Le juge civil du tribunal du district de la Sarine, dans le canton de Fribourg, en Suisse, vient de refuser à la secte Raël le droit de réponse qu’elle exigeait de voir publier dans le quotidien «La Liberté». Suite à un article du journaliste de l’Agence

Le journaliste avait écrit de cette secte qu’elle «avait été jugée dangereuse par la France» et qu’elle «prône «théoriquement» dans ces écrits la pédophilie et l’inceste». Il relatait encore la condamnation à cinq ans de prison pour abus sexuels sur une mineure de deux proches de la secte, en mai dernier, à Carpentras.

Il n’est pas très fréquent qu’un juge refuse un droit de réponse. Tout le système de la loi, d’ailleurs, le pousse à l’accepter. Les seules exceptions prévues dans les articles 28g et suivants du Code civil suisse sont que la réponse ne soit pas manifestement inexacte, ni contraire aux lois ou aux moeurs, et qu’elle se limite à l’objet de la présentation contestée. Dans le jugement refusant le droit de réponse au mouvement raélien, le président Daniel Kaenel a estimé, que deux de ces trois conditions étaient remplies.

Citant une abondance de jurisprudence et d’auteurs, le juge estime qu’il faut d’abord déterminer dans l’article incriminé ce qui comporte une évaluation négative, donnant au lecteur moyen une image défavorable de la personne concernée. Il doit ensuite déterminer si la réponse proposée se limite à présenter des faits et si elle doit permettre en principe de rétablir la vérité aux yeux du public par la présentation des faits correspondant à la version de l’auteur. Et cela même si le droit de réponse n’est en principe pas un droit de rectification.

Trois affirmations

Le mouvement raélien contestait, essentiellement trois affirmations publiées par «La Liberté»: que la secte a été «jugée dangereuse par la France», qu’elle «prône «théoriquement» la pédophilie et l’inceste dans ses écrits» et que deux de ses membres ont été condamnés à cinq ans de prison en France pour des agressions sexuelles sur une fillette de douze ans.

Pour le président Kaenel, le terme «jugé» ne se réfère pas exclusivement au travail de l’ordre judiciaire, mais revêt plusieurs sens tels que apprécier, considérer, estimer. Dans le contexte de l’article, le terme «jugé» figurant dans le titre était immédiatement explicité, dans le sous-titre et le deuxième paragraphe, et ne laissait planer aucune ambiguïté. Par ailleurs, il ressort effectivement du rapport parlementaire français cité par «La Liberté» que le mouvement raélien est mentionné, avec d’autres mouvements sectaires, sous un chapitre intitulé «Les dangers pour la collectivité». «Le droit de réponse sollicité ne peut qu’être refusé sur ce point», conclut le président Kaenel.

Le plus grave de ces reproches est bien sûr le second. Pour y répondre, les raéliens avaient affirmé condamner formellement la pédophilie et l’inceste, estimant qu’il s’agit d’abominations et que les individus s’adonnant à de telles pratiques sont psychiquement dérangés et doivent se voir prodiguer des soins psychiatriques adéquats.

Pas de condamnation

Rendant hommage à la prudence et au sens de la nuance de l’auteur de l’article, Pierre Rottet, de l’Agence de presse internationale catholique (APIC), le juge relève qu’il s’est appuyé sur plusieurs sources d’information, qu’il a mentionnées dans son article de manière à ce que le lecteur moyen garde une certaine marge d’appréciation. Notamment la spécialiste parisienne Hayat El Mountacir chargée d’étude à l’Union nationale des familles et de l’individu (UNADFI) et auteure du livre «Les enfants dans les sectes» venue témoigner au procès. Il est donc manifestement inexact de soutenir, comme le faisaient les raéliens dans leur réponse, que le journaliste aurait affirmé sans aucune nuance que le mouvement raélien prône la pédophilie et l’inceste de façon générale.

En fouillant dans la littérature de la secte, le juge n’a trouvé qu’un certain nombre de passages dont les plus gentils sont au moins ambigus, et les plus graves tout à fait révélateurs. Mais nulle part dans les sept livres de Raël et les 55 revues fournies par le mouvement il n’a trouvé le moindre indice de condamnation de ces graves déviances sexuelles. Au contraire, il en a plutôt retiré l’impression que Raël soi-même semblait plutôt regretter que la loi pose des limites à ses épanchements envers la jeunesse.

«On doit bien admettre que certains passages peuvent conduire certains adultes à des dérives sexuelles du comportement à l’égard d’enfants mineurs. Les témoignages tendant à démontrer le contraire ne changent rien au contenu des ouvrages (…), qui constituent la doctrine officielle du mouvement et qui peuvent indiscutablement conduire à des comportements prohibés à l’égard des mineurs. Manifestement inexacte sur ce point aussi, la réponse doit également être refusée.

Un peu loin

Elle doit l’être également sur le troisième point. Les raéliens contestaient que deux des leurs avaient été condamnés à Carpentras pour avoir sexuellement abusé d’une fillette de douze ans. D’après eux, seul l’un des agresseurs était raélien, et encore a-t-il été exclu du mouvement après sa condamnation. Dans sa réponse, les raéliens qualifiaient de «répréhensibles et immoraux» les actes commis par les deux condamnés, et les jugeaient «incompatibles avec les valeurs défendues» par la secte.

Soutenir une telle position, c’est lancer le bouchon un peu loin estime le juge. D’abord, ces appréciations dépassent les limites que la loi fixe au droit de réponse: ce sont des opinions et non des faits. On ne se limite donc pas à l’objet de la présentation contestée.

Ensuite, ces fameuses «valeurs» raéliennes que serait la condamnation de la pédophilie et de l’inceste ne se retrouvent pas dans les textes, ce qui rend la réponse, là également, manifestement inexacte. Et conduit à la rejeter. (Antoine Rüf/ le lead et le premier paragraphe sont de la rédaction)

Morceaux choisis de la pensée raélienne

La littérature raélienne, aussi bien dans les écrits de son fondateur Claude Vorilhon (»la bible», selon l’avocat de la secte) que dans sa revue interne L’apocalypse (»le bulletin de paroisse») est riche en citations sur les amours enfantines. Certaines paraissent bénignes, et parlent de tendresse et d’amour partagé. C’est un peu ce que l’écrivain Albert Cohen appelait «la crème fouettée sur les pieds de cochon». Un certain nombre d’entre elles sont beaucoup moins équivoques. En voici quelques exemples, lus lors de l’audience du Tribunal civil de la Sarine.

Dans la «bible» vorilhonnesque:

«Tu éveilleras l’esprit de ton enfant, mais tu éveilleras aussi son corps, car l’éveil du corps va de pair avec l’éveil de l’esprit.»

«Ne rien dire à ses enfants au sujet du sexe c’est mal. Leur expliquer à quoi ça sert c’est mieux, mais ce n’est pas encore suffisant: il faut leur expliquer comment ils peuvent s’en servir pour en retirer du plaisir.»

«Combien de fois certains d’entre nous auraient-ils souhaité être embrassés par leur père autrement que du bout des lèvres ou sur le front, caressés, pétris, manipulés, pressés contre sa poitrine au lieu d’être tenus à distance comme des pestiférés.»

«(…)à partir de quatorze ans les adolescents devraient avoir le droit d’avoir une vie sexuelle, politique et religieuse indépendante de leurs parents. Il faut donc supprimer les lois faisant automatiquement un détournement de mineur d’un rapport sexuel entre un individu de plus de dix-huit ans et un individu de moins de dix-huit ans.»

«Cette éducation sensuelle théorique pourrait d’ailleurs être complétée (…) par une mise en pratique (…) ou en compagnie des initiateurs dans les centres d’épanouissement, avec toutes les garanties qu’amène la présence de spécialistes sur le plan de la progressivité tant physique que psychique».

Et quelques autres, pêchés dans Apocalypse, le «bulletin paroissial» de la secte:

«Et un enfant qui apprend tôt à jouir de son corps, de celui des autres, de ses sens, développe d’autant plus tôt son intelligence.»

«La sexualité de l’enfant, c’est le fondement, la base de l’édifice humain puisqu’elle débouche sur l’’amour et l’harmonie.»

«(…) malgré la résistance que nous avons à le reconnaître, l’enfant est, pour l’adulte, un objet sexuel privilégié (d’après Pierre Hanry). Non, ce n’est pas par «frustration» (de la femme) que l’homme aime passionnément, intensément, amoureusement l’enfant.»

Dans un texte où un père raconte un stage en Afrique avec ses deux filles: «(…) le statut de père ne doit pas durer toute la vie. On doit savoir grandir et ces deux superbes demoiselles m’ont surpris. Elles s’affirment. Elles deviennent déjà des … femmes. Elles furent ma grande satisfaction car j’étais un père jusque-là distrait et … discret»

A la fin d’un texte dans lequel l’auteure raconte comment son grand-père l’a initiée à la masturbation à l’âge de quatre ans: «Alors parents, caressez vos enfants, embrassez-les et laissez-les en faire autant avec vous.» (apic/La Liberté)

30 avril 2001 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 6  min.
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