Divinité courroucée sur la porte d'un temple, au Tibet (Photo:So_P/Flickr/CC BY 2.0)
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Le côté obscur du bouddhisme tibétain

Derrière l’image d’Epinal dont bénéficie le bouddhisme tibétain en Occident, il existe une réalité plus sombre et plus complexe. Une image qui, pour le bien à la fois des Tibétains et des Occidentaux, devrait être rectifiée, affirme le journaliste américain Mark Hay.

«Le bouddhisme tibétain, dans la culture populaire occidentale, c’est le visage du Dalaï Lama, arborant un large sourire sur la couverture d’un livre, dans la librairie du coin», écrit Mark Hay. Le journaliste spécialiste des religions souligne que le bouddhisme tibétain tel qu’il est pratiqué et compris dans nos contrées est largement fantasmé. Telle est la thèse qu’il défend dans un long article publié en avril 2018 dans le le magazine américain Aeon.

Une religion pas si non-violente

Un premier préjugé positif en rapport à cette religion concerne le principe de non-violence. Mark Hay note que dans certains écrits bouddhistes traditionnels du Tibet, la violence est bien présente. Des contes médiévaux tibétains racontent comment des enseignants brisaient les os de leurs étudiants, avant de les guérir de façon magique, afin de leur apporter la clairvoyance. Ces récits parlent aussi de moines assassinant des rois corrompus pour sauver le bouddhisme au Tibet.

Le journaliste mentionne également, plus proche de nous, l’insurrection violente menée par des bouddhistes tibétains, soutenus par la CIA, contre l’occupation chinoise, des années 1950 aux années 1970. Une unité composée uniquement de réfugiés tibétains avait ainsi été formée en Inde pour combattre les Chinois dans une guerre, en 1962.

Cette violence bouddhiste a également touché la Suisse. En 1949, le missionnaire valaisan Maurice Tornay a été assassiné au Tibet par des moines bouddhistes qui voulaient l’empêcher de diffuser la foi chrétienne dans le pays. Le pape Jean Paul II lui a décerné le titre de martyr de la foi et procédé à sa béatification en 1993.

Pas de «vrais bouddhistes»?

Mark Hay note qu’il est aussi difficile pour l’opinion publique occidentale d’accepter les violences actuelles des bouddhistes envers les membres des autres religions. Il rappelle ainsi que des Birmans bouddhistes, largement soutenus par le clergé local, persécutent les musulmans Rohingyas. Au Sri Lanka également, des bouddhistes exercent régulièrement des violences contre les communautés chrétiennes, musulmanes ou hindouistes. Pour le journaliste américain, l’argument consistant à dire que les personnes qui agissent ainsi ne sont pas de «vrais bouddhistes» est dangereux. Car il ne permet pas de comprendre les causes de cette violence et d’y répondre de façon adéquate.

La vraie pratique du mandala est autre chose que ce que l’on imagine en Occident (Photo:Sharon M Leon/Flickr/CC BY-ND 2.0)

Il note en outre que la non-violence appliquée par les bouddhistes au Tibet est principalement une posture de résistance, édictée par le Dalaï Lama, face à l’occupation chinoise. Mark Hay relève à ce propos que de nouveaux mouvements émergents remettent en cause cette attitude. La lutte armée pourrait ainsi devenir une réalité au Tibet. Le journaliste avertit que, dans un tel cas, l’image positive dont bénéficient les Tibétains pourraient vite se retourner contre eux.

Des pratiques obscures

Mark Hay mentionne plusieurs facteurs pour expliquer l’émergence de cette image fantasmée du bouddhisme tibétain en Occident. Il relève tout d’abord l’instrumentalisation de cette religion par des auteurs du XIXe siècle. Ils ont souvent biaisé son interprétation et ses concepts pour avancer leurs propres visions du monde et de la spiritualité. Ensuite, certains bouddhistes eux-mêmes ont renforcé ces visions en les adoptant à leur tour, en bonne partie afin de les rendre admissibles à un public occidental. Car, selon le journaliste américain, le vrai bouddhisme tibétain serait beaucoup plus complexe et obscur que ce que conçoit la culture populaire occidentale. De nombreux rituels, tels que la confection de mandala ou les pratiques tantriques, ont été «occidentalisés». Ils n’ont en fait pas grand-chose à voir avec leur portée et signification d’origine. Les dimensions «magiques» ou sexuelles qu’impliquent ces pratiques sortent souvent du cadre de valeurs et de compréhension des Occidentaux. Mark Hay souligne aussi que le bouddhisme tibétain n’est pas un ensemble homogène et qu’il est au contraire très divers. Le Dalaï Lama n’est ainsi pas le ‘pape’ des bouddhistes tibétains, mais le dirigeant d’une de ses principales écoles.

Un bouddhisme «occidentalisé»

Le leader spirituel, en même temps de d’autres personnalités bouddhistes tibétaines, ont clairement présenté en Europe et en Amérique du Nord, un visage du bouddhisme adapté à la culture occidentale. Une façon pour eux de faciliter le soutien de ces pays à la résistance contre l’occupation chinoise.

Ces phénomènes ont ensemble concouru à créer une forme de «bouddhisme à l’occidentale» coexistant en parallèle au bouddhisme traditionnel. Le journaliste américain note que ces deux courants religieux entrent de plus en plus fréquemment en conflit. Car la plupart des bouddhistes tibétains n’apprécient pas que leurs croyances et pratiques soient ainsi déformées. Pour Mark Hay, il est ainsi temps, pour les membres de cette religion comme pour les Occidentaux, de rejeter sa vision «déficiente et simpliste» et de l’accepter dans toute sa complexité. (cath.ch/aeon/rz)

Pour lire la traduction en entier de l’article de Mark Hay (Aeon, avril 2018):

Pas mon bouddhisme

Divinité courroucée sur la porte d'un temple, au Tibet
16 mai 2018 | 17:16
par Raphaël Zbinden
Temps de lecture : env. 3  min.
Bouddhisme (41), Dalaï-lama (10), Tibet (12)
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