La transplantation d'organes permet de sauver des vies | © pixabay.com scotth23 CC0
Dossier

«Le don d’organe doit être libre, sans pression morale ou sociale»

20 avril 2022 | 17:00
par Maurice Page
Don d'organes (9), Ethique (28), PEV (14), Référendum (22)
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Admiratif face aux progrès des transplantations d’organes, François Bachmann n’en est pas moins opposé à la révision de la loi sur la transplantation soumise au peuple suisse le 15 mai 2022.

Propos recueillis par Maurice Page

(cath.ch donnera la parole ultérieurement à une personnalité favorable à la loi)

Pour le vice président du Parti Evangélique Suisse (PEV), membre du comité référendaire, le consentement présumé ne respecte pas suffisamment la dignité du donneur, de ses proches, du receveur et du personnel médical.

Le don d’organe peut être considéré comme un geste d’altruisme. Pour les chrétiens comme un geste de charité. Pourquoi un référendum contre cette révision de la loi? François Bachmann: Nous ne votons pas sur le don d’organes. On peut être pour ou contre. Nous votons sur la manière de l’organiser, à partir du principe du consentement présumé. Or les caractéristiques du don sont qu’il doit être libre et gratuit. Il ne peut pas et ne doit pas être soumis à une quelconque pression morale ou sociale. L’éthique médicale veut en outre que le patient soit informé clairement sur ce à quoi il consent. L’idée que le don soit entier et corresponde vraiment au consentement se voit galvaudée dans ce projet de loi. Le silence est interprété de manière très ‘utilitariste’. Le principe ‘qui ne dit mot consent’ me semble  abusif en termes d’éthique médicale.

François Bachmann est le vice-président du Parti Evangélique Suisse (PEV) | © Maurice Page

Vous vous dites personnellement favorable au don d’organes.
Oui. Je suis admiratif de ce que la médecine peut faire aujourd’hui. J’ai un ami transplanté du foie qui me dit qu’il a eu une deuxième vie. C’est magnifique! Au sein du comité référendaire il y a, comme dans la population suisse, des personnes favorables et d’autres opposées au don d’organes. Mais à notre avis, la loi proposée ne va pas avoir d’effets importants sur le taux de don d’organes.

Peut-on s’opposer au don d’organes pour des motifs religieux?
C’est une question très personnelle. On peut s’opposer par exemple à l’idée que nos organes continuent à vivre dans un autre corps. On peut s’opposer aussi à l’opération de prélèvement d’organes, faite sur «un corps qui est suffisamment vivant pour que les organes soient encore utiles, et suffisamment mort pour que la justice n’intervienne pas», selon les termes du Conseiller national Yves Nydegger (UDC/GE).
On peut aussi avoir le désir d’accompagner la totalité du processus de la mort d’un proche et de ne pas l’abandonner à un certain moment aux mains des médecins pour prélever ses organes.
Les scientifiques placent aujourd’hui la mort au moment de la mort cérébrale, c’est-à-dire de la fin de l’activité du cerveau. Les traditions religieuses, et pas seulement chrétiennes, la fixent plutôt au dernier soupir ou au dernier battement de cœur. Ce qui empêche une transplantation d’organes.

«La tradition religieuse la voit comme un processus, un départ, sur lequel on ne sait pas beaucoup de choses.»

Vous avez utilisé le mot «utilitariste» pour signifier qu’il faut rester attentif à cela….
Oui, c’est inhérent à la chose. De l’autre côté, le don valorise la solidarité communautaire face à l’individualisme. On peut ici voir un parallèle biblique avec l’idée que si un membre souffre, les autres souffrent avec lui (1ere lettre de Paul aux Corinthiens 12,26, ndlr). Je ne prête pas une intention de course à l’utilité aux partisans du consentement présumé. Mais la question de la dignité du mourant, des proches, du receveur et même du personnel médical doit être posée.

Pour vous, il faut mieux appréhender la complexité de la question de la mort.
Effectivement. La loi tire une ligne juridique avec la mort cérébrale. Mais la tradition religieuse la voit comme un processus, un départ, sur lequel on ne sait pas beaucoup de choses. Et de fait la médecine moderne n’en connaît guère plus sur ce qui se passe dans le corps, dans le psychisme ou dans l’âme. On peut décrire ce qui se passe biologiquement, mais beaucoup de questions demeurent. Je pense qu’il faut beaucoup de prudence. Je mets aussi sur cette raison-là, le fait qu’une majorité de proches refusent le don d’organes lorsqu’ils sont interrogés par les médecins. Dans le doute sur la volonté du mourant, on préfère s’abstenir de ›libérer’ ses organes.

A vous entendre, il n’y aurait donc pas de corrélation directe entre le consentement présumé et le taux de don d’organes?
La Commission nationale d’éthique est claire. On ne peut pas établir une telle corrélation. L’exemple souvent cité est celui de l’Espagne qui a introduit le consentement présumé et qui a un taux plus élevé. C’est vrai, mais c’est surtout parce dans chaque hôpital, il y a un délégué à la transplantation chargé de coordonner les efforts, voire de convaincre les médecins réfractaires. Une organisation dédiée serait plus efficace que le consentement présumé.

«On a un glissement du donneur potentiel, que nous sommes tous, au donneur présumé.»

En quoi le consentement présumé pose-t-il problème?
Pour les gens qui ont déclaré leur intention, il n’y a pas de problème, ni dans le modèle actuel, ni dans le modèle proposé. Mais la présomption de la volonté du mourant mettra ses proches devant une question nouvelle: «Avez-vous une déclaration ou un indice du fait qu’il était opposé au don d’organes?» On a donc bien un glissement du donneur potentiel, que nous sommes tous, au donneur présumé. Les proches sont dans une situation de choc, de deuil. Ils n’auront pas la possibilité ni le temps de s’informer, de poser des questions, de réfléchir. Cela me semble brutal de leur «tomber dessus» ainsi. Il faut aussi rappeler que la Constitution fédérale garantit le droit à l’intégrité physique qui ne s’éteint pas après la mort.

Une autre solution serait celle de la déclaration d’intention ›obligatoire’.
Il s’agit à mes yeux, d’une vraie solution au problème central qui n’est ni le manque d’organes ni la prudence exacerbée des proches, mais l’absence de volonté exprimée du mourant. Si on disposait pour plus de monde d’une déclaration claire, le problème serait résolu. Comment le faire sans violer la liberté personnelle? Sans admettre aussi que l’on peut ne pas avoir d’avis ou en changer? La Commission nationale d’éthique a fait cette pesée des intérêts et la majorité avait privilégié cette solution de documentation.

Elle a pourtant été assez vite écartée du débat parlementaire, surtout pour des raisons de mise en œuvre.
Dans un domaine aussi délicat et personnel que les questions d’éthique médicale, il paraît surprenant que les questions de mise en œuvre puissent devenir un obstacle majeur. On dit que mettre en place cette déclaration d’intention serait compliqué et cher! Oui, mais une mise en pratique sérieuse du consentement présumé, c’est-à-dire en garantissant à tous une information la plus complète possible, me paraît tout aussi exigeante et difficile. En plus c’est une information constante qui doit se faire dans la durée, à chaque génération.

Parler de la mort avec son prochain est un geste de charité (Pixabay.com)

Cela implique la capacité d’en parler avec ses proches.
Bien sûr et c’est un point que nous avons en commun avec les partisans du projet. Il faut en parler plus ouvertement. Mais c’est difficile, car la mort reste un tabou que l’on délègue aux hôpitaux ou aux EMS. La probabilité d’être impliqué dans cette question est beaucoup plus grande en tant que proche que pour soi-même. Si vous ne faites pas de directives anticipées, vos proches devront le faire à votre place. Comme chrétien, aider mon prochain à parler de sa mort à y réfléchir avec lui, me semble aussi un devoir de charité. Il vaut mieux avoir cette discussion ›en temps de paix’ qu’en ›temps de choc’. Imaginez aussi les tensions que cela peut provoquer au sein d’une famille.

«La moitié des personnes en liste d’attente ne sont pas opérables pour un transfert d’organe»

L’argument principal reste que le consentement présumé doit permettre de résoudre le manque d’organes.
Je mets un point d’interrogation sur l’affirmation selon laquelle c’est à cause du manque d’organes qu’environ 70 personnes en liste d’attente meurent par année. Sur les quelque 1’500 personnes en attente d’un organe, les deux-tiers attendent un rein. Avec deux particularités: premièrement, le don d’un rein peut se faire entre vivants; deuxièmement, on peut pallier un dysfonctionnement rénal par la dialyse, c’est lourd et compliqué, mais vous n’en mourez pas.
Il faut savoir en outre que la moitié des personnes en liste d’attente ne sont pas opérables pour un transfert d’organe, parce que leur état de santé est trop dégradé et qu’elles risqueraient de ne pas survivre à l’opération. Donc le chiffre de 70 morts n’est pas étonnant. Même si les organes sont à disposition, il y aura toujours des morts sur la liste d’attente. Aujourd’hui la Suisse exporte des organes ailleurs en Europe et c’est très bien. Elle en reçoit aussi.

Transport d’organes | DR

La question de la pénurie est donc relative?
Oui, c’est le bon terme. On compte actuellement en Suisse environ 300 décès qui se passent dans des conditions permettant un prélèvement de trois organes en moyenne. Ce potentiel est exploité à moitié avec 170 donneurs et donc environ 500 organes. Face à ces chiffres, est-ce nécessaire et proportionné de mettre 6 millions de personnes comme donneurs présumés? Nous nous sommes beaucoup battus pendant le covid sur l’obligation de se faire vacciner. Des gens ont manifesté pour s’y opposer. Et dans le cadre du don d’organes cette liberté devrait disparaître?
Je me permets aussi un autre parallèle. Dans le domaine de l’intégrité sexuelle, on appelle fortement à l’introduction du principe du consentement explicite, et c’est très bien, mais pourquoi ne pas se poser pas de question sur le don d’organes?

«Comment le receveur vit-il avec un organe donné par consentement présumé?»

Lors d’un don d’organe, il y a un donneur mais aussi un receveur.
C’est une question intéressante. Comment le receveur vit-il avec un organe donné par consentement présumé? Accepter un organe de quelqu’un d’autre n’est pas rien. Il y a certes un besoin et un devoir de protection de la vie privée du donneur et du receveur. Mais le seul fait de me dire que peut-être la personne qui m’a donné son rein ou son foie n’avait pas exprimé son consentement explicite peut ›me pourrir la vie’. 

Vous évoquez aussi la situation du personnel médical impliqué dans les prélèvements.
Avant d’effectuer un prélèvement, le patient est anesthésié, pas pour lui puisqu’il est mort, mais pour éviter les éventuels mouvements nerveux qui pourraient perturber les intervenants. Le personnel médical est donc aussi impacté par cette procédure. Il n’est pas très rare que des médecins renoncent à le faire. J’y vois une raison de plus en faveur du consentement explicite.

Le comité référendaire est quasiment exclusivement alémanique. Peut-on y voir une différence de mentalité entre Romands et Alémaniques?
A cause certainement de l’héritage des crimes nazis, pendant la Deuxième Guerre mondiale, l’Allemagne a une grande retenue face aux transplantations. En Suisse alémanique, on s’en est émancipé, mais on garde une attitude plus réservé face à l’autorité du médecin et celle de l’Etat. On recourt par exemple sensiblement plus aux médecines naturelles et alternatives et on se méfie plus des vaccins. Chez les Romands, l’autorité médicale est moins contestée.  (cath.ch/mp)

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La transplantation d'organes permet de sauver des vies | © pixabay.com scotth23 CC0
20 avril 2022 | 17:00
par Maurice Page

DON D'ORGANES

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