L'attente des Grecs avant le voyage du pape, entre espérance et peurs
La petite minorité catholique grecque attend avec «espérance» le voyage du pape François du 4 au 6 décembre 2021, affirme le Père Alexandros Perros, secrétaire de l’archevêque catholique de Naxos, Tinos, Andros et Myconos. Dans un entretien à I.MEDIA. Il reconnaît toutefois que la situation sanitaire freine les préparatifs, dans un pays déjà ébranlé par la crise économique et migratoire.
Propos recueillis par Anne Kurian, I.MEDIA
Curé de deux paroisses à Tinos (île du nord des Cyclades) et également directeur national des Œuvres pontificales missionnaires (OPM), le Père Perros évoque le programme du voyage apostolique, la rencontre prévue du pape avec des réfugiés à Lesbos et puis les relations entre l’Église catholique et l’Église orthodoxe, majoritaire dans le pays.
Quelles attentes y a-t-il en Grèce, à moins de trois semaines de la visite du pape?
C’est une visite d’espérance. Le premier voyage du pape François, en 2016, était principalement dédié aux migrants. Cette fois, il vient pour la Grèce et pour les Grecs, pas seulement pour la crise migratoire. Les Grecs catholiques voient que le pape s’intéresse aussi à eux.
C’est aussi un voyage sur les pas de saint Paul, avec une première étape à Chypre – le pape devait d’ailleurs également aller à Malte mais cette destination a été annulée. En Grèce, saint Paul a enseigné à l’aréopage d’Athènes. Et il est passé par Lesbos pour un changement de bateau. Sur le lieu de l’embarcadère où il a débarqué, on trouve aujourd’hui une chapelle orthodoxe.
Quels seront les moments phares de cette visite du pape François ?
La messe à Athènes, où les catholiques de Grèce, qui sont une très petite minorité (entre 0,2 et 0,3 % de la population) se rassembleront autour de leur pasteur. La dernière messe pontificale remonte à 2001 avec Jean Paul II.
Il y aura aussi des moments importants pour la nation : le pape François a été invité par la présidente de la République hellénique Katerina Sakellaropoulou, à l’occasion des 200 ans de la Révolution (1821). À Athènes, le pape s’entretiendra avec elle et avec l’archevêque orthodoxe Jérôme II. Enfin, le pape ira quelques heures sur l’île de Lesbos pour visiter les migrants.
Pourquoi le pape se rend-il une nouvelle fois à Lesbos ?
Le Saint Père peut vouloir se rendre à Lesbos pour voir l’évolution depuis son dernier passage, où la situation était vraiment très compliquée. Les migrants vivaient dans des conditions très précaires dans les camps de Lesbos et Samos. Il faut dire qu’au début, c’était une situation de «guerre», il y avait beaucoup de naufrages et il a fallu très rapidement aider ces personnes, sans regarder leur religion ou leur nationalité.
Toute la population de ces îles a vraiment ouvert ses portes pour donner de la nourriture, des vêtements, pour aider ces personnes dans la détresse. Mais cela a été trop lourd pour la population. On parle aussi d’une Grèce qui était en pleine crise économique, dont elle se sort lentement. Actuellement, le pays a réussi à créer des camps beaucoup plus organisés, avec des conditions de vie beaucoup plus dignes.
Comment votre diocèse s’est-il impliqué ?
Notre diocèse a d’abord essayé d’apporter une aide matérielle d’urgence, puis petit à petit des ONG ont pris le relais, comme Caritas Hellas et les Caritas d’Italie et de Pologne, ou encore la communauté Sant’Egidio, qui ont fait un énorme travail. Nous avons alors mis en place un accompagnement spirituel. Ces personnes avaient tout perdu ; la seule chose qui leur restait c’était leur foi, c’était Dieu. Elles venaient dans nos églises, elles assistaient à nos messes, elles demandaient des sacrements. Des religieuses, dont les soeurs de saint Vincent de Paul, ont mis en place des catéchèses, en essayant aussi d’apprendre aux migrants quelques mots de grec.
Comment se passent les préparatifs du voyage dans votre diocèse ?
J’ai accompagné mon archevêque à Lesbos, où l’on a eu un entretien avec le Comité d’organisation du Saint-Siège. On a discuté du programme et des choses pratiques.
Comment sont les relations entre l’Église catholique et l’Église orthodoxe en Grèce ?
Dans les îles, les relations entre catholiques et orthodoxes au sein de la population sont excellentes : il y a des mariages mixtes, les uns et les autres connaissent bien les deux réalités. Les orthodoxes du village d’à côté ne pensent pas que nous sommes des extraterrestres… Mais dans d’autres endroits, cela peut être plus difficile, en raison du manque de connaissance sur l’Église catholique. Certains ne savent même pas que nous sommes aussi chrétiens.
Au niveau de la hiérarchie, cela dépend des diocèses. Il peut y avoir quelques fermetures mais en règle générale les relations sont bonnes. Ici, à Tinos, il y a toujours un délégué de l’évêque orthodoxe présent à nos grandes messes. Et nous envoyons une délégation pour les grandes liturgies orthodoxes. Récemment avec mon archevêque, nous sommes allés rendre visite à l’un des deux évêques orthodoxes de l’île de Lesbos. C’était une rencontre très fraternelle.
Il semble y avoir quelques inquiétudes par rapport au Covid-19. Comment cela influe-t-il sur le voyage imminent ?
Il est sûr que la recrudescence des cas a compliqué les préparatifs. Nous avons eu des difficultés à choisir le lieu de la messe, étant donné la situation sanitaire. Si au début de la pandémie le gouvernement a pris des mesures en imposant des confinements, aujourd’hui nous faisons face à une nouvelle vague : il y a quelques jours nous avons eu jusqu’à 8.000 cas, dans notre petit pays qui compte 10,7 millions d’habitants et très peu d’hôpitaux.
À Tinos par exemple, il n’y a que des centres médicaux. Et puis nous devons faire face à des réticences, des préjugés contre les vaccins, des théories du complot, etc. Les deux Églises catholique et orthodoxe expliquent aux fidèles que la médecine n’est pas contraire à notre foi, qu’elle vise le bien commun.
En Grèce, cela a aussi changé notre façon de célébrer : alors que nous donnions la communion sous les deux espèces, le Corps et le Sang du Christ, on a dû arrêter. Mais même la population rurale, qui entretient un certain amour pour la tradition et une grande piété populaire, s’est bien adaptée.
La crise sanitaire va-t-elle compromettre la participation des Grecs aux rassemblements avec le pape ?
En 2001, des bus avaient été mis en place. Cette année les déplacements sont plus compliqués, il y a une certaine peur, notamment dans les îles. La population assez âgée risque gros si elle est contaminée. Imaginez que quand il y a du vent, il n’y a pas de bateau, il faut se faire héliporter en cas d’urgence. Il y a donc une certaine déception de ne pas pouvoir aller à la rencontre du pape à cause du virus. (cath.ch/imedia/ak/mp)