«L'attentat de Bagdad ajoute une incertitude sur le voyage du pape»
Après l’attentat qui a frappé le cœur de la capitale irakienne le 21 janvier 2021, «la probabilité que le voyage du pape en Irak soit ajourné augmente», estime Georges Malbrunot, grand reporter au Figaro et spécialiste du Moyen-Orient.
Propos recueillis par Hugues Lefèvre, I.Media.
Alors que le pape doit officiellement s’envoler le 5 mars prochain pour une visite de quatre jours en Irak, l’ex-otage de l’Armée islamique en Irak évoque pour I.MEDIA les enjeux d’un tel déplacement, et notamment de la possible rencontre entre le pape et l’ayatollah Ali Sistani.
Après l’attentat survenu à Bagdad le 21 janvier, les autorités irakiennes sont-elles en mesure d’assurer la sécurité du pape François?
Georges Malbrunot: Cette visite comporte plusieurs difficultés. D’abord, la pandémie sévit réellement en Irak, aggravée par le fait qu’ici comme dans les autres pays du Moyen-Orient, il est difficile de faire respecter les «gestes barrières» ou la distanciation sociale. Le pape a déclaré début janvier qu’il ne souhaitait pas créer de regroupements qui favoriseraient la propagation du virus.Ensuite, il est certain que l’attentat qui a frappé le cœur de la capitale irakienne vient ajouter un peu plus d’incertitudes. La probabilité que ce voyage soit ajourné augmente. En soit, ce n’est pas la sécurité du pape qui est en jeu mais celle de ceux qui se masseront autour de lui.
Pour l’heure, les autorités chrétiennes irakiennes restent dans la perspective d’un déplacement et continuent d’y travailler. Peut-être que les choses se décideront seulement quinze jours avant le départ prévu.
Les chrétiens irakiens pourraient-ils devenir des cibles à l’occasion de ce voyage?
En temps normal, les chrétiens ne sont pas des cibles spécifiques pour Daech qui frappe de façon indiscriminée. Mais il est vrai que le voyage du pape – qui représente le chef des mécréants pour ces islamistes – pourrait leur fournir une occasion de perpétrer un attentat. L’organisation était sur le déclin mais l’attaque de Bagdad montre qu’elle peut encore frapper au centre de la capitale.
Si le voyage du pape est maintenu, certains plaident pour une rencontre entre le pape François et l’ayatollah Ali Sistani. Que représente cette autorité en Irak?
L’ayatollah Ali Sistani est la plus haute autorité spirituelle pour les chiites irakiens, c’est en quelque sorte leur «pape». Il est celui qui, en 2014, a publié une fatwa, un décret religieux, appelant à la mobilisation de la population pour aller combattre Daech. Il est donc capable de faire lever des foules importantes.
À 90 ans, il est une figure tutélaire extrêmement respectée et influente en Irak et au-delà. Pour donner un exemple, après leur intervention en Irak en 2003, les responsables américains à Bagdad sont régulièrement allés le voir pour lui soumettre leur vision et entendre ses réflexions, notamment sur la nouvelle constitution du pays.
Bien qu’étant né en Iran, il plaide pour que l’Irak redevienne un État souverain et s’affranchisse des tutelles étrangères. Ses relations avec l’Iran, pays qui interfère très largement dans les affaires irakiennes, sont donc très difficiles.
Une rencontre entre cette autorité chiite et le pape François ferait-elle écho à la rencontre entre le pape et le grand imam d’Al-Azhar, principale autorité de l’islam sunnite dans le monde?
Ali Sistani a beaucoup plus de force et de poids sur la communauté chiite que le grand imam d’Al-Azhar n’en a dans le monde sunnite. Dans le chiisme, il y a un vrai clergé structuré, contrairement au sunnisme. Une telle rencontre entre les deux chefs religieux serait donc particulièrement forte si elle avait lieu.
Cependant, l’ayatollah Sistani a une position claire : il ne veut pas rencontrer de chef d’État. Étant un religieux, il dit se placer au-dessus des États. Il n’en a donc jamais rencontrés – ni même un ambassadeur. La seule personnalité qu’il accepte de rencontrer est le représentant des Nations unies à Bagdad. Dès lors, il n’est pas dit que la rencontre puisse se faire, d’autant plus que le pape François devrait alors se rendre à Najaf, ce qui, en termes de déplacements, pose aussi des difficultés.
Le message que devrait délivrer le pape François sur la fraternité humaine portera-t-il au-delà de la communauté chrétienne irakienne?
Au-delà du symbole très fort que représente cette visite, je crois qu’il ne faut pas se leurrer et être réaliste. Certes, les chrétiens vont être honorés et réconfortés par la venue du pape. Ils écouteront ses messages. Mais l’Irak est un pays musulman, fracturé et fragmenté sur le plan confessionnel, et où la composante chrétienne fond comme neige au soleil. Le message du pape portera symboliquement mais il ne faut pas s’attendre à ce qu’il produise des effets concrets et qu’il change la donne politique.
Pour le gouvernement irakien actuel, cette visite du pape sera-t-elle bénéfique?
En termes d’image, oui. Mais ce voyage va aussi souligner le fait que depuis 2003, près d’un million de chrétiens ont quitté le pays. Ils étaient environ 1,5 million sous Saddam Hussein. Après 2003, ils ont été victimes – comme les autres – de l’instabilité, des violences et des attaques perpétrées par les islamistes radicaux. Ce n’est pas glorieux pour le pouvoir irakien que de mettre un coup de projecteur sur leur situation. (cath.ch/imedia/hl/mp)