Le confinement aurait augmenté l'intérêt pour la religion | © jangkwee/Flickr/CC BY-NC 2.0
Suisse

Le confinement, un temps pour redécouvrir la vie spirituelle

Les restrictions causées par la Covid-19 n’ont pas modifié seulement la relation à autrui, mais aussi les habitudes religieuses. À la veille de la reprise des célébrations liturgiques publiques en Suisse, le 28 mai 2020, le sociologue des religions François Gauthier revient sur ces deux derniers mois de confinement. Une expérience qui, par son imprévisibilité, a contraint à faire face de façon renouvelée à la question du sens de l’existence humaine.

«Les deux mois de confinement ont été une période propice à une redécouverte de la dimension spirituelle et des expériences religieuses. Parce que cette période nous a confrontés à une expérience totalement imprévisible», affirme François Gauthier, professeur de sciences religieuses à l’Université de Fribourg.

La Covid-19 a provoqué un nouvel élan de religiosité, comme cela est souvent constaté lors de catastrophes naturelles. «L’irruption de l’extraordinaire dans la vie quotidienne crée les conditions pour un retour à la religion», explique le professeur Gauthier.

Mais une religiosité dont les moyens d’expression ont dû se réinventer. Si le confinement a empêché les manifestations publiques de la foi, il a favorisé l’approfondissement d’une relation intérieure et le développement de formes nouvelles, notamment numériques, de spiritualité au quotidien.

«Les cultures humaines ne peuvent pas vivre dans le chaos»

«Ces dernières semaines, j’ai observé un grand nombre de méditations, de séances de yoga ou de rencontres néo-chamaniques en ligne, constate François Gauthier. La pandémie actuelle, par son caractère imprévu, fait pleinement partie de ces événements qui créent une sorte de reviviscence religieuse».

Donner sens à l’inouï

L’actuelle phase de déconfinement permet un premier regard sur les conséquences que l’expérience inouïe des derniers mois a eues sur la vie spirituelle. Car le confinement n’a pas seulement arrêté les célébrations publiques, il a surtout éveillé la question du sens à propos de ce que le monde est en train de vivre. «Lorsqu’elles ont été confrontées à l’insaisissable, toutes les cultures se sont posé la question du sens, rappelle l’anthropologue des religions. Face à l’imprévu, l’homme interroge: ‘Qu’est-ce qu’on fait avec cela?’. Car les cultures humaines ne peuvent pas vivre dans le chaos. Elles ont besoin d’un monde ayant un sens, une structure. Lorsque le ‘sacré’ fait son irruption dans le quotidien, la culture est donc appelée à intégrer une telle anomalie. Elle doit lui donner un sens positif».

Accentuée en temps de crise, la question du sens est au cœur de l’expérience épidémique. «Les personnes se posent davantage de questions existentielles», constate le professeur. «Sans mettre nécessairement le mot ‘religieux’ sur ce type d’ interrogations, ces dernières sont en fait profondément religieuses. Quel est le sens de la vie? D’où vient-on? Où va-t-on? On est au cœur du religieux!»

François Gauthier est sociologue des religions (Unifr.ch)

Dans les réponses à ces interrogations existentielles, l’expérience religieuse tient un rôle central. Et dans l’histoire de l’humanité, la foi et la spiritualité ont été une source de résilience essentielle, notamment durant les temps de crise. «Pour interpréter cette situation d’anomalie, chaque religion fouille dans sa propre besace et ressort les mythes et symboles propres à sa tradition», note François Gauthier. À l’instar du prêtre tessinois, qui, au début de la crise, avait invité à s’inspirer de la vie érémitique de saint Nicolas de Flüe, pour mieux faire face au confinement.

Mais la question du sens est aussi étroitement liée à celle du temps, à la façon de vivre ce temps qui, durant les deux mois de confinement, s’est transformé. Tout particulièrement en temps de crise, la religion, avec ces rites et ces symboles, contribue à structurer l’expérience du temps. Pour les moines – des experts dans «l’art du confinement» – la réduction de l’espace implique un élargissement de l’expérience du temps.

Mutations historiques de la pratique religieuse

Le coronavirus a marqué une étape cruciale dans l’évolution de la religion, telle qu’elle se vit depuis la fin du XXe siècle. «Avant la Covid-19, différentes pratiques religieuses permettaient de sortir de la course effrénée du quotidien. La méditation, le yoga, ainsi que d’autres pratiques, permettaient en effet de prendre de la distance par rapport au rythme intense de la société contemporaine. Et avec le coronavirus, le temps s’est brusquement arrêté», souligne le professeur fribourgeois. On assiste, selon lui, à une accélération de la plus grande mutation du religieux qui se soit produite depuis l’apparition du monothéisme.

«Nous vivons aujourd’hui le passage d’une expérience paroissiale – pour ce qui concerne le monde catholique – à une religion du bien-être, de l’ici et du maintenant. Cela représente une rupture aussi profonde que celle de la naissance du christianisme».

«On assistera à une sorte de guerre de religion»

Selon le professeur Gauthier, une telle conception de la vie dans l’instant présent, se concrétisant également dans la sphère spirituelle, est en train de transformer radicalement les conditions mêmes dans lesquelles se vit l’expérience religieuse. Une transformation historique des pratiques, encore renforcée par les nouvelles technologies, des moyens de communication particulièrement sollicités durant le confinement, par les communautés de croyants et leurs pasteurs.

Et après la Covid-19?

Le professeur Gauthier est toutefois convaincu que la crise du coronavirus n’arrêtera pas les transformations épochales qui touchent les Eglises chrétiennes. «Le catholicisme ne va pas trouver une nouvelle gloire, prévoit le sociologue des religions. Le déclin des confessions chrétiennes, et l’évolution vers un christianisme prêt-à-porter, de plus en plus New Age, va continuer. C’est une tendance forte qui ne va pas s’arrêter».

Au-delà du domaine religieux, l’enjeu majeur, à court terme, est culturel et sociétal. Car selon le professeur d’origine québécoise, l’après Covid-19 donnera lieu à une dure confrontation sur l’avenir des sociétés.

«On assistera à une sorte de guerre de religion. Une guerre non pas entre les diverses religions, mais plutôt entre deux conceptions opposées de la société. D’une part, le retour à une société néo-libérale, où n’ont de valeur que la consommation et l’argent; d’autre part, une vision de la société future davantage post-matérialiste, dans laquelle il y aurait une tempérance et une plus grande valorisation de la qualité de vie. Il va y avoir des combats entre ces deux visions du monde qui vont être implicitement, ou explicitement, appuyées sur des discours religieux. Il s’agit d’un débat politique, certes, mais c’est aussi un débat profond au niveau des valeurs humaines, ayant une forte composante religieuse», conclut François Gauthier. (cath/dp)

François Gauthier
François Gauthier est un socio-anthropologue des religions. Né et formé au Québec, il est titulaire d’un doctorat en Sciences des religions (Université du Québec à Montréal). Il y a été professeur régulier au Département de sciences des religions de 2009-2012. Il est professeur de Sciences des religions à l’Université de Fribourg depuis janvier 2013.
Ses recherches et publications comprennent, entre autres, des domaines comme l’altermondialisme et les radicalités politiques, la sociologie des religions, l’anthropologie des religions, la théories de la religion. Il travaille notamment à l’élaboration d’un cadre analytique permettant de mieux saisir les mutations modernes et contemporaines du religieux dans une perspective globale, en lien avec la montée en puissance du néolibéralisme et du consumérisme. Il est également membre du MAUSS (Mouvement anti-utilitariste en sciences sociales). UNIFR

Le confinement aurait augmenté l'intérêt pour la religion | © jangkwee/Flickr/CC BY-NC 2.0
26 mai 2020 | 17:00
par Davide Pesenti
Temps de lecture : env. 5  min.
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