Les responsables du diocèse de Sion ont présenté les conclusions de l'audit sur le traitement des abus | © Lucienne Bittar
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Le diocèse de Sion n’a pas été à la hauteur dans la gestion des abus

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L’accueil des victimes d’abus sexuels dans le diocèse de Sion a été déficient et le suivi des dossiers lacunaire, voire absent. Les victimes, une fois entendues, n’ont pas été correctement informées de leurs droits ni bien accompagnées. C’est ce que révèle le rapport d’audit commandé par le diocèse de Sion, présenté le 11 juin 2024.

L’évêque de Sion Mgr Jean-Marie Lovey et son Conseil épiscopal ont mandaté en octobre 2023 un cabinet indépendant pour effectuer un audit consacré à la gestion des abus sexuels en contexte ecclésial dans le diocèse. Les conclusions de l’audit effectué par Vicario Consulting,* présentées par Stéphane Haefliger, lors d’une conférence de presse, sont très sévères. «En clair, le diocèse n’a pas été à la hauteur», résume pour cath.ch, le vicaire général Pierre-Yves Maillard.

Objectifs de l’enquête

L’objectif de cet audit était d’établir les responsabilités institutionnelles et personnelles des dysfonctionnements possibles concernant l’accueil des victimes d’abus et le traitement formel de leurs dossiers par le diocèse, de 1960 à 2020 environ. Un appel à témoignages a été lancé.

«En clair, le diocèse n’a pas été à la hauteur»

Pierre-Yves Maillard

Les auditeurs ont également analysé le respect des procédures de justice civile et de droit pénal ainsi que de droit canonique, et les raisons du retard, identifié par l’étude suisse, dans la mise sur pied de la commission neutre et indépendante Abus sexuels en contexte ecclésial (ASCE). Le type et la proportionnalité des démarches et sanctions mises en œuvre ont également été examinés.

Entretiens et analyse d’archives

L’enquête de Vicario Consulting a porté sur 15 dossiers. 29 personnes ont été entendues dans ce cadre. «Un corpus microscopique», a tenu à souligner Stéphane Haefliger, et dont les conclusions ne peuvent en aucun cas être généralisées». La plupart des abus signalés se rapportent au passé. «Le premier d’entre eux date de 1938. Je ne suis pas sûr qu’on ait découvert des situations nouvelles, mais on a mis à jour des fonctionnements défectueux.»

Ont été entendues et interrogées: 18 victimes (dont 3 couples parentaux) qui se sont annoncées suite à l’appel à témoigner; quatre responsables et collaborateurs du diocèse (Mgr Lovey, les vicaires généraux Pierre-Yves Mailard et Richard Lehner, et Philippe Genoud, du conseil épiscopal); Claude Bumann, président de l’ASCE; quatre membres des Groupe SAPEC (soutien aux personnes abusées dans une relation d’autorité religieuse) et de la CECAR (Commission Écoute, Conciliation, Arbitrage et Réparation) et deux chercheurs ayant œuvré à la rédaction du rapport concernant le Projet pilote sur l’histoire des abus sexuels dans le contexte de l’Église catholique romaine en Suisse depuis le milieu du 20e siècle, de l’Université de Zurich.

«Je ne suis pas sûr qu’on ait découvert des situations nouvelles, mais on a mis à jour des fonctionnements défectueux.»

Stéphane Haefliger

A la question de cath.ch de savoir pourquoi d’anciens responsables d’Église n’ont pas été entendus, comme Mgr Norbert Brunner (évêque de Sion de 1995 à 2014), l’auditeur a expliqué qu’il y avait pensé de prime abord, mais que «l’objectif était de recueillir une parole vivante, de faire un état des lieux aujourd’hui, sur une base volontaire, et non pas d’établir un rapport historique exhaustif».

Les enquêteurs ont néanmoins eu accès aux archives secrètes du diocèse et à tous les documents disponibles relatifs aux cas d’abus dénoncés.

Un accueil des victimes déficient

Le cabinet Vicario Consulting relève un paradoxe. Les dossiers relatifs aux abus dans le diocèse de Sion sont bien tenus, alors que de nombreux dysfonctionnements sont dénoncés par les victimes. Stéphane Haefliger souligne que «l’inadéquation du premier contact direct avec un membre de l’Église, le manque de suivi dans la procédure ainsi qu’une attitude de déni ont blessé les victimes qui ont osé sortir de l’ombre».

Richard Lehner (à dr.), responsable de la Commission abus sexuel en contexte ecclésial du diocèse de 2015 à fin 2021, est dessaisi du dossier | © Lucienne Bittar

Les victimes demandent une écoute bienveillante, la reconnaissance de leur souffrance, l’objectivation des faits, un soutien psychologique et une assistance administrative, des informations historiques et des mesures de protection, a-t-il insisté. Ce qu’elles n’ont pas trouvé.

Elles ont décrit l’accueil de leur plainte par le diocèse comme intimidant, peu soutenant, laborieux, fuyant… «Comme parents, nous avons vraiment l’impression que l’Église suisse ne nous écoute pas», a déclaré l’un des couples parentaux.

Six griefs principaux

A la suite de tous les témoignages recueillis, les auditeurs ont listé six griefs principaux: un déni et un manque d’écoute, une inertie institutionnelle et une absence de proactivité dans le traitement des données, une absence de responsabilité et d’anticipation et enfin une difficulté à gérer les situations RH conflictuelles.

Même si les dossiers sont bien tenus, que l’administration formelle est adéquate, c’est le ressenti des victimes qui doit primer. «Et c’est sur les victimes que le diocèse doit s’ajuster, en calibrant vers plus d’humanité, de communication dans le suivi des dossiers, de proximité», insiste-t-il, même en cas de récits confus, contradictoires, émotionnels ou hésitants.

Un désir de transparence de la part de l’évêché

Mgr Lovey, dans une volonté de transparence affirmée, a souhaité que l’intégralité du rapport soit rendu public. Les noms des personnalités publiques contemporaines impliquées (évêques, abbés, responsables ecclésiastiques) sont donnés. Le témoignage des victimes, par contre, reste pour sa part anonyme, en accord avec leurs propres exigences.

Du fait de cet anonymat, Stéphane Haefliger a expliqué qu’il n’est pas possible de vérifier si toutes les victimes qui se sont annoncées auprès du cabinet d’audit l’ont aussi fait auprès du diocèse. L’anonymisation des sources, telle que décrite dans le rapport des chercheurs zurichois, a aussi été retenue. Ces informations pourront être croisées avec celles de l’enquête de l’Université de Zurich, à condition que les victimes donnent expressément leur accord.

Un travail futur de prévention mais aussi de réconciliation

«J’accueille cet audit avec humilité et comme un précieux instrument de travail» qui nous permettra de «mieux baliser les chemins de justice et de réparation, d’une écoute et d’un accompagnement plus professionnalisé et d’une prévention active», a réagi Mgr Lovey. Et de citer Jean-Marc Sauvé, président de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église en France (CIASE): «Il ne peut y avoir d’avenir commun sans un travail de vérité, de pardon et de réconciliation et cela pour l’Église comme pour les institutions civiles.»

«J’accueille cet audit avec humilité et comme un précieux instrument de travail»

Mgr Jean-Marie Lovey

«Nous avons trop longtemps dissocié dans la catéchèse et la prédication miséricorde et justice, au risque d’encourir le cinglant reproche de Paul aux Romains: ‘La colère de Dieu se révèle du haut du ciel contre toute impiété et toute injustice des hommes qui tiennent la vérité captive dans l’injustice’ (Rm 1,18).»

Plan d’action futur pour juguler les abus

L’abbé Paul Martone et l’abbé Pierre-Yves Maillard, respectivement responsables de la communication pour la partie germanophone et la partie francophone du diocèse de Sion, ont annoncé le plan d’action décidé par l’évêque et le Conseil épiscopal pour donner suite à cette recherche. En dehors des mesures annoncées au niveau suisse, auxquelles le diocèse s’associe, d’autres vont être prises par le diocèse de Sion pour mieux accueillir les victimes. Elles sont le plus souvent «déjà mises en route», précise l’abbé Maillard.

L’enquête de Vicario Consulting a porté sur 15 dossiers. 29 personnes ont été entendues dans ce cadre | © Lucienne Bittar

Le diocèse va mieux jouer son rôle d’aiguilleur pour les victimes, pour les amener à s’adresser aux commissions adéquates, internes ou externes, comme la Commission diocésaine ASCE, la CECAR, le groupe SAPEC ou les centres LAVI, reconnues comme compétentes par la Commission d’indemnisation des évêques. Au vu de l’ancienneté de nombre de dossiers, la seule action possible pour le diocèse est en effet souvent celle de l’accompagnement des victimes.

Trop de portes d’entrée?

Il ressort aussi du rapport d’audit que la multiplication des points d’entrée (13 répertoriés) qui s’offrent aux victimes peut embrouiller celles-ci. Il est d’autant plus important de bien les orienter et de renforcer les relations entre les diocèses et ces associations. Ce que l’évêché de Sion a décidé de faire. «L’abbé Maillard a établi un contact avec le SAPEC depuis le début de l’année» a confirmé à cath.ch Marie-Madeleine Zufferey-Sudan, vice-présidente du groupe. «Et c’est très positif.»

Une nouvelle équipe mieux formée

Parmi les autres mesures annoncées, ressort celle de la formation à une écoute active professionnelle des collaborateurs en charge des dossiers d’abus. Richard Lehner, vicaire général pour la partie germanophone du diocèse et responsable de la Commission abus sexuel en contexte ecclésial du diocèse de Sion entre 2015 et fin 2021, est dessaisi du dossier. Il avait déjà dû se retirer en novembre dernier, pour les besoins de l’enquête, de tous les organismes, instances et thématiques concernant les abus à la demande de l’évêque. L’abbé Stefan Roth le remplace.

Côté francophone, Sœur Adrienne Barras et l’abbé Pierre-Yves Maillard sont nommés responsables ‘prévention abus’ sur le plan diocésain et chargés du suivi au conseil épiscopal. Ils vont tous deux suivre une formation «Abus et bientraitance» à l’Institut catholique de Paris, avec d’autres membres de la Conférence des ordinaires de la Suisse romande (COR). Des moyens vont aussi être accordés à la préservation de la mémoire, et donc à l’archivage professionnel.

Enfin, le diocèse annonce la création d’une nouvelle commission de prévention et la promulgation d’un code de bonnes pratiques pour toutes les personnes engagées dans le diocèse. Jean-Raphaël Kurmann sera engagé pour accompagner les agents pastoraux et les équipes pastorales. (cath.ch/lb)

* Le cabinet d’audit romand, Vicario Consulting, mandaté pour mener les investigations, a été accompagné par Isabelle Python, ancienne Bâtonnière de l’Ordre des avocats fribourgeois, et par Philippe Spoerri, ancien chancelier de l’État du Valais.

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Les responsables du diocèse de Sion ont présenté les conclusions de l'audit sur le traitement des abus | © Lucienne Bittar
11 juin 2024 | 15:02
par Lucienne Bittar

Le rapport du projet pilote sur l’histoire des abus sexuels dans l’Eglise suisse a permis de dénombrer, entre 1950 et 2022, 1’002 cas d’abus sexuels sur 921 victimes pour 510 auteurs. Selon les historiens, il ne pourrait s’agir là que de la partie émergée de l’iceberg. La faillite de l’institution et les négligences des évêques dans la gestion des abus sont pointées du doigt.

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