Le bestiaire de pierre et de lumière de l’église St-Joseph de Genève
Combien d’animaux ont-ils trouvé refuge dans l’église Saint-Joseph de Genève? La réponse pourrait en étonner plus d’un. Mais qui les remarque? Curé de la paroisse, l’abbé Thierry Schelling s’est lancé dans la chasse «pacifique» des bêtes qui peuplent son édifice. Un dépliant à l’intention des visiteurs est en préparation, en vue de les aider à les découvrir.
À entendre l’abbé Thierry Schelling, tous les animaux évoqués dans la Bible se sont donnés rendez-vous à l’église St-Joseph des Eaux-Vives. Et à le suivre sur place pour une petite visite guidée, force est de lui donner raison! Qu’ils peuplent les airs, la terre ou les eaux, les animaux du récit biblique ont choisi de faire des bas-reliefs, vitraux et mosaïques du bâtiment religieux, leurs antres, crèches ou nids. Ils doivent bien être une centaine!
«Les gens pourtant ne les voient pas, car ces animaux ne sont pas représentés au premier plan dans les œuvres d’art de l’église. On les trouve le plus souvent dans les détails. Les découvrir demande un temps d’observation. J’aimerais les rendre plus visibles», déclare le Père Schelling.
Curé modérateur et répondant de Saint-Joseph, il prépare pour ce faire un dépliant avec une carte de l’église élaborée du temps de son prédécesseur, l’abbé Pascal Desthieux (voir l’encadré), mais garnie de pastilles de couleurs pour mieux s’orienter: orange pour les animaux terrestres, bleu pour ceux qui peuplent les eaux et brun pour nos compagnons ailés.
La Bible des sculpteurs du groupe de Saint-Luc
Cette chasse aux trésors animaliers de l’église des Eaux-Vives s’avère tout à la fois instructive et ludique. Deux artistes sculpteurs du fameux Groupe de Saint-Luc ont participé à la restauration intérieure de l’église St-Joseph dans les années 1930: François Baud et Charles Collet. Ils ont gravé dans la pierre, sur les chapiteaux qui partent de la nef jusqu’à la chapelle Saint-Victor, de nombreuses scènes bibliques.
Leurs bas-reliefs, sculptés à hauteur du regard, suivent l’histoire de la Bible. Comme le fait remarquer l’abbé Schelling, un même bas-relief propose trois ou quatre tableaux. Pas de bornes pour les délimiter; le regard glisse de l’un à l’autre, signifiant le déroulement, en un seul récit, de la grande aventure biblique.
Ces scènes sont enrichies par des sculptures de Collet représentant les vertus, à droite de la nef, et celles de Baud, à sa gauche, pour les vices.
Quelques surprises… de taille!
Le chemin démarre avec le récit de la création de la Genèse 1 et se termine sur celui de la révélation de l’Apocalypse. Le bestiaire qui s’y glisse est parfois surprenant. Ainsi de ce chien de berger présent dans une scène de la nativité, «un animal qui pourtant n’a pas bonne presse parmi les peuples de la Bible», commente l’abbé Schelling. «Encore plus étonnant, l’église abrite un mammouth et un bébé tricératops, des animaux préhistoriques qui ne figurent pas dans la Bible!»
Et du plus classique
Agneaux, ânes, colombes et poissons – des animaux bibliques par excellence – prolifèrent par contre comme de juste un peu partout, y compris dans les nombreux vitraux qui ornent de part et d’autre l’édifice.
Ils cohabitent en bonne entente avec serpents, chevaux, dromadaires, lions, aigles, coq, paon, «un volatile que l’on trouve dans l’iconographie des premiers chrétiens et qui symbolisait d’abord la Résurrection puis, dès le Moyen Âge, l’orgueil», précise l’abbé Schelling. Le voici donc paonnant du côté des vices.
En face, au milieu des vertus, un long serpent tente vainement de corrompre la «chasteté» représentée par une femme. Un plus loin, sur un chapiteau de gauche, Daniel prie à genoux, prêtant le flanc à deux lions apaisés. Tandis qu’à droite un jeune veau est offert en sacrifice par Aaron. Nous sommes toujours dans l’Ancien Testament.
Le Nouveau, pour sa part, trouve sa place autour de l’autel. Dans son bestiaire, le lion, le taureau et l’aigle, symboliquement et respectivement associés aux évangélistes Marc, Luc et Jean.
Enfin, tout au bout du chemin sculpté par François Baud et Charles Collet, sur les colonnes derrière le chœur, s’ouvre et se déroule le livre de l’Apocalypse. Montés sur leurs destriers, quatre cavaliers galopent … vers une vierge (la Dame de l’Apocalypse) qui affronte un dragon … alors que surgissent deux bêtes censées être terrifiantes, mais qui paraissent de fait plutôt débonnaires.
Une invitation à méditer sur la création et sa sauvegarde
Cette «chasse pacifique de nos amis les bêtes», comme aime à la présenter l’abbé Schelling, cumule ainsi plusieurs vertus. Celle de nous inviter à la contemplation des vitraux, chapiteaux et mosaïques de l’église genevoise pour commencer. Puis de nous permettre de plonger dans l’histoire biblique et de tester au passage nos connaissances et manques.
Elle peut être aussi, souligne le curé de Saint-Joseph, une occasion de méditer sur la place que l’Église et chacun d’entre nous accordons à nos amis les bêtes, et à ce que nous entreprenons pour les protéger. «Dieu prend soin même du tant détesté corbeau (Luc 12,24)», lance-t-il!
Le dépliant que prépare le Père Schelling sera mis à la disposition des visiteurs en septembre, mois de l’année où les Églises célèbrent le Temps pour la Création. Et de citer les préoccupations environnementales exprimées dans l’encyclique Laudato Si’ par le pape François, mais aussi un précurseur, John Wesley (1703-1791).
Fondateur de l’Église méthodiste, celui-ci déclarait: «Je crois du fond du cœur que la foi en Jésus-Christ peut nous conduire et nous conduira au-delà d’une préoccupation exclusive pour le bien être des autres humains, à une préoccupation plus large pour le bien être des oiseaux dans nos arrière-cours, des poissons dans nos rivières et de toute créatures vivante sur la surface de la terre.» (cath.ch/lb)
Valorisation du patrimoine artistique de Saint-Joseph
Depuis quelques années, la paroisse genevoise Saint-Joseph s’emploie à mettre à la disposition de ses «invités» des informations susceptibles de les aider à mieux aborder les œuvres artistiques contenues dans son église. À l’occasion des 150 ans de l’édifice religieux (2016), un plan de l’intérieur du bâtiment et de ses œuvres d’art a été conçu. «Prenez le temps d’observer les détails des chapiteaux, finement sculptés sur les colonnes», invitait le dépliant mis à la disposition des visiteurs.
D’autres papillons s’en sont suivis. L’un a été consacré à la fresque de saint Antoine et saint François d’Assise (survolé par une colombe), conçue en 2016 par deux artistes du quartier, Yoanis Andino Diaz et Alin-Victor Feodorov. Un autre aux vitraux de Saint-Joseph et de la Femme de l’Apocalypse réalisés par le peintre genevois Jean-Michel Bouchardy et le maître verrier fribourgeois Michel Eltschinger, inaugurés en 2014.
L’abbé Schelling a pris la relève de ce travail de valorisation du patrimoine artistique. «L’église St-Joseph des Eaux-Vives offre une belle richesse iconographique. J’ai pris mes fonctions à la paroisse en août 2020, mais j’en découvre encore des particularités», déclare-t-il.
Pour stimuler la curiosité de ceux qui en franchissent le seuil sans nécessairement prendre le temps de lever le nez pour contempler les œuvres d’art qu’elle abrite, le Père Schelling a déjà mis en place deux parcours découvertes soutenus par des dépliants Qu’est-ce que l’Eglise? et Combien de St Joseph à Saint-Joseph? Ils ont beaucoup de succès, assure-t-il. La collection va prochainement s’enrichir d’une chasse aux végétaux. LB