Réclame du 'Prophète' Alex Jérémie Kamdem dans les rues de Bafoussam  | © Jacques Berset
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Le fléau de la prolifération des sectes au Cameroun inquiète l’Eglise

Le fléau de la prolifération des sectes au Cameroun inquiète fortement l’Eglise catholique, tout autant que les autres Eglises établies qui entretiennent avec elle et entre elles de bonnes relations œcuméniques. Mais à chaque coin de rue, dans chaque pâté de maison, apparaît une nouvelle «église» néo-pentecôtiste, souvent hostile aux grandes confessions religieuses.

Jacques Berset, de retour du Cameroun

Ces communautés bruyantes ne regroupent souvent qu’une petite poignée de fidèles adeptes d’un «prophète» autoproclamé prêchant un «évangile de la prospérité».

L’abbé Serge Eboa, chancelier de l’archidiocèse de Douala, nous le confirme: l’Eglise catholique du Cameroun entretient de bonnes relations œcuméniques avec les Eglises issues de la Réforme regroupées dans le Conseil des Églises Protestantes du Cameroun (CEPCA), l’Église Évangélique du Cameroun (EEC), l’Union des Églises Baptistes du Cameroun (UEBC), ainsi qu’avec l’Eglise anglicane et la petite Eglise orthodoxe.

L’abbé Serge Eboa, chancelier de l’archidiocèse de Douala, responsable de l’œcuménisme | © Jacques Berset

Pas de querelles ni de tensions entre les grandes confessions religieuses

Dans les paroisses, les Eglises établies organisent chaque année la traditionnelle «Semaine de prière pour l’unité des chrétiens» qui se déroule du 18 au 25 janvier. «Dans les paroisses, pasteur et prêtre catholique se déplacent dans les divers lieux de culte pour prier ensemble avec les fidèles et faire ensemble des actes de charité. C’est bien suivi. On se rend dans les prisons en délégation, on rend visite aux malades, on distribue un peu d’argent, des vêtements, des médicaments, de la nourriture… La convivialité se vit de façon concrète, réelle, il n’y a pas de querelles ni de tensions entre les grandes confessions religieuses. Dans une même famille, vous pouvez avoir un catholique, un protestant ou un membre d’une autre confession. Les moments de joie et de peine sont partagés !»

Des sectes souvent agressives envers les Eglises établies

Dans le quartier d’Akwa-Bonadibong, dans l’enceinte de la cathédrale Saints Pierre et Paul de Douala, nous visitons la station «Radio et Télévision Veritas Catholique RTVC», qui appartient à l’archidiocèse. La direction nous précise que les protestants interviennent sur les ondes et ont leurs propres émissions. Ce que confirme Mgr Samuel Kleda, archevêque de Douala depuis 2009, une personnalité très engagée dans l’œcuménisme et le dialogue interreligieux. (Voir Encadré). Mais les relations avec les mouvements religieux néo-pentecôtistes, souvent agressifs envers les Eglises établies, sont par contre plus complexes.

Au sortir de Douala, nous empruntons la route délabrée qui mène à Buéa, chef-lieu de la région anglophone du Sud-Ouest du Cameroun. Tout le long du chemin, la délégation d’«Aide à l’Eglise en Détresse ACN» venue visiter les projets que l’œuvre d’entraide catholique co-finance dans divers diocèses, découvre le foisonnement de ces nouveaux mouvements religieux. A perte de vue, c’est la succession des lieux de culte des sectes qui se multiplient jour après jour: Eglise de réveil, Centre de miracle Bonabo, Eglise de la Sanctification du Cameroun- Apôtre Jones Tam, Mission du Plein Evangile au Cameroun-Chapelle de Solution, Montagne de Prière-Prophète Alex Jérémie Kamdem, Tabernacle de Sion… sans compter les multiples et luxueuses Salles du Royaume des Témoins de Jéhovah qui s’égrènent partout dans les quartiers.

Sur la route de Douala à Buéà | © Jacques Berset

Longtemps responsable de l’œcuménisme et du dialogue interreligieux à Douala, l’abbé Eboa avait collaboré à l’«Étude panoramique des nouveaux mouvements religieux et philosophiques à Douala» sous l’égide du prêtre jésuite et anthropologue français Éric de Rosny qui fut missionnaire au Cameroun et passa plus de quarante ans de sa vie à Douala.

Le défi des nouveaux mouvements religieux

Mais depuis cet état des lieux qui date d’un quart de siècle, le chancelier de l’archidiocèse est dans l’incapacité de dénombrer les nouveaux mouvements religieux et philosophique qui pullulent par centaines dans Douala. Ces nouveaux arrivés bousculent les habitudes dans un pays jusque-là dominé par les Églises traditionnelles arrivées dans le sillage de la colonisation, ainsi que par l’islam et les pratiques des religions ancestrales.

Serge Eboa constate que, dans chaque quartier, de simples maisons sont soudainement transformées en ›églises’, où les gens cherchent des échappatoires pour sortir de la misère. «On leur promet des ›solutions miracles’, des promesses pour trouver du travail, pour aller en Europe, la guérison en cas de maladie – des ›pasteurs’ incitent par conséquent les malades à ne pas se rendre à l’hôpital, ce qui peut avoir des conséquences fatales… Tout cela contre rémunération sonnante et trébuchante !»

Mission du Plein Evangile, Douala | © Jacques Berset

Ce ne sont pas que les pauvres qui sont attirés par les gourous

Si les pauvres sont attirés par les promesses de ces gourous, note l’abbé Eboa, des gens aisés, des intellectuels, des ministres du gouvernement vont aussi les consulter. «Ils y vont pour chercher la protection, pour obtenir une promotion sociale et professionnelle. Des ›pasteurs’, pour fournir leurs prestations, peuvent exiger des sommes énormes: l’équivalent d’un salaire mensuel ou la vente d’une maison ou d’un terrain. Ils pratiquent un véritable lavage de cerveau, rendant les gens dépendants. Ils en réclament toujours plus, provoquant l’appauvrissement de nombreuses personnes…»

Bouleversant le paysage religieux du pays et interrogeant en profondeur les Églises établies de même que les équilibres œcuméniques et interconfessionnels, toujours fragiles, les mouvements pentecôtistes, millénaristes ou gnostiques se sont développés à Douala surtout à partir des années 1990.

Ces nouvelles églises abusent de la naïveté des fidèles

C’est en 1990 qu’est promulguée la loi libéralisant l’exercice public des associations religieuses. L’autorisation donnée à ces nouveaux mouvements religieux a pu apparaître comme une chance aux yeux de jeunes sans espoir, victimes du chômage et de la crise. Certains analystes politiques y ont vu aussi une manœuvre pour affaiblir les grandes Églises critiques face à la mal-gouvernance du pays.

Un pasteur de l’Eglise Evangélique (EEC) reproche lui aussi à ces ›confrères’ des nouvelles ›églises’ d’abuser de la naïveté de fidèles à la recherche d’un bonheur qu’ils n’ont pas trouvé dans leur propre église, «en en faisant souvent tout simplement leurs esclaves». La prolifération des sectes et des églises dites ›réveillées’ que connaît le pays ne laisse pas indifférents les responsables des diverses Eglises établies, pour qui le phénomène traduit l’incapacité des uns et des autres à faire face aux difficultés de la vie.

Des ‘pasteurs’ autoproclamés, qui se font appeler ‘prophètes’

Serge Eboa souligne que ces ›pasteurs’ autoproclamés, qui se font appeler ›prophètes’, se recrutent souvent parmi les anciens catéchistes ou les séminaristes qui ont été renvoyés du Séminaire. Ces personnes fondent alors leur propre ›église’, prétendant avoir eu une révélation. «Ce peut être aussi un simple chauffeur de taxi qui n’a même pas une formation théologique minimale. Ce sont de grands marchands d’illusion, qui se posent souvent en adversaires de l’Eglise catholique. Avec eux, il n’est pas question d’œcuménisme !»

«Il y a quelque temps, le pasteur Kanguka, très influent sur les réseaux sociaux, a attiré plus de 2’000 personnes venues de toutes régions du Cameroun au Stade Omnisports de Douala, avec l’espoir d’assister à des miracles. Même le gouverneur de la ville y est allé. Il y a eu des bousculades, avec des morts, certains ont succombé à la suite de déshydratation. La prédication commençait à minuit et la foule était déjà là dès le matin. Il fallait acheter une chaise pour s’asseoir, de 200 à 2’000 francs CFA (d’environ 0,3 euros à 3 euros, ndlr)…»

Les Témoins de Jéhovah sont très présents au Cameroun | © Jacques Berset

Influence dans le gouvernement, le Sénat et l’Assemblée nationale

L’abbé Eboa révèle encore que des entités comme la Franc-Maçonnerie ou l’Ordre de la Rose-Croix, un mouvement gnostique, sont très présents dans le gouvernement, le Sénat et l’Assemblée nationale. «Ils influencent les décisions dans tous les postes importants de l’administration. Pour l’Eglise, c’est un grand défi pour l’annonce de l’Evangile». La libéralisation de la pratique religieuse découlant de la loi N° 90/053 du 19 décembre 1990 a permis d’affaiblir l’Eglise catholique vue comme une menace par le pouvoir. «C’était une volonté tacite du pouvoir pour faire contrepoids à l’Eglise catholique, à ses yeux pas assez docile et trop critique».

Outre la sorcellerie et les pratiques de magie noire, qui touchent beaucoup de monde, l’abbé Eboa mentionne encore un retour aux religions africaines traditionnelles, un mouvement qui trouve un écho chez de jeunes intellectuels, et qu’on nomme «kémitisme». Ce concept dérive du mot ›kam’ ou ›kem, signifiant ›noir’ dans une ancienne langue africaine de l’époque pharaonique. Le «kémitisme» est un mouvement spiritualiste qui promeut le retour aux valeurs et croyances ancestrales africaines. Ce mouvement rejette les religions abrahamiques et considère que les religions occidentales sont à la racine de la misère de l’Afrique. «C’est désormais l’un des autres grands défis pour l’Eglise, car ce discours trouve un écho chez beaucoup de jeunes, chez nombre d’intellectuels et de cadres». JB

Dialogue Interreligieux fructueux
L’Association Camerounaise pour le Dialogue Interreligieux ACADIR regroupe la Conférence Episcopale Nationale du Cameroun (CENC) – catholique -, le Conseil des Eglises Protestantes du Cameroun (CEPCA), le Conseil Supérieur Islamique du Cameroun (CSIC), l’Association Culturelle Islamique du Cameroun (ACIC), le Conseil des Dignitaires et Imams du Cameroun (CIDIMUC) et l’Archevêché Orthodoxe de Yaoundé. ACADIR est depuis 2007 une plateforme de rencontre et de dialogue entre les religions ayant pour but de promouvoir la paix et le progrès social. L’antenne régionale de l’Extrême Nord s’est constituée en 2015 alors que la région commençait à être attaquée par le groupe djihadistes Boko Haram. Les religieux se sont alors réunis pour dénoncer et se démarquer collectivement de ces terroristes, s’inscrivant dans le Programme Paix et Vivre ensemble. Voir: https://ccfd-terresolidaire.org/wp-content/uploads/2023/02/ccfd-terresolidaire.org-paix-et-vivre-ensemble.pdf JB

Réclame du 'Prophète' Alex Jérémie Kamdem dans les rues de Bafoussam | © Jacques Berset
28 décembre 2024 | 18:02
par Jacques Berset
Temps de lecture : env. 7  min.
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