Le diocèse de Versailles mis en cause après le suicide d'un prêtre
Après l’annonce du suicide du Père François de Foucauld, les catholiques du diocèse de Versailles sont sous le choc. Ses proches dénoncent une cabale de quelques paroissiens et un abus de pouvoir de l’autorité diocésaine.
Âgé de 50 ans, François de Foucauld était prêtre depuis 18 ans. Il a exercé son ministère dans plusieurs paroisses du diocèse de Versailles, mais n’avait plus de mission depuis septembre 2021. Selon l’évêché, il connaissait «des difficultés dans l’exercice de son ministère» ces derniers mois.
De fait dans une tribune publiée dans La Croix, le Père de Foucauld avait exprimé le malaise qu’il ressentait dans la gouvernance de l’Église: «La parole est enfermée. C’est trop souvent un petit cercle de clercs et de laïcs autour de l’évêque qui s’arroge le dernier mot. Cette contrainte au silence imposée par quelques-uns ne passe plus», avait-il écrit en décembre 2021. Dans ce texte, il n’évoquait cependant pas son cas personnel.
Les responsables diocésains mis en cause
Mais, après l’annonce de son décès, les amis du prêtre ont largement commenté son histoire sur les réseaux sociaux,en mettant en cause explicitement la direction du diocèse de Versailles.
Selon le récit de Nicolas Jourdier, producteur de cinéma qui se présente comme son ami, après sa nomination à Bois d’Arcy en septembre 2014, un petit groupe de paroissiens qui tenaient en main la gestion de la paroisse est entré conflit avec lui. D’abord larvé, le conflit a éclaté au grand jour à la fin de l’année 2018 avec des lettres de dénonciation à l’évêché, des perturbations de ses homélies, des insultes, voire des menaces.
Le prêtre demande alors à l’évêque d’alors, Mgr Eric Aumonier, de pouvoir lire les lettres ou au moins d’avoir connaissance des reproches adressés à l’évêché. Mgr Aumonier refuse en arguant de la confidentialité.
Finalement, une rencontre est convoquée avec l’évêque auxiliaire et les accusateurs du curé pour faire la clarté. Ces derniers refusent d’y participer.
Médiation et audit
En septembre 2020, le Père François consulte une avocate, qui lui conseille de proposer une médiation professionnelle avec un mandataire externe, pour permettre à la hiérarchie de prendre ses responsabilités face à de tels harcèlements. Cette démarche se solde aussi par un échec. Le prêtre se met alors en grève de la faim pour exiger un audit pour tirer au clair les dysfonctionnements à Bois d’Arcy comme à la curie diocésaine.
L’évêque finit par accepter. L’audit est réalisé en mars et avril 2021 par deux anciens directeurs de ressources humaines à la retraite. Il présente des accusations graves, notamment financières, à l’encontre du curé et de son équipe. Mais selon les proches, cette enquête est non seulement bâclée, mais instruite uniquement à charge. Nouvelles protestations véhémentes du Père François.
Le nouvel évêque du diocèse, Mgr Luc Crépy, qui en a repris la charge en février 2021, reconnaît dans une lettre le 11 avril 2022 que «les affirmations à l’égard du prêtre ne sont étayées par aucune preuve» et «sont infondées»; et que «l’audit a suivi une méthodologie particulièrement contestable et contraire à la déontologie». Il demande au prêtre un mois avant de diffuser la lettre.
Mais nouveau retournement de situation le 13 mai 2022, l’évêque exige «qu’aucune forme de procédure contentieuse, devant quelque instance que ce soit, contre qui que ce soit» ne puisse être engagée. Le Père François met fin à ses jours le 1er juillet 2022.
«Il est étonnant de constater que l’évêque qui a été choisi pour faire la lumière sur les abus dans l’Eglise en France, organise lui-même l’opacité la plus totale sur les abus de pouvoir commis dans son propre diocèse et réclame la destruction des preuves et exige l’impunité judiciaire de ses responsables», conclut la dénonciation des amis du Père François.
Le maire de Bois d’Arcy réagit
Philippe Benassaya, ancien député-maire de Bois d’Arcy, a également réagi au décès du Père François de Foucauld. »C’était un partenaire dynamique dans la vie de la commune. J’ai beaucoup de tristesse mais aussi beaucoup de colère», écrit-il. «Cette réussite et cette entente ne pouvaient bien évidemment pas laisser indifférente l’immense cohorte des petits, des jaloux, des aigris, dont la rumeur est le funeste métier.
J’en ai été victime un temps, il l’a été plus que moi, parfois par les mêmes personnes, jusqu’à l’épuisement final. L’heure n’est pas encore à la nécessaire recherche de la vérité et à la défense de son honneur flétri. Respectons le temps du deuil. Mais le temps de la justice et de la vérité viendra, inéluctablement, naturellement, avec force.»
Chaque médaille a son revers
Dans un blog publié le 5 juillet, René Poujol, ancien directeur du Pèlerin qui avait connu François de Foucauld comme stagiaire journaliste et jeune prêtre et avec qui il s’était lié d’amitié, nuance les jugements. Il s’agit de «l’épilogue particulièrement dramatique d’un parcours complexe où il est bien difficile de faire la part de la fragilité des êtres et de la responsabilité générale de l’institution dans un mode de gouvernance aujourd’hui questionné, bien au-delà de ce seul diocèse.»
Chacun reconnaît qu’il avait un vrai charisme de proximité, de générosité, de créativité dont il a fait profiter les paroisses des Yvelines où il a été nommé, poursuit René Poujol. «Mais toute médaille a son revers. Son tempérament intransigeant le prêtait peu aux concessions, aux compromis, convaincu qu’il était de devoir contribuer au réveil d’une Eglise saisie de torpeur mortifère. Il s’y est brûlé les ailes.» «Ce que ne dit pas le texte de Nicolas Jourdier, et qui semble incontestable, est que la réaction parfois violente de François de Foucauld à cette situation a eu pour effet d’accroître les tensions, de provoquer des démissions, de décourager nombre de fidèles qui se sont réfugiés dans des paroisses voisines.» «Certains dépeignent un François de Foucauld fermé à toute perspective d’avenir, refusant toute proposition d’affectation.»
«Fallait-il taire tout cela ‘par respect pour le défunt’ et pour les mêmes raisons ne rien publier avant les obsèques», interroge le chroniqueur. «Tout suicide reste un mystère. Mais les fragilités d’un homme – que celui qui ne les connaît pas en lui-même lui jette la première pierre – ne peuvent masquer les défaillances structurelles d’une institution.»(cath.ch/mp)