Lausanne: l’héritage chrétien de l’Europe, un socle de valeurs fortes
Le professeur fribourgeois Nicolas Michel, ancien secrétaire général adjoint de l’ONU, a évoqué, le 15 novembre 2017, l’avenir de l’héritage chrétien de l’Europe. Invité par le Cercle catholique de Lausanne, il a plaidé pour les valeurs léguées par les fondateurs de l’Union européenne, dans le sens de la dignité humaine et de l’engagement au service du bien commun.
Abordé «avec une mémoire éclairée», l’héritage chrétien de l’Europe peut nourrir la réflexion sur l’avenir du continent. Il est important de renouveler l’engagement politique des chrétiens, héritiers de la tradition d’une Europe génératrice de paix. Tel est en substance le message du professeur de droit Nicolas Michel au public réuni à la salle Notre-Dame à Lausanne.
«L’originalité de l’Europe est de présenter une pluralité de manières de croire»
Dans le cadre des conférences du Cercle catholique de Lausanne (CCL), une soixantaine de personnes ont suivi avec attention la prestation de l’ancien professeur de droit international et de droit européen à Fribourg et à Genève. «L’avenir de l’héritage chrétien de l’Europe»: tel était le thème choisi par le CCL, présidé par Denis Ramelet, pour la relance de ses activités. Le sujet était délicat. Nicolas Michel s’est évertué à le rendre abordable. «La notion d’héritage chrétien de l’Europe peut être mal comprise ou utilisée abusivement, notamment pour contester radicalement le processus de construction politique européenne au profit d’une Europe des nations souveraines, a d’emblée précisé le conférencier. Or ce n’est pas le projet de l’Union».
«Trois Europe chrétiennes»
En s’appuyant sur l’historien français René Rémond, le professeur Michel a d’abord indiqué qu’en Europe, le christianisme était un facteur social et culturel important, dès l’origine. Toutefois, d’autres cultures ont également marqué le Vieux-Continent: celles des communautés juives et des communautés musulmanes. Idem pour la libre pensée, présente depuis des lustres en Europe.
«L’originalité de l’Europe est de présenter une pluralité de manières de croire et une diversité des communautés religieuses», a résumé Nicolas Michel. Il faut cependant admettre l’ambivalence de cet héritage chrétien, car le fait religieux a aussi été facteur de discorde, en 1054, avec le schisme entre l’Orient grec et l’Occident latin, et au 16e siècle, avec les guerres de religion qui ont suivi la Réforme. Pour René Rémond, il existe «trois Europe chrétiennes»: la catholique-romaine, la protestante et l’orthodoxe.
«Qu’est-ce que l’homme?»
Pour Nicolas Michel, la référence à l’héritage chrétien européen est néanmoins «nécessaire et légitime». En faire mémoire rend justice au «riche socle de valeurs» qui nous irrigue encore. De surcroît, l’exercice permet de redécouvrir l’apport de ces valeurs, sans «mythifier un passé révolu». Car cet héritage vivant trouve son expression, entre autres, dans les principes de réflexion et les critères de jugement proposés par l’Eglise catholique, notamment dans sa Doctrine sociale.
Pour le pape Benoît XVI, une question fondamentale se pose aujourd’hui à la société. Elle est d’ordre anthropologique: «Qu’est-ce qu’un homme?». L’humanisme chrétien offre une double clé de réponse. D’abord l’être humain, en tant que créature, est unique et irremplaçable dans une dimension transcendantale qui lui donne sa dignité. Ensuite cet humain a une vocation naturelle à vivre en communauté: il n’est pas juste un individu. Cette vision a des applications concrètes pour la construction de la «communauté» européenne.
Tendances individualistes
Les valeurs fondatrices de l’anthropologie chrétienne sont à appliquer aux situations concrètes, plaide le professeur Michel. Premier principe, la dignité de la personne. Elle se distingue de la Selbstbestimmung, qui fait de l’humain un individu auto-référencé. Les défis sont ici considérables, en particulier en matière de droits de l’homme, de liberté de conscience et de religion. La perte du sens de la communauté est aujourd’hui flagrante, en raison des tendances individualistes contemporaines.
Une «union des hommes» et non pas une «coalition d’Etats»
Autre valeur de l’héritage chrétien, le bien commun. La notion dépasse l’intérêt général, conçu comme l’intérêt du plus grand nombre. Pour Nicolas Michel, il est important de réhabiliter la politique «au sens noble», comme un service de ce bien commun.
Une union des hommes
Les fondateurs de l’Europe, après la guerre, avaient ce sens particulier. Pour Jean Monnet et Robert Schuman, chrétien engagé, l’idée était de mettre sur pied une Fédération européenne. Pas uniquement en créant une communauté économique, comme la Communauté européenne du charbon et de l’acier – la CECA en 1951 – mais une solidarité humaine réelle. Une «union des hommes» et non pas une «coalition d’Etats», rappelle Nicolas Michel. Et unir les hommes a forgé un élan pacifique sur le continent.
La nécessaire subsidiarité, comme principe régulateur de la répartition des compétences entre collectivités publiques de niveaux différents, et l’indispensable solidarité appartiennent également au socle de cet héritage chrétien. En conclusion, le conférencier a relevé que l’héritage chrétien vivra en Europe dans la mesure où il y aura des chrétiens pour constituer cet héritage aujourd’hui.
Repenser l’Europe
Le vibrant plaidoyer pour un engagement chrétien au service du bien commun des Européens a suscité un dialogue nourri avec le public. Nicolas Michel a pu ainsi évoquer sa participation récente au colloque organisé fin octobre au Vatican: «Repenser l’Europe».
Une rencontre marquée par un message fort du pape François. Bien des éléments de ce discours correspondent au socle de valeurs présenté à Lausanne, ce 15 novembre 2017.
Les chrétiens ont d’importantes contributions à apporter à l’avenir du projet européen. Des horizons larges et engageants. (cath.ch/bl)
Message du pape François, le 28 octobre 2017