Le Suaire de Turin est certainement la relique la plus médiatisée au monde (Photo:Krzysztof D./Flickr/CC BY 2.0)
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Le juif qui défend l'authenticité du Saint-Suaire

Turin, 27 avril 2015 (Apic) Le Saint-Suaire, le linceul censé avoir recouvert le corps du Christ après sa crucifixion, est exposé au public, depuis le 19 avril jusqu’au 25 juin 2015, à la cathédrale de Turin. Son authenticité, sur laquelle le Vatican ne se prononce pas, est encore fortement débattue. Curieusement, l’un des plus éminents défenseurs de celle-ci est Barrie Schwortz, un juif orthodoxe américain.

La visite du pape François à Turin, les 21 et 22 juin prochains, lors de laquelle il se recueillera devant la Saint-Suaire, remettra sans nul doute la relique sur le devant de la scène.

Le linceul est une pièce de lin de 4,36 m sur 1,10 m sur laquelle, selon la tradition, se serait imprimée l’empreinte du corps du Christ supplicié et en particulier son visage. Plus d’un million de personnes se sont déjà inscrites pour venir voir l’étoffe sacrée. Cette popularité s’explique en partie par l’intense médiatisation dont la relique a fait l’objet. Depuis des décennies, partisans et opposants de son authenticité s’écharpent dans la presse à coups d’analyses et d’arguments scientifiques.

Une arnaque du Moyen Age?

Le site internet catholique américain «Crux» présente fin avril les positions antagonistes de plusieurs experts sur l’origine du linceul.

Dans le camp des sceptiques, Joe Nickell, qui se décrit comme un «enquêteur du paranormal à plein temps», affirme que le linceul est un canular du Moyen Age, réalisé pour tromper les fidèles et leur soutirer de l’argent. L’enquêteur du Kentucky présente une série d’arguments selon lui les plus convaincants pour nier l’authenticité du Saint-Suaire: l’artefact présenterait tout d’abord des aspects incompatibles avec les coutumes funéraires au temps de Jésus. Les corps étaient enveloppés de multiples bandes de lin, la dépouille était lavée et on lui apposait de grandes quantités d’épices dont on ne trouve étrangement pas de traces sur le tissu sacré.

La preuve du carbone 14?

Joe Nickell note également l’absence de traçabilité de l’objet avant le 14e siècle. De plus, au moment de son apparition, dans la collégiale de Lirey en Champagne, l’évêque de Troyes aurait découvert, après enquête, qu’il s’agissait d’un faux. Un artiste arrêté et interrogé aurait même avoué en être l’auteur*.

L’image imprimée sur le tissu contiendrait de nombreuses incohérences: les cheveux semblent tomber droit, comme pour un homme se tenant debout et non couché, les mains sont placées le long des lombes (une posture également contraire à la pratique juive).

L’enquêteur rappelle que le meilleur indice de fraude reste la datation de la pièce de tissu au carbone 14, effectuée en 1988 par trois laboratoires indépendants, sous l’auspice de l’Académie pontificale des sciences. Les tests ont indiqué que l’artefact datait d’entre 1260 et 1390, soit l’époque où la relique est «apparue». Joe Nickell n’accepte pas les contre-arguments des partisans du Saint-Suaire, qui prétendent que les échantillons de tissu analysés venaient d’un «raccommodage» effectué au Moyen Age. Ce point aurait été contredit par les experts en textile qui ont fait les prélèvements.

Une image qui défie la science

Le Père Andrew Dalton, un Légionnaire du Christ expert de la relique, soutient cependant que les éléments analysés ont été pris sur des pièces de tissus ajoutées au linceul, après qu’il ait été endommagé dans un incendie. Il rappelle également que la datation au carbone sur les anciennes étoffes donne souvent des résultats plus précoces, à cause de la contamination bactérienne.

Mais les catholiques ne sont pas les seuls à être convaincus de l’authenticité du linceul. Barrie Schwortz, un juif orthodoxe de Los Angeles, est un de ses défenseurs. Le photographe professionnel a été responsable de la photographie scientifique et documentaire lors des premières recherches sur l’étoffe, en 1978. Il note que la science moderne est toujours incapable d’expliquer comment l’image s’est formée sur le tissu. Pour lui, plusieurs facteurs soutiennent l’authenticité.

La terre de Jérusalem

En sa qualité de photographe, il estime que l’image elle-même est l’élément le plus convaincant. «Elle possède des propriétés que je n’ai jamais retrouvées sur d’autres images», souligne-t-il, rappelant que, durant les quatre dernières décennies, personne n’a été capable de la dupliquer ou de créer une empreinte ayant les mêmes propriétés chimiques ou physiques.

Il relève également que les artistes faussaires du Moyen Age étaient loin d’avoir les connaissances nécessaires pour reproduire les éléments anatomiques révélés par l’étude médico-légale de l’image. C’est notamment le cas de l’écoulement du sang, qui est en parfaite conformité avec l’anatomie, la physiologie de la circulation et de la coagulation sanguines.

Le Père Dalton note un indice supplémentaire étayant l’hypothèse de l’authenticité: l’analyse de fragments de terre trouvés sur le linceul a révélé une composition similaire à celle présente dans les anciens tombeaux de Jérusalem.

Des tests chimiques et mécaniques sur les fibres de la toile du Suaire, réalisés à l’Université de Padoue, au nord de l’Italie, et publiés en mars 2013, ont indiqué que le matériau daterait bien de l’Antiquité, infirmant ainsi les datations au carbone 14.

Sceptiques et «croyants» sont toujours divisés sur la présence ou non de véritable sang sur le tissu. Des résultats d’analyses contradictoires ayant conforté tour à tour l’un ou l’autre camp.

Un débat au-delà de la foi

Barrie Schwortz souligne que les passes d’armes entre sceptiques et «croyants» ne seront probablement jamais résolues, en partie parce que les recherches sont biaisées par d’énormes enjeux idéologiques.

«Je me rends bien compte qu’il ne s’agit pas d’un dogme de la foi, confie le Père Dalton à «Crux». L’Eglise ne demande à personne d’y croire. Si on prouvait demain que le suaire est un faux, ça n’ébranlerait pas les fondations de la foi».

Le Vatican pratique la même approche prudente de la question. Lorsque le pape François sera à Turin, il reconnaîtra ainsi certainement le linceul comme une importante relique et source d’inspiration spirituelle, mais n’émettra probablement aucun jugement sur son authenticité.

*Les partisans de l’authenticité du suaire contestent ce point, principalement parce que les archives ne conservent aucune trace de l’enquête diligentée par Henri de Poitiers, évêque de Troyes: le premier document qui évoque le linceul date seulement de 1389, Henri de Poitiers étant mort en 1370.


Encadré

L’histoire du Saint-Suaire

Le Suaire apparaît en 1357 à Lirey, dans l’est de la France, où il fait l’objet d’ostensions sous l’autorité de sa propriétaire, Jeanne de Vergy, veuve du chevalier Geoffroy Ier de Charny. Aucune pièce ne permet de dater de façon précise l’origine de l’objet. La possession de cette relique semble toutefois marquer la famille de Charny, car ses armes sont associées à l’image du Saint-Suaire.

Geoffroy de Charny a écrit en avril 1349 au pape Clément VI pour l’informer de la construction de l’église Notre-Dame de Lirey en remerciement à la Sainte-Trinité, à laquelle il attribue la réussite de son évasion des geôles anglaises, mais sa liste de reliques ne mentionne pas le linceul. L’église collégiale est achevée en 1353 et Geoffroy de Charny meurt à la bataille de Poitiers le 16 septembre 1356. Jeanne de Vergy, sa veuve, fait déposer le linceul dans l’église en 1357 et commence les ostensions. Celles-ci dureront jusqu’en 1360.

Méfiance de l’Eglise

A cette date, l’évêque de Troyes, Henri de Poitiers, interdit les ostensions, considérant que le linceul doit être faux, puisque les Evangiles n’en font pas mention. Jeanne de Vergy prend peur et met alors l’objet en sécurité dans son château fortifié de Montigny-Montfort. Il y restera 28 ans, jusqu’à sa mort, en 1388, date à laquelle son fils Geoffroi II décide de faire revivre le culte, obtenant, après de nombreux affrontements diplomatiques, un indult du Saint-Siège qui l’autorise à reprendre les ostensions à Lirey. Cet indult est favorisé par le lien de parenté qui unit Jeanne de Vergy à l’antipape Clément VII. L’antipape donne cette autorisation à sa tante par alliance mais à la condition que le linceul soit présenté comme une figure du linge mortuaire et non comme une relique. De plus, Clément VII impose au nouvel évêque de Troyes, Pierre d’Arcis, qui se plaint de ne pas avoir été consulté, un silence éternel sur ce sujet sous peine d’excommunication.

Pierre d’Arcis n’obéit pas et en appelle au roi Charles VI, qui ordonne la confiscation de la relique. L’évêque écrit ensuite à Clément VII et lui adresse, entre août 1389 et mai 1390, un mémoire qui affirme lui faire part des découvertes de son prédécesseur, Henri de Poitiers. Selon Pierre d’Arcis, Henri de Poitiers a affirmé que le linge avait été peint afin d’attirer les foules et d’en tirer bénéfice. Pierre d’Arcis déclare qu’Henri de Poitiers a retrouvé le faussaire. Toutefois il ne nomme pas ce dernier.

Droit de vénération

Le clergé de Lirey refuse d’obéir à Pierre d’Arcis et en appelle à Clément VII, qui confirme le droit d’exposer le linceul. Toutefois, dans un projet de bulle du 6 janvier 1390, Clément VII indique que l’on doit prévenir les pèlerins, «toute fraude cessant, que ladite figure ou représentation n’est pas le vrai suaire de Notre-Seigneur Jésus-Christ, mais […] une peinture ou tableau du suaire».

Or cette mention disparaît dans la rédaction définitive, en mai de la même année: Clément VII ne dit plus que le linceul est un faux. Interdiction est faite par Clément VII à Pierre d’Arcis de s’opposer à l’exposition du drap si celle-ci respecte les restrictions prescrites par le décret.

Quelques jours après l’enregistrement de cette bulle, le 1er juin 1390, Clément VII publie une nouvelle bulle qui accorde des indulgences aux pèlerins qui visiteront l’église collégiale de Lirey, où est conservé l’objet. Cette bulle ne mentionne pas les restrictions concernant les conditions d’ostension du drap, ce qui peut être perçu comme un «désaveu» du texte du 6 janvier.

Les voyages du suaire

Au début du 15e siècle, des bandes de brigands, les Grandes compagnies, ravagent la France. Craignant pour la conservation du linceul, les chanoines de Lirey, qui ont hérité de la relique, la confient le 6 juin 1418 à Marguerite de Charny, petite-fille de Geoffroy de Charny et de Jeanne de Vergy, qui le conserve à nouveau au château de Montfort.

En 1418, Humbert de Villersexel, comte de La Roche et époux de Marguerite de Charny le déplace ensuite à Saint-Hippolyte, dans le Doubs, un autre de ses fiefs. A sa mort, en 1438, les chanoines de Lirey se pourvoient en justice pour forcer son épouse à restituer la relique, mais le parlement de Dole et la cour de Besançon donnent raison à Marguerite de Villersexel, qui voyage dans différents endroits avec le linceul, notamment à Liège, Genève, Annecy, Paris, Bourg-en-Bresse et Nice. La chapelle du château de Chimay l’a accueilli en 1449.

Le 13 septembre 1452, elle échange la relique avec Anne de Lusignan, épouse du duc Louis Ier de Savoie, contre le château de Varambon. Le linceul est dès lors conservé dans une nouvelle église, la Sainte-Chapelle de Chambéry, élevée à la dignité de collégiale par le pape Paul II. En 1464, le duc de Savoie accepte de verser une rente aux chanoines de Lirey contre l’abandon des poursuites. Après 1471, le linceul est fréquemment déplacé, à Verceil, Turin, Ivrée, Suse, Chambéry, Avigliano, Rivoli et Pignerol. Sa présence est attestée par le chantre et le chapelain de la chapelle ducale de Chambéry, en 1483.

Sauvé plusieurs fois des flammes

Le projet de transférer définitivement le linceul dans la chapelle ducale de Chambéry est réalisé par Philibert II de Savoie. La cérémonie de translation a lieu le 11 juin 1502, l’édifice recevant à cette occasion l’appellation de Sainte-Chapelle. Dans la nuit du 3 au 4 décembre 1532, le suaire est pris dans un incendie, à Chambéry, dans la chapelle où il est déposé. On le retire du feu au moment où sa châsse d’argent commence à fondre. L’étoffe, alors pliée en 48 épaisseurs, est brûlée à certains endroits. Là où le tissu est troué, les Clarisses cousent en 1534 des pièces d’un aspect plus ou moins triangulaires, qui apparaîtront en blanc sur les photos positives et en noir sur les négatives21.

Depuis 1578, le linceul se trouve à Turin, où les ducs de Savoie ont transféré leur capitale en 1562. Il reste la propriété de la maison de Savoie jusqu’en 1983, lorsque le dernier roi d’Italie, Humbert II, en fait don au pape Jean Paul II.

Dans la nuit du 11 avril 1997, le linceul subit un nouvel incendie qui ravage la cathédrale de Turin, sa coupole dessinée par Camillo-Guarino Guarini et une aile du Palais-Royal. Il est sauvé par les pompiers. (apic/crux/arch/rz)

Le Suaire de Turin est certainement la relique la plus médiatisée au monde
27 avril 2015 | 14:34
par Raphaël Zbinden
Temps de lecture : env. 8  min.
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