Lazare Devasahayam Pillai, premier laïc indien élevé au rang de saint
Seul non Européen parmi les dix personnalités qui seront canonisées par le pape François le dimanche 15 mai, Lazare Devasahayam Pillai (1712-1752) était un officier hindou converti au catholicisme. Ce ministre des finances du royaume de Travancore sera le huitième Indien canonisé au sein de l’Église catholique, mais le premier laïc.
Lazare Devasahayam est né le 17 avril 1712 dans un village au sud du royaume de Travancore, à la pointe sud-ouest de l’Inde, qui s’étendait entre les États actuels du Kerala et du Tamil Nadu. Issu d’une famille de la caste hindoue dominante, il obtient un niveau d’éducation très avancé, notamment dans la maîtrise des langues, mais aussi dans celle des arts martiaux traditionnels.
Amitié néerlandaise
Cet hindou traditionaliste, loyal à son milieu d’origine, connut une rapide ascension hiérarchique, devenant sous le nom de «Nilakandan» ministre du royaume et fonctionnaire du palais royal, en charge du trésor et des finances.
Il a 29 ans lorsqu’en 1741 l’offensive néerlandaise sur le sud de l’Inde échoue avec la victoire du roi Marthandavarma au port de Colachel. De nombreux officiers de l’armée des Provinces-Unies – le nom des Pays-Bas à l’époque – sont alors faits prisonniers, parmi lesquels un capitaine de confession catholique, Eustache de Lannoy.
Le roi de Travandore, qui apprécie la réputation de cet officier reconnu comme un brillant stratège militaire, le fait libérer et le promeut général de sa propre armée, qu’il contribuera à moderniser. Il érige également des fortifications. Sa collaboration avec le ministre des finances Nilankandan évolue en amitié personnelle, la souffrance de cet officier hollandais en exil faisant écho à la solitude du ministre, confronté à une disgrâce de sa famille.
Conversion et persécution
Eustache de Lannoy lui explique alors sa foi catholique, lui racontant notamment les récits bibliques de la souffrance de Job, présenté comme un homme juste. Le ministre Nilankandan se rapproche alors de la foi chrétienne, ce qui suscite la colère du roi, dans un contexte historique d’assimilation du christianisme à la menace coloniale.
Il sera finalement baptisé par un jésuite le 17 mai 1745, prenant le nom biblique de Lazare, qui se traduit «Devasahayam» dans sa langue. Sa femme elle aussi reçoit alors le baptême et le couple s’engage dans une évangélisation active. Mais le clergé hindou s’en inquiète et le dénonce auprès du roi.
«Son premier refus d’adorer les dieux hindous du palais et de prendre part aux fêtes religieuses hindoues irrita de nombreux officiels qui ne toléraient pas sa prédication sur l’égalité de tous les peuples, le dépassement des castes et l’amitié avec les intouchables des classes les plus humbles, une chose interdite pour une personne de caste élevée», rapporte la Congrégation pour les causes des saints sur son site officiel.
Tortures et humiliations
Le roi le fait finalement capturer le 23 février 1749. Ses tentatives pour le faire abjurer sa foi chrétienne, notamment lors de séances de torture publiques, seront vaines. Le ministre déchu vivra un long calvaire et de terribles humiliations, imitant le Christ lors de sa montée au Golgotha.
Il sera notamment ligoté à un arbre durant sept mois, menacé par le vent, la pluie, la faim, la soif, les animaux sauvages. Mais jamais il ne reniera sa foi, et cette période de captivité humiliante sera aussi un temps d’évangélisation: de nombreuses personnes viennent lui rendre visite au pied de son arbre pour recevoir prières et bénédictions, et les soldats chargés de le surveiller se montrent bienveillants, l’invitant même à fuir.
Le roi le fait transférer dans une prison secrète et il sera finalement exécuté le 14 janvier 1752, à 39 ans, sur une colline. «Jésus, sauve-moi» fut sa dernière parole. Son corps, que les soldats espéraient faire disparaître en le jetant dans la forêt, sera finalement identifié et retrouvé cinq jours plus tard par des catholiques locaux, qui l’enterrent dans l’Église saint François-Xavier, à Kottar, l’actuelle cathédrale du diocèse de Kottar, dans l’État du Tamil Nadu.
Huitième Indien canonisé
Sa réputation de sainteté s’est rapidement diffusée en Inde, et il a été béatifié le 2 décembre 2012 lors d’une messe célébrée par le cardinal Angelo Amato, alors préfet de la Congrégation pour les causes des saints, en présence d’une quarantaine d’évêques indiens, de 2000 prêtres et consacrés et de nombreux fidèles.
Le miracle retenu pour sa canonisation fut la réanimation du fœtus d’une femme indienne, à la 20e semaine de grossesse. Le décret de reconnaissance du miracle avait été autorisé par le pape François le 21 février 2020.
Sa canonisation prendra un relief particulier compte tenu des nombreuses attaques subies par les chrétiens en Inde de la part des courants les plus extrémistes du parti nationaliste hindou au pouvoir au niveau fédéral.
Devasahayam Pillai sera au total le huitième Indien canonisé, tous les autres ayant été des religieux. La plus connue est bien sûr Mère Teresa, d’origine albanaise, mais comptabilisée comme indienne, car ayant obtenu cette nationalité. Sept autres Indiens ont été déclarés bienheureux, et selon l’agence Églises d’Asie, le pays compte au moins 11 autres «vénérables», et plus de 40 «serviteurs de Dieu». (cath.ch/imedia/cv/rz)