«Le cardinal Wojtyła a agi selon la loi de l’époque»
Un documentaire diffusé en Pologne sur la chaîne privée TVN le 5 mars 2023, ainsi qu’un livre à paraître du journaliste néerlandais Ekke Overbeek, relancent les polémiques sur l’attitude du cardinal Karol Wojtyła, le futur Jean Paul II, face aux cas de prêtres du diocèse de Cracovie coupables d’abus sexuels sur mineurs. Le Père Stanisław Tasiemski, dominicain et vice-président de la KAI, l’Agence d’information catholique polonaise, livre son regard sur ces accusations.
Le documentaire du journaliste polonais Michal Gutawski met notamment en avant le cas d’un prêtre qui aurait été transféré dans une paroisse autrichienne, avec une lettre de recommandation du cardinal Wojtyła, archevêque de Cracovie entre 1964 et 1978, à son confrère de Vienne, le cardinal Franz König.
Ces nouvelles informations vous surprennent-elles?
Stanisław Tasiemski: Certaines accusations concernant le fait que des prêtres de Cracovie avaient été transférés dans d’autres diocèses ont déjà été transmises dans les médias en novembre 2022. Ces informations ne sont donc pas une surprise.
Mgr Oder, le postulateur de la cause de canonisation de Jean Paul II, a expliqué que durant cette procédure, tous ces problèmes ont été examinés avec les archives du diocèse et celles du Vatican. Elles ont montré que le cardinal Wojtyła avait agi selon la loi de l’époque. Il était toutefois limité dans ses actions car il n’était pas au courant de tout, ce qui s’est vu également à la fin de son pontificat.
Les documents utilisés par le réalisateur de ce documentaire proviennent essentiellement de la police secrète communiste. Certains éléments qui remontent aujourd’hui à la surface proviennent de prêtres qui avaient collaboré avec la police secrète. L’un des accusateurs est un prêtre qui était connu pour provoquer des troubles dans les paroisses. Il n’a pas de crédibilité. Il faut donc garder une distance par rapport aux informations transmises sur la base de cette documentation.
Ces ressources de la période communiste donneraient encore lieu à des instrumentalisations, à des manipulations?
Oui, il faut toujours lire ces documents de façon critique. Pour une étude approfondie, pour retrouver un regard équilibré et objectif, cela prendra un certain temps. Nous avons besoin des faits et non des émotions.
«Karol Wojtyła a lui-même admis dans une interview qu’il n’était pas un bon administrateur»
Maintenant, beaucoup souhaitent que le diocèse de Cracovie constitue un dossier pour répondre précisément à ces accusations. Le responsable des archives de la Curie diocésaine a été contacté en ce sens, mais on ne sait pas exactement quelle est la position de l’archevêque actuel de Cracovie sur cette question de l’ouverture des archives.
L’héritage de Jean Paul II est-il de plus en plus critiqué dans la société polonaise?
Oui, car l’Église n’a pas que des amis, mais aussi des ennemis. Si on s’en réfère à la raison, si on étudie les textes de Jean Paul II, on ne peut qu’être émerveillés par la profondeur de sa pensée. Mais en jouant sur l’aspect émotionnel, ces documentaires peuvent séduire ceux qui vivent loin de l’Église, qui se sont éloignés, même s’ils sont baptisés et se disent catholiques. Je pense que les réalisateurs de ces films s’adressent à ce milieu.
Durant ses plus de 15 ans comme archevêque de Cracovie, Karol Wojtyła s’intéressait surtout à la pastorale de la famille, et il était un grand professeur. Mais sur le plan de l’administration de son diocèse, il s’appuyait surtout sur ses collaborateurs. Karol Wojtyła a lui-même admis dans une interview qu’il n’était pas un bon administrateur, mais il a pris ses décisions en collégialité. Dans un grand diocèse, il n’est pas facile de bien suivre toutes les affaires concernant les prêtres [selon l’Annuaire pontifical, le diocèse de Cracovie comptait à l’époque plus de 900 prêtres incardinés, NDLR].
Aujourd’hui, comment l’Église polonaise a-t-elle adapté son dispositif pour faire face aux abus, compte tenu de l’évolution du droit canon souhaitée par le pape François?
J’ai suivi la conférence organisée à Varsovie en 2021 pour réunir les responsables de cette lutte contre les abus dans les pays d’Europe centrale. Il y a un programme précis qui est maintenant mis en œuvre dans tous les diocèses et dans toutes les congrégations religieuses.
Il y a un délégué dans chaque diocèse pour assurer le suivi du contact avec les victimes. Dans ma propre communauté dominicaine, nous avons suivi un cycle de rencontres sur notre responsabilité et sur la façon d’éviter des crimes de cette nature. L’approche de ces phénomènes a donc beaucoup évolué. (cath.ch/imedia/cv/rz)