Le film (IM)MORTELS, un regard tendre sur l’au-delà
Lila Ribi a filmé sa grand-mère, Greti, dans ses douze dernières années de vie. Dans le film (IM)MORTELS, en salles dès le 11 mai 2022, la réalisatrice vaudoise entrouvre avec beaucoup de sensibilité une porte sur la réalité souvent occultée de la mort. Entretien.
Greti apparaît à la fenêtre de sa maison, dans la campagne vaudoise, un matin de printemps. La vie s’écoule doucement et sans grands bouleversements pour la grand-mère de Lila Ribi. Agée de 92 ans au début du tournage, ses principales préoccupations sont de nourrir son chat, d’arroser ses fleurs et de s’occuper de sa maison.
La mort, forcément proche, elle ne veut pas trop en parler, malgré les questions de sa petite-fille à ce sujet. Dans les 10 ans qui suivent, jusqu’à son décès à l’âge de 103 ans, la vision de Greti de sa fin prochaine évolue avec son état général. Dans (IM)MORTELS, Lila Ribi mêle cette approche personnelle du déclin d’un être aimé avec ses investigations sur la mort, la vision de la science, les expériences de mort imminente, la médiumnité. cath.ch a rencontré la réalisatrice à Lausanne.
Comment l’idée du film vous est-elle venue?
Lila Ribi: Dans le cadre de mon métier de réalisatrice, j’ai commencé à filmer ma grand-mère paternelle, avec qui j’avais une relation très forte. Je n’avais pas en tête, tout d’abord, de relier cela à la mort, je voulais surtout capter sa personnalité attachante. Mais petit à petit, j’ai senti que quelque chose d’important se passait, qu’elle se détachait progressivement du monde. Alors j’ai eu l’idée de relier cela avec la question de la mort, qui me fascine depuis longtemps.
D’où cet intérêt vous vient-il?
C’est arrivé par mon autre grand-mère. Quelques heures après sa mort, dans la cuisine, une ampoule s’est mise à grésiller. J’ai trouvé cela étrange. Ensuite, j’ai ressenti distinctement sa présence. Elle m’a dit, dans un langage non verbal: «La vie continue». Parlait-elle de la mienne? De la sienne? A cette époque, je n’étais pourtant vraiment pas portée sur le surnaturel, j’étais quelqu’un de plutôt rationnel.
Cette expérience m’a profondément marquée et j’ai eu envie d’en savoir plus sur les possibilités d’une survivance de la conscience. J’ai beaucoup lu sur le sujet. Le livre La vie après la vie, du docteur Raymond Moody, a notamment attiré mon attention sur les expériences de mort imminente.
Et qu’avez-vous découvert dans votre quête?
L’impression que nous sommes reliés à quelque chose de plus grand. Mes recherches m’ont ouverte à une autre dimension. Sans avoir de certitude, l’intuition est fortement ancrée en moi que ce que nous percevons avec notre conscience ordinaire n’est qu’une petite portion de la réalité.
Cela vous a-t-il amenée vers une spiritualité particulière?
A vrai dire, non. Je regarde et prends ce qui me convient dans chaque philosophie et religion. Je me concentre surtout sur ce qu’il y a de commun entre tous ces différents courants. Pour moi, le plus important c’est d’être connectée à ce qui m’entoure, à la nature, et d’être dans le cœur plutôt que dans la tête. Si je devais m’orienter vers une spiritualité, ce serait sans doute le chamanisme.
Qu’avez-vous retiré, sur le plan personnel, de la manière dont votre grand-mère a vécu sa fin de vie?
Il faut dire que je viens d’une famille agnostique. J’ai grandi dans un milieu où la religion n’était pas évoquée. Greti voyait la vie à travers son propre filtre. Elle était non croyante, mais avait sa manière d’être reliée à la vie. Comme si elle n’avait pas besoin de se poser de questions sur la mort. Ce sont des attitudes que beaucoup de personnes ont et qu’il faut respecter.
«Lorsque l’on accepte l’idée de sa mort, la vie apparaît plus précieuse»
Le film montre une séance où une médium communique avec votre grand-mère. Cela vous a-t-il davantage amenée vers une possibilité de vie après la mort?
C’était pour moi surtout une forme d’expérimentation. Pour savoir ce qui se passe après la mort, cela me semblait logique de demander à une défunte. Et j’ai été très étonnée par les informations données, qui étaient tout à fait vraies. J’ai essayé de calquer ce que la médium m’avait dit de Greti sur le portrait de mon autre grand-mère, et ça ne jouait pas du tout. Je n’en tire pourtant pas de conclusion définitive sur une éventuelle survivance de l’âme. Je ne cherche à convaincre personne.
Comment voyez-vous votre propre mort?
En fait, s’il y a quelque chose, je me réjouis de découvrir ce qu’il y a de l’autre côté. Cela ne veut pas dire que je veux mourir vite. Au contraire, j’aime la vie. Cela peut paraître étonnant, mais je ne ressens plus d’angoisse par rapport à cela. Je le perçois comme un moment sacré, où je découvrirai enfin la vérité, en premier celle de mon être.
Est-ce cela que vous voulez susciter chez les spectateurs d’(IM)MORTELS?
Non. Encore une fois, je ne veux imposer ma vision à personne. J’ai surtout remarqué à quel point il est difficile de parler de la mort dans notre société. Les gens préfèrent faire comme si elle n’existait pas. Pourtant, nous y serons tous confrontés un jour où l’autre. Et je crois fermement qu’explorer la question avant de mourir peut nous aider à nous préparer.
Je pense que le film a fait du bien aux personnes qui l’ont vu. Ils n’en ressortent pas choqués ou déprimés, mais plutôt attendris et touchés. Ce que je veux, c’est simplement ouvrir des portes vers cet inconnu de la mort. Inviter les personnes à la regarder autrement. Le sentiment d’angoisse vient surtout du fait que l’on ne la connaît pas et que l’on s’imagine le pire.
Mais pourquoi ne pas rester dans un déni tranquille?
Il me semble que lorsque l’on accepte l’idée de sa mort, la vie apparaît plus précieuse. J’ai remarqué que les personnes qui font ce travail se sentent apaisées. Personnellement, ma démarche de questionnement m’a rendue plus présente à la vie. Je pressens qu’il y a un sens à tout ça et je tente de voir le sacré en chaque chose.
J’essaye aussi de me concentrer davantage sur l’amour. Cela rejoint de nombreux témoignages d’expériences de mort imminente que j’ai pu lire. Souvent, les personnes racontent avoir été accueillies par une entité qui leur pose cette question: «Comment as-tu aimé?» (cath.ch/rz)
La mort en face
(IM)MORTELS ne sera certainement pas un «blockbuster». Qui a envie de contempler la déchéance et la mort, qui plus est dans leurs habits les plus banals? Ce film documentaire «confidentiel» passera sans doute comme une belle étoile filante dans le ciel surchargé du cinéma contemporain.
Il mériterait pourtant d’être une Etoile du Berger, un point qui guide les voyageurs.
Car l’œuvre de Lila Ribi recèle maints enseignements. Et il possède un mérite plutôt rare: celui de nous mettre droit devant le nez les questions que nous laissons aisément moisir dans les tiroirs. Qui sommes-nous? Que venons-nous faire sur cette terre? Où allons-nous ?
Des interrogations qu’(IM)MORTELS pose d’une manière à la fois assumée et subtile. Non à travers la vitrine de grandes envolées philosophiques, mais par la petite fenêtre du combat quotidien et intime.
Emplie de contrastes, entre le vertige de la mort et la tranquille bonhommie de Greti (la grand-mère de Lila Ribi), entre les images de crânes humains et de lacs étincelants, l’œuvre a des airs de Caravage, où la lumière se retrouve magnifiée par l’ombre.
Elle évite également nombre des écueils qui guettent ce genre cinématographique, notamment l’unilatéralité. L’incroyance de la grand-mère et le scepticisme des scientifiques côtoient les impressionnants témoignages de ceux qui ont entrevu l’au-delà. Et le spectateur est laissé face à sa propre réflexion.
En regardant (IM)MORTELS, le chrétien ne trouvera ainsi peut-être pas de confirmation de sa foi. Mais il y reconnaîtra certainement des points cardinaux, dont l’amour et l’espérance. RZ