Le 13 rue des Granges à Genève s’est offert aux regards des visiteurs
Construit au milieu du 18e siècle, le «13 rue des Granges» a momentanément dévoilé, à l’occasion d’une opération «portes ouvertes», aux Genevois et Genevoises un pan de son passé et certains de ses trésors et secrets. Plus de 200 visiteurs ont saisi l’opportunité offerte par leur Église catholique de découvrir ou de revoir une dernière fois le siège historique de celle-ci dans le canton.
L’Église catholique romaine (ECR) de Genève va prochainement quitter la vieille-ville pour intégrer de nouveaux locaux dans l’église du Sacré-Cœur, à Plainpalais. «Avant de nous atteler au remplissage des cartons, nous voulons inviter les Genevois à découvrir ce lieu unique, siège de la direction pastorale et administrative de l’ECR», avait expliqué Dominique Pittet, secrétaire général de l’ECR, dans un communiqué. Les portes se sont donc ouvertes dans l’après-midi du 13 février 2024.
Un appel entendu
L’appel a été entendu! Au gré des trois étages et rez-de-chaussée de l’immeuble, au détour d’escaliers étroits et de pans de portes, se croisent, se saluent ou s’arrêtent un moment pour discuter les curieux de passage, les proches de l’Église, agents pastoraux, anciens collaborateurs ou membres de l’équipe actuelle de la Maison diocésaine de Genève.
Accompagnée de Monique Flamand, responsable du Département enfants et adolescent à la fin des années 1980, Anne-Marie Hidber, la première «déléguée épiscopale» dans le canton de Genève, évoque dans un couloir la date de son premier conseil au Vicariat. «Impossible de l’oublier. C’était le 11 septembre 2001!»
Le salon et la vaste salle de conférence, où se tiennent justement les conseils de la Maison diocésaine, permettent heureusement une meilleure circulation des hôtes du jour et des retrouvailles parfois autour d’un «goûter-apéro». Un détour par les appartements où vivait Mgr Pierre Farine alors qu’il était évêque auxiliaire de Genève mène à Fabienne Gigon. L’ancienne chambre avec cheminée de l’évêque est occupée aujourd’hui par le bureau de la représentante de l’évêque à Genève, qui prête à l’occasion de ces «portes ouvertes» une oreille attentive à ses invités de passage. Chapelle, cuisine, bureaux, salle d’archive, se partagent le reste de l’espace.
Une histoire de près de deux siècles
Depuis des fenêtres du bâtiment, on peut admirer à loisir l’église médiévale de St-Germain, en attendant de trouver une place à l’une des visites des lieux, guidées par Nathalie Martinoli Kolba, archiviste de l’ECR, et Audrey Brasier. La découverte commence par la cour intérieure, dont l’un des pans de mur donne côté Grand-Rue, la Maison Rousseau se dressant entre deux, et un autre sur l’église St-Germain, avec laquelle l’ancien Vicariat partage un bout d’histoire. Suite au concordat de 1801, les catholiques furent autorisés en effet à y célébrer leur culte, jusqu’en 1873, date à laquelle cette église fut mise à disposition de l’Église catholique chrétienne, leur voisine depuis.
«Le bâtiment du 13 rue des Granges a été construit entre 1740 et 1744 par un ancien banquier de Paris, Jacques-André Saladin», explique Audrey Brasier. Il a trouvé place sur les lieux d’un ancien hôtel particulier. La rue abritait par le passé des granges et des écuries, d’où son nom. Elle fut ensuite investie au 16e siècle par des réfugiés réformés, qui y établirent leurs hôtels particuliers. «Le pouvoir financier et culturel y était concentré», souligne l’archiviste.
«Catholique» depuis mai 1851
L’immeuble passa ensuite entre les mains de François Théodore Louis, baron de Grenus, puis de la Confédération Suisse. Le 6 mai 1851, il est transmis à l’abbé Dunoyer, curé de Genève, et devient ainsi la cure de l’église Saint-Germain, seul lieu de culte catholique alors à Genève. Les catholiques représentent à cette époque environ 30% de la population du canton.
«De fortes personnalités, comme l’abbé Vuarin dans la première moitié du 19e siècle ou le cardinal Mermillod par la suite, marquent l’histoire conflictuelle de l’Église catholique avec les autorités du nouveau canton créé en 1814», rappelle l’ECR à ses visiteurs sur un panneau. Mais, suite au Kulturkampf et le refus affirmé par l’Église catholique de la tutelle de l’État, les droits de jouissance de celle-ci sur les églises lui sont retirés. L’Église fera alors du Sacré-Cœur sa paroisse. Les conflits s’apaiseront avec la loi de séparation de l’Église et de l’État (1907) et surtout au lendemain de la Première Guerre mondiale. Les catholiques récupèreront leurs édifices de culte, à l’exception notable de Saint-Germain.
Le déménagement prévu ce printemps de l’ECR au Sacré-Cœur est, en quelque sorte, un retour à la «Maison» de l’Église, même si l’Église a gardé entre temps le 13 rue des Granges comme siège de sa Maison diocésaine. Plus précisément, l’immeuble a été vendu en 1885 à la société des intérêts catholiques, qui deviendra en 1972 la Société catholique romaine de Genève, établie au 13 rue des Granges.
Des archives bien conservées
Sur les pas de Nathalie Martinoli Kolba, les visiteurs se font les observateurs privilégiés de quelques œuvres maîtresses des archives du 15e au 20e siècle habituellement soustraites aux regards.
Parmi les documents de paroisses genevoises, de services pastoraux, etc. trônent quelques livres précieux, comme Les entretiens spirituels du Bienheureux François de Sales (1632) ou les Étrennes religieuses aux fidèles du diocèse de Genève pour l’an de grâce 1801-1802, dont la structure rassemble à celle des almanachs d’aujourd’hui, mais avec deux calendriers, le grégorien et le révolutionnaire.
«Conserver des documents, en particulier le papier, demande un équilibre subtile d’humidité relative et de température», souligne Nathalie Martinoli Kolba. Les anciens bâtiments offrent souvent une stabilité favorable à la conservation. Ils se refroidissent et se réchauffent lentement, les variations journalières sont légères. C’est le cas du sous-sol de la rue des Granges 13. «La qualité du papier utilisé est également déterminante, comme en témoigne un livre de 1497 particulièrement bien conservé, Secunda pars operum de Johannis de Gerson», précise l’archiviste.
Dans les étages supérieurs, ornant les différentes pièces des lieux, d’autres œuvres littéraires ou d’art intéressantes attendent les visiteurs comme, sur le mur de la salle de conférence, le blason de l’évêché LGF divisé en trois parties, ce qui est plutôt rare, représentant respectivement les couleurs de Lausanne, Genève et Fribourg.
La visite se termine par «la chapelle du Vicariat», qui vit alors son ultime jour en tant que lieu consacré! Depuis la rue, un dernier regard est posé sur l’immeuble, nostalgique mais apaisé grâce à cette information: l’ECR cherche des locataires pour l’immeuble tout entier, chapelle comprise. Il n’est donc pas question de vente à ce stade. L’histoire entre la rue des Granges et l’Église catholique de Genève n’est pas terminée. (cath.ch/lb)