Le «mariage pour tous», compatible avec le christianisme?
Le peuple suisse décidera, probablement en 2021, s’il veut ou non du «mariage pour tous». Cette question, avec celle de l’homosexualité, font l’objet d’un vif débat dans l’Eglise. cath.ch présente deux points de vue divergents.
Le 1er décembre 2020, le «mariage pour tous», a finalement trouvé une majorité au Parlement suisse. Outre les mêmes droits juridiques pour les personnes homosexuelles et hétérosexuelles, le projet prévoit un accès à l’adoption pour les personnes de même sexe et à la procréation médicalement assistée (PMA) pour les couples de lesbiennes. Un référendum a déjà été annoncé, et le peuple suisse devra probablement trancher sur la question encore en 2021. La Conférence des évêques suisses (CES) s’est vite positionnée, en déclarant, début décembre 2020, qu’elle «ne peut pas accepter sous cette forme» le projet adopté par le Parlement.
cath.ch a confronté, sous une forme de ‘disputatio’ des positions différentes sur ces sujets. Les mêmes questions ont été posées par téléphone au théologien et auteur français Michel Anquetil, ainsi qu’au prêtre valaisan Pierre Yves-Maillard, vicaire général du diocèse de Sion.
Le «mariage pour tous» est-il une revendication légitime?
Michel Anquetil: Il faut rappeler que le mariage est d’abord une institution culturelle, multiforme selon les lieux et les temps. Les religions n’ont fait que s’en emparer pour lui donner une signification propre. Le pouvoir politique ne peut ignorer l’évolution des mœurs et la place donnée à l’individu. Le lien entre institution matrimoniale et famille s’est progressivement distendu. Juridiquement, alors même que d’autres formes d’union existent, le mariage est la reconnaissance d’un couple qui veut vivre son lien dans le cadre des droits et obligations spécifiquement attachés à cette institution. Or parmi ces obligations, il n’y a pas celle de procréer: le mariage de deux personnes qui ne veulent pas d’enfant est parfaitement valide.
Pierre-Yves Maillard: L’Eglise s’engage résolument contre toute discrimination. A ce titre, elle entend promouvoir l’absolue dignité de toute personne humaine, indépendamment de ses convictions ou de son orientation sexuelle. Ceci dit, on peut se demander si la proposition du «mariage pour tous» est la bonne réponse contre la discrimination. Les évêques suisses développent une piste lumineuse en distinguant discrimination et différenciation. N’est-il pas légitime de conserver des différences qui permettent des complémentarités? Le vocabulaire du mariage relève précisément de cet ordre: on marie des réalités distinctes. Il ne me paraît pas discriminatoire de suggérer qu’une union homosexuelle porte un autre nom qu’une union hétérosexuelle, pour «prendre soin des mots» et recourir à des termes distincts pour désigner des réalités différentes.
Les évêques suisses s’inquiètent principalement de la souffrance des enfants qui pourraient résulter d’une impossibilité de connaître leur origine biologique, notamment à cause de la PMA. Qu’en pensez-vous?
PYM: Je ne suis pas psychologue, mais je crois effectivement qu’il s’agit là d’une question essentielle. En dépit de toutes les techniques médicales, un «parent 1» et un «parent 2» (et alors, pourquoi s’arrêter à deux?), éventuellement interchangeables, ne peuvent se substituer pleinement à l’origine de toute identité personnelle, fondée sur l’altérité d’un père et d’une mère. Nous sommes des êtres de don. Nul ne se donne la vie à soi-même; nous la recevons de deux autres qui nous l’ont donnée en se donnant l’un à l’autre. Je vois mal comment on pourrait se couper de la source de ce don sans porter gravement atteinte à la capacité de se donner à son tour.
«Chaque personne devrait toujours se sentir reconnue et acceptée telle qu’elle est en Eglise»
Pierre-Yves Maillard
MA: Il faut remarquer que cette souffrance, réelle, n’est pas propre à la PMA. Les accouchements sous X (qui évitent souvent un avortement) et la filiation adoptive posent aussi le problème des origines, sans que les évêques s’en émeuvent beaucoup.
Je ne pense pas que les enfants aient un «droit» à avoir un père, pas plus que les adultes du reste n’ont un «droit» à avoir un enfant. Il ne suffit pas d’avoir un père pour être un enfant heureux et un futur adulte équilibré.
Il me semble que la question à poser aux candidates à la PMA (ou aux candidats à l’adoption) serait: «Au-delà de votre désir personnel, de quelles capacités affectives et éducatives disposez-vous concrètement pour assurer durablement le bien de l’enfant?»
Le Catéchisme de l’Église catholique ne condamne pas les personnes homosexuelles mais considère que les relations homosexuelles sont «intrinsèquement désordonnées». Pensez-vous qu’un changement devrait survenir sur ce point?
MA: Les actes homosexuels sont considérés comme «intrinsèquement désordonnés» en raison d’une interprétation essentialiste des premiers chapitres de la Genèse et d’une conception de la Création qui attribue à l’homme et à la femme une nature, une essence universelle, un rôle intangible et figé. Cette approche est aujourd’hui combattue par beaucoup de chrétiennes féministes (car elle justifie la structure patriarcale des sociétés) et par les personnes homosexuelles. Une exégèse contemporaine de ces textes, qui tend à devenir unanime, remet en question cette approche au profit d’une autre qui met l’accent sur la qualité de la relation entre les personnes, ce qui ouvre la voie à une relation possible entre personnes homosexuelles fondée sur une altérité réelle.
«Il est cruel et violent d’interdire toute relation sexuelle à quelqu’un»
Michel Anquetil
Il suffit de comparer les déclarations du Catéchisme aux pages consacrées à l’homosexualité dans la récente publication de la Commission biblique pontificale Qu’est-ce-que l’homme? pour percevoir que l’évolution est déjà en cours au sein de l’Eglise!
PYM: Cette position du Catéchisme repose sur la distinction, très ancienne et classique, entre la personne et l’acte. Cela signifie qu’on ne peut jamais réduire une personne à ce qu’elle fait ou ne fait pas, ce qu’elle dit ou ce qu’elle pense. Une personne est toujours un mystère, digne d’un infini respect, une «terre sacrée» devant laquelle je dois enlever mes sandales.
L’Église devrait-elle améliorer l’intégration des personnes LGBT? Si oui, de quelle façon?
PYM: L’Eglise doit continuer à s’opposer fermement à toute discrimination, et c’est dans ce sens qu’il faut entendre les paroles du pape François. Chaque personne devrait toujours se sentir reconnue et acceptée telle qu’elle est en Eglise. Encore une fois, cet accueil inconditionnel se distingue d’une indifférenciation. C’est la reconnaissance de l’autre dans son irréductible altérité (et donc dans sa différence) qui lui permet d’exister vraiment. Il est clair qu’il est toujours possible de faire mieux pour intégrer chacun. Comme le disait Jean Paul II, nous devons être des «ponts», et non pas des «obstacles», pour favoriser la rencontre de chaque personne avec le Christ.
«Bien sûr que l’Eglise doit prendre en compte les résultats de la science»
Pierre-Yves Maillard
MA: Si j’en juge par l’expérience française, de gros progrès sont faits. Mais je constate qu’il n’y a pas toujours une grande demande de la part des personnes LGBT elles-mêmes, qui considèrent que ces efforts sont un peu de la «poudre aux yeux» et que l’intégration véritable est conditionnée à la modification du Catéchisme de l’Église: mettre fin à cette condamnation systématique de toute pratique sexuelle, quelles qu’en soient les modalités, et reconnaître la dignité des couples homosexuels stables, durables et fidèles.
Dans son jugement de l’homosexualité, l’Église catholique se réfère à une anthropologie basée sur la théologie de la Bible. Ne devrait-elle pas prendre en compte pleinement les données de la science en la matière?
MA: Même si elle se situe épistémologiquement à un plan différent, la théologie ne peut à terme ignorer les données de la science, notamment exégétique.
Les sciences humaines ont montré toute l’importance de la sexualité dans l’épanouissement des personnes: il est cruel et violent d’interdire toute relation sexuelle à quelqu’un. Seule la personne peut le décider pour elle-même. L’anthropologie chrétienne elle-même met l’accent sur l’unité de l’être, corps-coeur-esprit, et donc la nécessité que le corps puisse exprimer, y compris par la sexualité, l’attrait ressenti, l’affection et le don mutuel. La fonction «plaisir» est maintenant reconnue comme fondamentale dans le mariage.
Et comme cela s’est fait non sans douleur pour les sciences physiques, in fine théologie et sciences humaines ne peuvent pas ne pas se rejoindre!
PYM: Bien sûr que l’Eglise doit prendre en compte les résultats de la science. Même si elle doit faire preuve de discernement en la matière, car il n’est pas rare que les conclusions soient sujettes à interprétations, voire contradictoires, suivant les courants ou les chercheurs.
Mais, fondamentalement, je ne pense pas qu’il faille opposer la théologie à la science. La théologie est bien une science, avec ses méthodes et ses domaines de compétence propres. C’est la complémentarité de ces différentes approches (spirituelle, théologique, psychologique, anthropologique, sociale) qui permet de progresser dans la compréhension de ces réalités souvent complexes. (cath.ch/rz)
L’abbé Pierre-Yves Maillard est vicaire général du diocèse de Sion depuis septembre 2014. Il a été auparavant pendant onze ans directeur du séminaire diocésain, à Givisiez (FR).
Catholique pratiquant résidant à Lille, diplômé d’une maîtrise en théologie, Michel Anquetil a une longue expérience du milieu homosexuel chrétien, pour lequel il anime diverse sessions, notamment entre couples de même sexe. Il est l’auteur des ouvrages: Chrétiens homosexuels en couple, un chemin légitime d’espérance (2018- Edilivre F 93200 Saint-Denis) et Chrétiens homosexuels en couple, bonheur et sanctification (2020 L’Harmattan F 75005 Paris). RZ