Le label «Bio suisse» impliqué dans une affaire d’expropriation?
Colombie: Une communauté paysanne tente de récupérer ses terres
Las Pavas, 15 mars 2011 (Apic) Un peu plus de 100 familles ont décidé de récupérer dans les prochains jours les terres qui leur appartiennent depuis des générations. La petite communauté paysanne de Las Pavas, à peine 600 personnes, dans la commune du Peñon – département de Bolivar, au Nord de la Colombie – lutte depuis des années pour survivre.
«Nous exerçons notre droit fondamental de revenir à nos champs, dont nous avons été dépossédés, comme la Constitution et la loi nous en donnent le droit», indique une récente déclaration de l’Association des paysans de Las Pavas (ASOCAB).
De dépossessions en dépossessions
Derrière cette décision, il y a une interminable histoire de dépossessions. Elle a débuté dans les années 1970, lorsque les paysans furent expulsés par de grands latifundistes, qui vendirent leurs parcelles à Jesús Emilio Escobar, parent de Pablo Escobar, l’un des plus grands barons colombiens de la drogue. En 1997, Jesús Escobar abandonna la propriété, et la communauté regagna ses parcelles pour y cultiver du riz, du maïs, des bananes, etc. Six ans plus tard, les paysans furent à nouveau expulsés par des groupes paramilitaires.
Depuis 2004, les familles revinrent petit à petit à Las Pavas et, en 2006, elles déposèrent une demande au Ministère de l’Agriculture pour faire reconnaître leurs droits de propriété. A ce moment, Escobar revint déloger les familles par la force, détruisit leurs récoltes et vendit le terrain au consortium El Labrador. Ce groupe, spécialisé dans la culture extensive de la palme, réunit les entreprises Aportes San Isidro SA et Tequendama (Daabon Organic).
Néanmoins, en juillet 2009, les paysans qui avaient continué à cultiver une partie de leurs parcelles furent à nouveau expulsés par la police, une mesure que le Ministère de l’Agriculture lui-même considère comme illégale.
«Nous ne prétendons pas envahir une propriété privée, ni commettre des actes violents ou illégaux», souligne le manifeste de l’ASOCAB. Ses porte-paroles insistent sur la profonde crise humanitaire subie par les paysans en raison du manque de nourriture. Et ils rendent responsables de cette situation les entreprises de palme, l’Etat et les groupes armées, «qui nient nos longues années de travail dans ces champs».
«Bio» et expropriation sociale?
Le conflit de Las Pavas a des répercussions internationales, jusqu’en Europe. Plusieurs importateurs suisses qui collaborent et reçoivent le label de qualité «Bio suisse» achètent l’huile de palme entre autres à la Tenquendama colombienne. Face à la pression des ONG et des associations suisses qui travaillent pour la Colombie, le label «Bio suisse» a cherché à se dégager par un communiqué de presse en décembre 2010: «Le groupe Daabon a mis fin à la culture d’huile de palme dans la région de Las Pavas».
Une affirmation contestée par les ONG suisses. «Daabon Organic continue probablement à faire partie de ce consortium, mais en cachette», souligne Stephan Suhner, responsable du groupe de travail Suisse-Colombie qui coordonne la plateforme des ONG suisses présentes en Colombie et qui réunit une quinzaine d’associations d’aide au développement et de défense des droits humains.
«Non seulement le nom de Daabon Organic apparaît dans des documents officiels, mais cette entreprise a été aussi accusée de faire pression sur les membres de la communauté de Las Pavas, par des menaces et des tentatives de corruption», affirme Stephan Suhner.
Un conflit emblématique
Pour Stephan Suhner, connaisseur de la Colombie, La Pavas est devenu «un cas emblématique, d’une profonde valeur symbolique et politique». «Cela permettra d’évaluer le positionnement de l’INCODER (Institut colombien du développement rural), l’entité officielle chargée de régler la question des terres». Une délégation vient de visiter Las Pavas, début mars, pour recevoir une information directe.
Le nouveau gouvernement colombien a reconnu que les victimes de la violence ont droit à la restitution de leurs terres. Différentes sources estiment que 4 millions de personnes – en majorité des paysans – sont des déplacés intérieurs, comme conséquence de plusieurs décennies de guerre. Les porte-parole officiels promettent de restituer chaque année, durant 10 ans, des terres à 100’000 familles.
«Las Pavas est un exemple clair de la manière dont l’agro-commerce de la palme s’est étendu et comment les droits des paysans et à la souveraineté alimentaire ont été bafoués. Le président Santos est-il prêt à rectifier cette situation? Est-il possible d’équilibrer les désirs de l’industrie agro-exportatrice et les revendications paysannes en faveur d’une réforme agraire?», se demande le porte parole du groupe de travail Suisse-Colombie.
Le conflit de Las Pavas permettra aussi «d’évaluer les marges réelles dont disposent les paysans – confrontés aux pénuries engendrées par la croissance de la crise environnementale et alimentaire et à des années de répression sanglantes – pour accélérer ce processus de récupération», ajoute-t-il. De plus, le cas de Las Pavas «peut permettre d’estimer la position du gouvernement suisse, que nous avons informé sur la situation de cette communauté menacée».
La terre et le territoire sont des aspects fondamentaux d’une solution au conflit armé dans ce pays sud-américain. Le gouvernement suisse appuie le programme SUIPPCOL de promotion de la paix en Colombie. «Et il devrait donc aussi appuyer les restitutions des terres comme élément-clé de la paix», souligne Stephan Suhner.
De manière tout aussi significative, «cela permettra d’analyser l’attitude générale des multinationales. Et plus particulièrement la cohérence du commerce ’bio’. Nous verrons si celui-ci tolère pratiquement en son sein des entreprises comme Daabon qui sans aucun scrupule défend la possession de terres mal acquises et qui se consacre aussi à la production d’agro-combustibles», conclut Stephan Suhner. (apic/amc)