Les évangéliques ne semblent pas connaître la crise | photo: rassemblement évangélique "One" à Fribourg, en 2017 © Raphaël Zbinden
Suisse

L’avancée des évangéliques

Alors que les Eglises protestante et catholique perdent des fidèles, les communautés évangéliques semblent connaître, elles, un vent favorable. Quelle est leur recette? Analyse et enquête.

Lucas Vuilleumier, Protestinfo

«Rien qu’en Suisse romande, 48 nouveaux lieux de culte évangéliques ont été implantés en 2022», se félicite Christian Kuhn, président du Réseau évangélique suisse (RES). Cette faîtière, qui rassemble plus de 200 églises au niveau suisse, vient également de publier les résultats du sondage qu’elle a effectué auprès de ses membres à la suite de la pandémie. Résultat: ces communautés évangéliques, issues de l’Eglise protestante réformée dont elles sont aujourd’hui séparées, en seraient ressorties renforcées.

Nouvelles implantations

Sur tout le territoire suisse en effet, 53% de ces églises, qui dépendent uniquement de contributions privées, auraient même vu leur situation financière s’améliorer, et la participation aux cultes augmenter pour 28% d’entre elles. «Certaines de nos églises stagnent et d’autres ont perdu des fidèles, bien sûr. Mais en moyenne, on assiste bien à une croissance», déclare encore Christian Kuhn.

Il en veut pour preuve quelques-unes des implantations réalisées cette année: quatre petites églises dans la région de la Broye, trois églises dans le canton de Vaud, l’église Home déjà présente à Lausanne et qui désormais possède une antenne à Genève, ou encore l’église Passion, à Neuchâtel, qui rassemble déjà une bonne centaine de participants.

Même son de cloche du côté de la Fédération romande des églises évangéliques (FREE), qui compte quelque 50 communautés en Suisse romande et est membre du RES: «Récemment, un tiers de nos églises ont grandi de manière significative, commente son directeur Sébastien Demierre. Un autre tiers est resté stable et le dernier tiers a vu la fréquentation aux cultes diminuer. Dans l’ensemble, les églises de la FREE ont encore connu une année de croissance.»

Comme un club

Comment expliquer la bonne santé de l’Eglise évangélique, par rapport aux Eglises catholique et protestante qui perdent, selon les statistiques fédérales, chaque année des fidèles (voir encadré)?

«Si les communautés évangéliques attirent autant, cela est dû à leur ligne théologique claire»

Pierre Gisel

Président de la Conférence des Eglises réformées romandes (CER), Jean-Baptiste Lipp apporte un premier élément de réponse. Selon lui, l’attention portée sur «la vie communautaire intergénérationnelle, est plus forte que dans les Eglises historiques». Lors des cultes, les enfants et adolescents sont par exemple pris en charge dans des groupes qui leur sont dédiés pour «l’école du dimanche».

Fonctionnant un peu tels des clubs, les églises évangéliques proposent tout un panel de rendez-vous divers, hebdomadaires ou mensuels, permettant à leurs membres de construire des liens relationnels d’un culte à l’autre. «Si le vécu du dimanche est suffisant pour certaines personnes, exprime Christian Kuhn, la majorité des gens ont besoin d’un accompagnement supplémentaire pour grandir dans leur foi. A l’instar de nos enfants, les disciples ne peuvent pas être simplement laissés en stabulation libre.»

Un cadre rassurant

Jean-Baptiste Lipp évoque également le fait que les fidèles rallient l’Eglise évangélique par choix personnel, alors que le rattachement à une Eglise traditionnelle, réformée ou catholique, se fait plutôt par tradition familiale.

Expert pendant quinze ans auprès de la Commission consultative vaudoise chargée d’analyser les demandes de reconnaissance d’intérêt public des communautés religieuses, le théologien réformé Pierre Gisel connaît bien le monde évangélique. A ses yeux, «si les communautés évangéliques attirent autant, cela est dû à leur ligne théologique claire. Or dans nos sociétés en fortes mutations sociales et culturelles, ce cadre qui ne semble pas mouvant séduit davantage, car les gens ont besoin pour être rassurés», expose-t-il. Et de rapprocher «cette théologie parfois trop simpliste aux phénomènes de radicalisation typique des sociétés contemporaines, comme le salafisme en islam ou les populismes en politique».

Question d’identité

Pour Jean-Baptiste Lipp, président de la CER, l’atout des réformés se situerait précisément au niveau de «la liberté individuelle et des choix de société avec lesquels nous sommes en phase, comme le mariage pour tous par exemple.» «Pour les évangéliques, la Bible fait autorité pour ce qui est du vécu de leur quotidien, comme pour les questions éthiques et sociales où l’on va se référer le plus directement possible à l’enseignement du Christ», explique-t-il. «Ce qui peut donner une impression de conservatisme», admet-il d’ailleurs.

«C’est précisément le partage de ce vécu de foi qui plaît dans le monde évangélique»

Christian Kuhn

De son côté, Pierre Gisel déplore que, «d’une manière générale, les églises réformées présentent une identité trop adaptative». Il s’explique: «Prenons pour exemple des problèmes comme l’écologie et la justice sociale. Les Eglises historiques s’en emparent effectivement, mais sans proposer de discours qui leur soit propre. Elles ne savent plus penser leur pertinence au sein de nos sociétés. Or en politique comme en religion, l’identité est une question fondamentale, qui ne doit pas être laissée aux extrémistes.»

Une foi assumée au grand jour

Christian Kuhn, président du Réseau évangélique suisse (RES), regrette que «le cadre identitaire théologique, au sein des Eglises traditionnelles, ait parfois tendance à disparaître un peu, au profit d’un cadre culturel plus ou moins impliquant. La foi y semble presque taboue, ou tout du moins privée», formule-t-il.

L’identité évangélique suppose quant à elle d’afficher sa foi au grand jour. Jean-Baptiste Lipp, président de la Conférence des églises réformées romandes, pointe «leur aisance à témoigner de leur foi, le premier pas pour parvenir à la propager». Or, pour Christian Kuhn, c’est précisément «le partage de ce vécu de foi qui plaît dans le monde évangélique». Et qui expliquerait, du moins en partie, que ces communautés ne perdent pas d’adeptes. (cath.ch/protestinfo/lv/rz)

Protestants et catholiques en perte de vitesse
Un succès qui a de quoi attirer l’attention alors que, dans les Eglises réformées et catholique, le nombre de fidèles ne cesse de diminuer depuis des années. Selon les derniers chiffres de l’Office fédéral de la statistique (OFS), la proportion de catholiques dans la population est passée de 38,6% en 2010 à 33,8% en 2020.
Quant aux Eglises protestantes réformées, dont sont issus les courants évangéliques, elles ne représentent plus que 21,8% de la population, contre 28% en 2010. Comment comprendre ces mouvements contraires? Pour le sociologue des religions Jörg Stolz, ces déclarations seraient à prendre avec des pincettes. Il précise notamment qu’il est utile de distinguer, au sein du mouvement évangélique, les différentes sensibilités.
Ainsi, selon le professeur, directeur de l’Institut de sciences sociales des religions (ISSR) à l’Unil, «le nombre de groupes évangéliques de type classique reste relativement stable, celui des groupes très conservateurs est en baisse, tandis que seuls les groupes pentecôtiste et charismatique continuent de progresser sur le territoire helvétique». Et de conclure: «Le tout traduirait plutôt une stabilité qu’une croissance.» Une analyse que confirment d’ailleurs les derniers chiffres de l’OFS en la matière, qui indiquent une infime progression des évangéliques ces dix dernières années – à savoir 5,6% de la population en 2020, contre 5,5% en 2010. LV

Les évangéliques ne semblent pas connaître la crise | photo: rassemblement évangélique «One» à Fribourg, en 2017 © Raphaël Zbinden
30 décembre 2022 | 17:00
par Rédaction
Temps de lecture : env. 5  min.
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