe d’édification chrétienne, le journaliste estime qu’il doit d’abord défendre l’ordre social et la politique de la classe dirigeante des conservateurs catholiques qui seule permettra de lutter contre la déchristianisation. Le journal qui se proclamait ›apolitique’ dans sa première édition devient l’organe du parti et le restera plusieurs décennies durant.

Un compromis est trouvé en septembre 1904, Saint-Augustin se chargera de l’impression et de la distribution du journal et Charles Haegler sera responsable de sa rédaction dont les bureaux seront séparés de l’imprimerie. Une situation qui se prolongera jusqu’en 1924.

Des femmes aux commandes des machines

Marie Sidler fut la fondatrice des soeurs de Saint Augustin avec le chanoine Cergneux | OSA

L’histoire du Nouvelliste ne doit pas négliger le rôle des femmes. Marie Sidler, de fille spirituelle, devient une ›âme-sœur’ du chanoine qu’elle soutient dans toutes ses initiatives. Malgré sa santé fragile, elle s’installe aux Terreaux, avec quelques autres jeunes filles. Pour remplacer les typographes en grève, elles endossent le tablier d’ouvrières apprenant le métier d’imprimeur. Comme le firent quelque décennies plus tôt les sœurs de Saint Paul à La Liberté de Fribourg.

Le logement dans un dortoir mal chauffé, les journées harassantes à l’atelier, n’entament pas leur enthousiasme. Comme à l’époque, il est encore interdit en Suisse de fonder de nouvelles congrégations religieuses, elles créent d’abord une société anonyme.

En 1906, les premières soeurs font des vœux privés qu’elles remettent aux mains de l’évêque de Sion. Les ouvrières apostoliques sont tenues à la discrétion, elles ne portent pas de costume religieux, elles ne se font pas appeler ›sœurs, mais ›demoiselles’.

En 1908, elles construisent une nouvelle maison et lancent les bulletins de paroisse et ouvrent une librairie. L’histoire de l’Oeuvre de Saint Augustin commence. (cath.ch/mp)  

Bertrand Métrailler: Sauver le Valais par la presse? La création du Nouvelliste valaisan (1898-1906). St-Maurice 2023, Editions Pillet.

La réforme de l’orthographe en 1904 | DR


Les ‘femmes’ deviendront des ‘fames’

Dans ces premières années, Le Nouvelliste est toujours composé de la même manière: un article de tête sorte d’éditorial généralement signé par Charles St-Maurice (le pseudo de Charles Haegler), un récit édifiant sous la rubrique Grains de bon sens, un feuilleton – intitulé en 1904 De la haine à l’amour – et une série de petites nouvelles souvent des faits divers un peu sordides comme des drames de l’alcool ou des accidents. On y trouve aussi parfois des pépites comme celle du 24 novembre 1904 sur la réforme de l’orthographe. MP








L'histoire de la fondation du Nouvelliste est passionnante
12 décembre 2023 | 17:00
par Maurice Page
Temps de lecture : env. 5  min.
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