Le célibat des prêtres vu par les papes contemporains
Dans les polémiques pro et anti-François, la question du célibat sacerdotal occupe une place importante. A l’heure où l’éventualité de l’ordination d’hommes mariés pour l’Amazonie se précise, les anti jettent tout leur poids dans la bataille, notamment en orchestrant une opposition entre François et son prédécesseur. Qu’en est-il réellement? Cath.ch propose quelques éléments d’analyse au regard de l’histoire depuis le début du XXe siècle.
Tous les papes de l’époque contemporaine, depuis Pie XI en 1935 et y compris François en 2019 ont fermement défendu l’obligation du célibat des prêtres dans l’Eglise latine. Cette unanimité recouvre cependant des visions passablement différentes.
Dans son ouvrage sur le Célibat des prêtres, publié en 2014 et qui reste une des enquêtes les plus complètes sur le sujet, feu Jean Mercier détaille les réponses des papes et de l’Eglise à la crise du sacerdoce. Pour l’époque contemporaine, il la fait remonter aux années 1940-1950. Le traumatisme des deux Guerres mondiales et les basculements anthropologiques font muter la figure du prêtre comme un homme ‘mis à part’. Le célibat qui symbolise cette vision s’en trouve fragilisé. C’est l’époque également où les prêtres ouvriers veulent rejoindre les masses populaires.
Pie XII: la sainte virginité surpasse le mariage
En 1954, le pape Pie XII publie une encyclique Sacra virginitas, pour défendre le célibat des prêtres qu’il estime menacé. Il suit en cela son prédécesseur Pie XI qui en 1935 dans Ad catholici Sacerdotii consacrait sa réflexion à la nécessité de la pureté sexuelle du prêtre. Le célibat apparaît ainsi comme le garant de la pureté et donc de la sainteté du prêtre. Pie XII réaffirme la doctrine du Concile de Trente et rappelle que «selon l’enseignement de l’Eglise la sainte virginité (des hommes et des femmes ndr) surpasse en excellence le mariage.»
Reprenant l’idée présente déjà chez l’apôtre Paul selon laquelle le conjoint marié est légitimement absorbé par ses devoirs familiaux, Pie XII voit la virginité comme une ‘libération’ afin d’être entièrement à la disposition de Dieu et au service du prochain. Pour le pape, le célibat se confond avec la virginité, alors que dans l’histoire de l’Eglise abondent les exemples d’hommes non vierges devenus prêtres. S’appuyant sur Cyprien de Carthage, il affirme «qu’en préservant la chasteté virginale vous êtes les égaux des anges». Un argument peu convaincant, si l’on considère que les anges n’ont pas de corps et donc pas de sexualité, note Jean Mercier.
Jean XXIII: l‘ornement splendide et éclatant du sacerdoce
En 1962, huit ans plus tard, le ton a changé. En convoquant le Concile Vatican II, Jean XXIII fait sauter certaines digues. En juin, l’archevêque de Paris, suivi bientôt par ses confrères français, décrète la fin de l’obligation du port de la soutane. Le bon pape Jean s’afflige cependant de «voir certains se laisser aller à des chimères, et s’imaginer que l’Eglise catholique à l’intention ou estime opportun de renoncer à la loi du célibat ecclésiastique qui a été au cours des siècles et reste toujours l’ornement splendide et éclatant du sacerdoce.»
Lors de la dernière session du Concile, en 1965, le patriarche Maximos IV, chef de l’Eglise grecque-catholique melkite (qui connaît les prêtres mariés) lance un pavé dans la mare en disant: «En cas de besoin, ce n’est pas le sacerdoce qui doit être sacrifié au célibat, mais le célibat au sacerdoce». Le pape Paul VI coupe cependant court au débat en promettant une encyclique sur le sujet après le Concile.
Les décrets conciliaires apportent néanmoins quelques nouveautés au débat. Presbyterium ordinis admet que «la pratique de la continence parfaite et perpétuelle […] n’est pas exigée par la nature du sacerdoce, comme le montrent la pratique des Eglises primitives et la tradition des Eglises orientales.» Un constat qui diverge singulièrement d’avec l’avis de Pie XII, onze ans plus tôt.
Le même texte introduit l’idée du célibat comme un don qui sera largement reprise par les papes suivants. Dans le même temps, le Concile ouvre l’ordination diaconale à des hommes mariés.
Paul VI: les objections faites au célibat
En 1967, Paul VI publie Sacerdotalis caelibatus. Il reconnaît les objections faites au célibat. Il passe en revue la question de la pénurie des vocations, celles liées à l’équilibre humain et psychique des prêtres, ainsi que les défections et les scandales. Malgré tout cela, il tient à mettre en avant la réalité «étonnante et magnifique» des ministres sacrés sans nombre «qui vivent en toute pureté le célibat volontaire consacré.» Il dénonce aussi l’illusion de croire que l’abolition du célibat accroîtrait de manière notable le nombre de vocations.
Le pape développe quatre raisons du célibat: l’imitation radicale du Christ, la disponibilité parfaite, l’anticipation du Royaume des Cieux et le témoignage de l’amour du Christ pour l’humanité. Paul VI évoque aussi le problème des «douloureuses désertions» qui deviendront très nombreuses dans les années 1970. Il prône une attitude miséricordieuse destinée à aider le frère qui chancelle à s’engager dans la voie du repentir et de la reprise.
L’encyclique apporte aussi la possibilité pour des clercs en provenance d’autres confessions d’accéder au sacerdoce catholique tout en restant mariés. Mais il s’agit bien de l’exception qui confirme la règle. L’encyclique déçoit beaucoup de jeunes prêtres qui, selon certaines enquêtes, s’étaient engagés dans la prêtrise en espérant qu’ils pourraient se marier un jour.
Une véritable hémorragie
En 1970, le Concile pastoral des Pays-Bas vote une résolution en faveur de l’abandon du célibat des prêtres. En réaction, Paul VI convoque en 1971 à Rome un synode des évêques sur le sacerdoce. Les évêques réaffirment à une très large majorité que la «loi du célibat sacerdotal en vigueur dans l’Eglise latine doit être intégralement observée». Dans la foulée, ils refusent l’ordination de viri probati, même dans des cas particuliers, afin d’éviter un sacerdoce à deux vitesses. Dans le même temps, Paul VI autorise 32’000 prêtres à renoncer à leurs vœux et à quitter le sacerdoce. Un nombre inédit depuis la Réforme.
Jean Paul II: le célibat, un trésor et un don
En devenant pape en 1978, Jean Paul II, qui par l’histoire de sa vocation personnelle est très attaché au sacerdoce, tente immédiatement de freiner l’hémorragie. Il met un frein aux démarches de laïcisation qui deviennent plus difficiles. Dès 1979, le pape polonais prend l’habitude d’écrire pour chaque Jeudi-Saint une lettre aux prêtres. Dans la première, il décrit le célibat comme un trésor, et un don. Il réfute cependant très fermement l’idée que le célibat serait une voie supérieure au mariage. La voie du prêtre célibataire ouvre un autre type de paternité et même de maternité. Il souligne qu’en principe celui «qui reçoit le sacrement de l’ordre le fait en pleine conscience et en toute liberté, après une préparation de plusieurs années, une profonde réflexion et une prière assidue.»
En 1990, à l’occasion d’un synode des évêques sur la formation des prêtres, Jean-Paul II dénonce «la possibilité de faire appel à des viri probati trop souvent évoquée dans le cadre d’une propagande systématiquement hostile au célibat sacerdotal».
Dans l’exhortation synodale Pastores dabo vobis, en 1992, le pape rappelle que l’Eglise latine demande «que le sacerdoce soit conféré seulement aux hommes qui ont reçu de Dieu le don de la vocation à la chasteté dans le célibat.» Le pape explique aussi que cette vocation doit se renouveler continuellement à l’aide de la prière et de l’effort ascétique. En bref que le prêtre est responsable de cultiver son célibat.
Benoît XVI: le célibat comme témoignage
Benoît XVI, après un long compagnonnage au côté de Jean Paul II et une solide expérience en tant que préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, ne déviera pas de la ligne fixée par son prédécesseur. Confronté aux scandales d’abus sexuels commis par des prêtres sur des mineurs, il se lance dans un combat difficile, mais ne lâche rien sur le célibat en qui nombre d’observateurs voudraient voir une des causes des dépravations du clergé.
En 2005, lors du synode sur l’Eucharistie, un débat assez vif s’engage sur la question des viri probati. Alors que le cardinal Angelo Scola s’oppose à cette ouverture, il est vivement repris par le patriarche grec-melkite Grégoire III Laham qui lui rappelle la discipline séculaire du clergé marié dans les Eglises orientales. Le patriarche des maronites Pierre Sfeir lui répond: «Il faut avouer que le mariage des prêtres s’il résout un problème en crée d’autres aussi graves.» Plusieurs des groupes de travail demandent que l’on explore cette question des viri probati.
Accueil de centaines de prêtres anglicans mariés
En 2009-2010, le pape Benoît XVI revient à l’occasion de l’année du sacerdoce sur la nature eschatologique du célibat. Il s’étonne qu’à une époque où on ne veut plus se marier, on réclame l’abolition du célibat. Pour le pape allemand, vivre le célibat est un témoignage de foi. «Nous croyons réellement que Dieu existe, que Dieu a quelque chose à voir avec ma vie, que je peux fonder ma vie sur le Christ, sur la vie future».
En tant que préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, Joseph Ratzinger a néanmoins signé des dispenses de célibat pour plusieurs centaines de prêtres anglicans ou de pasteurs protestants mariés désireux de recevoir le sacerdoce catholique. La pratique sera définitivement entérinée avec la constitution apostolique Anglicanorum coetibus de 2009.
François: pas de célibat optionnel
François ouvrira-t-il plus largement la porte? Rien ne semble moins sûr! En tant qu’évêque ou cardinal, Jorge Mario Bergoglio n’a jamais milité pour un changement de discipline. Comme pape, il l’a répété de manière explicite encore en 2019: «Personnellement, je pense que le célibat est un don pour l’Eglise. Deuxièmement, je ne suis pas d’accord pour permettre le célibat optionnel. Je ne le ferai pas, que cela reste clair. Je peux peut-être sembler fermé là-dessus mais je ne me sens pas de paraître devant Dieu avec cette décision.» Il n’admet pas l’idée que le célibat puisse être la cause des déviances sexuelles. Dans son style de curé de campagne, il en plaisante même: «la suppression du célibat permettrait non seulement de ne plus vivre seul et d’avoir une femme, mais encore d’hériter d’une belle-mère…»
En digne jésuite, il admet la possibilité d’exceptions en cas de nécessité pastorale grave. Ce pourrait être le cas pour l’Amazonie à la demande du synode des évêques du mois d’octobre dernier. Un autre aspect est sa volonté de collégialité et de décentralisation dans l’Eglise. C’est en ce sens qu’il a encouragé les évêques à faire des propositions à Rome. Le fait que l’ordination d’hommes mariés puisse dépendre d’initiatives locales et non plus relever de la discipline générale de l’Eglise latine est peut-être ce qui perturbe le plus les opposants au pape François. «L’exception deviendrait un état permanent préjudiciable à la juste compréhension du sacerdoce», estime ainsi le cardinal Sarah. (cath.ch/mp)
Jean Mercier: Célibat des prêtres, la discipline de l’Eglise doit-elle changer?, Paris 2014, 336 p. Editions Desclée de Brower