Mgr Marengo sera, à 48 ans, le plus jeune cardinal. | © Vatican Media
Dossier

Le futur cardinal Giorgio Marengo vient de la steppe mongole

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Après avoir été en 2020 le plus jeune évêque du monde, il deviendra dans quelques semaines le plus jeune cardinal, et le premier à être né dans les années 1970. Le nom de Mgr Giorgio Marengo, 48 ans, préfet apostolique d’Oulan-Bator, a créé la surprise lorsqu’il a été prononcé par le pape François depuis la fenêtre du Palais apostolique après la prière du Regina Caeli, le 29 mai dernier

De nationalité italienne, le premier cardinal représentant la Mongolie suscite depuis cette annonce un certain engouement médiatique, en cette année 2022 qui marque le 30e anniversaire de l’arrivée des premiers missionnaires catholiques dans ce pays d’Asie, et de l’établissement des relations avec le Saint-Siège. La création de ce nouveau cardinal missionnaire donne l’occasion de découvrir un pays rarement placé sous les feux des projecteurs, et d’observer le visage jeune d’un christianisme qui naît et se développe dans un contexte de minorité, mais sans complexe d’infériorité.

Né à Cuneo, dans le Piémont, le 7 juin 1974, Giorgio Marengo a été ordonné prêtre en 2001 pour les missionnaires de la Consolata, une congrégation italienne fondée au début du XXe siècle et qui s’est spécialisée dans l’accompagnement des jeunes Églises. Après avoir obtenu un doctorat en missiologie à l’Université urbanienne de Rome, cet ancien scout et escrimeur est parti à l’aventure à la rencontre d’un peuple qui n’avait jamais entendu parler de Jésus, une figure parfois difficile à appréhender dans la mentalité asiatique, où le christianisme est généralement associé à l’histoire coloniale européenne.

La Mongolie, elle, est enclavée entre les sphères d’influence russe et chinoise mais n’a jamais été atteinte par les puissances européennes. C’est donc sur un terrain vierge de tout préjugé que s’installe dans les années 2000 le Père Giorgio Marengo, envoyé à Avayheer, une petite ville de 20’000 habitants située au centre du pays, où il fonde la paroisse Marie Mère de Miséricorde.

«Susurrer l’Évangile au cœur de l’Asie»

Dans ce premier logement avec ses frères missionnaires de la Consolata, «nous étions vraiment les étranges Martiens venus de Saturne», confiait-il avec humour dans un témoignage donné en 2020 dans un sanctuaire italien.

Dans sa première localité de mission, où aucune église catholique n’avait existé auparavant, «les gens nous considéraient comme des espions ou comme les émissaires d’un État. Il a fallu beaucoup de temps pour créer des relations, pour se faire confiance les uns les autres, mais cela vaut la peine!», assurait-il.

«Les gens ont une attitude de curiosité, de nouveauté, parfois aussi de suspicion car cette réalité n’est pas bien connue mais ensuite il y a un intérêt, un désir de connaître», confiait-il en mai 2022 à Telepace. Son objectif comme missionnaire est que «la foi s’enracine en profondeur» au sein de la population mongole.

En 2020, après plus de quinze années de mission, il a été choisi par le pape François comme préfet apostolique d’Oulan-Bator et a été ordonné évêque par le cardinal Tagle, préfet de la Congrégation pour l’évangélisation des peuples. Mgr Marengo avait alors témoigné de l’approche pleine de patience, de finesse et de douceur avec laquelle les missionnaires sont appelés à «susurrer l’Évangile au cœur de l’Asie». «Être missionnaire ce n’est pas faire une propagande ou diffuser une idéologie, mais rendre concrètement possible la rencontre avec Jésus pour des personnes qui, autrement, n’en n’auraient pas la possibilité», expliquait-il. 

Il avait aussi exprimé sa «joie de voir que le Seigneur agit de façon mystérieuse et amène les gens vers l’Église», en donnant l’exemple d’une femme mongole de 75 ans qui, après le parcours catéchuménal de sa fille, était venue le voir à l’église en lui demandant le baptême, sans pouvoir offrir d’argument rationnel mais simplement car elle se sentait «bien avec Lui», disait-elle en montrant Jésus sur la croix.

Le «courage et la détermination» des nouveaux baptisés

Les baptisés qui ont choisi de suivre le christianisme le vivent «avec courage et détermination», quitte à sembler «étranges, un peu en dehors du chœur» et à s’exposer à «des oppositions, des discriminations, même si la Mongolie est un pays démocratique», a expliqué Mgr Marengo dans un entretien à Vatican News.

Signe d’ouverture du pays, y compris de la part des autorités religieuses bouddhistes, une délégation mongole a été reçue par le pape François le 28 mai, à la veille de l’annonce du consistoire. Le préfet apostolique d’Oulan-Bator a ainsi pu présenter directement au pape cette expérience étonnante de témoignage de l’Évangile dans une société dénuée de toute référence occidentale.

Pour autant, le pape ne lui a alors adressé aucun signal allant dans le sens d’un cardinalat, et la surprise, le lendemain, a été totale. «J’ai reçu la nouvelle à la fin de la célébration de l’Eucharistie dominicale de nos Sœurs Missionnaires de la Consolata dans leur maison générale, et ce fut un moment fraternel et inattendu», a-t-il confié au média du Vatican. Il avait alors exprimé sa gratitude pour «l’attention du successeur de Pierre pour l’Église dans des contextes marginaux et petits». 

La Mongolie, pays immense grand comme trois fois la France et peuplé de seulement trois millions d’habitants, rassemble l’une des plus petites communautés catholiques au monde: après l’extinction du christianisme nestorien qui avait essaimé en Asie centrale au premier millénaire, c’est seulement en 1992, au début de l’ouverture démocratique du pays, que les premiers missionnaires catholiques sont arrivés, dans un contexte religieux dominé par le bouddhisme tibétain. 

Actuellement, l’Église locale compte huit paroisses et entre 1’300 et 1’400 baptisés, un chiffre bien inférieur à celui de la plupart des paroisses italiennes, mais en progression constante. L’émergence de cette Église avait beaucoup intéressé Jean Paul II, qui souhaitait s’y rendre pour la consécration de la cathédrale d’Oulan-Bator en 2003, mais ce projet de voyage n’a jamais pu se concrétiser. 

Un pari stratégique avec la Chine en ligne de mire?

Au-delà de cette attention aux périphéries, l’enjeu géopolitique peut aussi avoir motivé ce choix du pape François, estimait peu après cette annonce un expert russe dans une tribune publiée par le site Regnum. La Mongolie est en effet un pays tampon entre la Russie et la Chine, et, d’une façon étonnante, elle est aussi l’un des rares pays au monde à entretenir des relations suivies à la fois avec la République populaire de Chine et avec Taïwan, car c’est au temps du régime de Tchang Kaï-chek, en 1945, que l’indépendance de la Mongolie a été formellement reconnue par la Chine. 

Dans le contexte du grand jeu géopolitique qui se joue en Asie, le cardinal d’Oulan-Bator pourrait apporter un point de contact précieux pour le Saint-Siège vis-à-vis de l’Asie centrale, de la Russie et de l’ancienne zone d’influence soviétique, et surtout vis-à-vis de la Chine.

La puissance chinoise ne peut pas être abordée frontalement par le Saint-Siège en raison de l’absence de relations diplomatiques officielles et de l’impossibilité de créer un nouveau cardinal chinois, compte tenu, semble-t-il, d’une clause de l’accord provisoire sur les nominations épiscopales signé en 2018 entre Rome et Pékin, indique Il Sismografo. Le souhait du pape est donc peut-être de faire de cette petite communauté chrétienne perdue dans la steppe mongole une porte d’entrée vers un monde chinois encore méconnu et difficile d’accès, mais qui pourrait constituer un pôle majeur de développement du catholicisme dans les décennies à venir.

Le pari du pape François de décentrer le Sacré Collège de son ancrage européen et de l’orienter progressivement vers les périphéries missionnaires prendrait ainsi tout son sens. L’avenir montrera si le premier pape venu d’Amérique latine fut aussi celui du basculement vers l’Asie. Sous le pontificat de l’Argentin qui, jeune jésuite, rêvait d’être envoyé en mission en Asie, c’est bien ce continent qui a connu la plus forte augmentation en nombre de cardinaux représentés dans le Sacré Collège, passant de 9% en 2013 à 15% aujourd’hui.

Si cette évolution se poursuit sur le long terme, le cardinal Giorgio Marengo, qui demeurera électeur jusqu’en juin 2054 et devrait logiquement participer à plusieurs conclaves, pourrait donc devenir une figure clé des grandes mutations du christianisme au XXIe siècle. (cath.ch/imedia/cv/bh)

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