L'attaque «à double-tranchant» de Trump contre le pape François
Avec son tweet de soutien à Mgr Carlo Maria Vigano, nonce aux Etats-Unis de 2011 à 2016 et notable opposant du pape François, le président Donald Trump a mis à mal les relations entre les Etats-Unis et le Saint-Siège. Il a également mis en péril son soutien auprès des catholiques américains.
Une analyse de Christopher Lamb, The Tablet/traduction et adaptation: Raphaël Zbinden
Le 11 juin 2020, le président américain a salué, dans un tweet, le soutien reçu pour sa personne de Mgr Carlo Maria Viganò. Ce dernier avait pris, en 2018, l’audacieuse initiative d’appeler le pape François à démissionner.
Donald Trump a parlé à ses 82 millions de followers d’une lettre «incroyable» de l’archevêque, qui affirme que les manifestations de «Black Lives Matter» (les vies noires comptent) et le confinement imposé dans le cadre de la pandémie de coronavirus sont des éléments d’une campagne apocalyptique menée par les «fils des ténèbres» contre les «fils de la lumière».
Embarras diplomatique?
Ce soutien apporté par le président à Mgr Viganò a deux conséquences immédiates: la première est la difficulté que cela pose pour les relations des États-Unis avec la papauté et les instances de direction de la religion la plus répandue dans le monde.
Même si le président américain et le pape ont de nombreux désaccords, le Saint-Siège a toujours conservé de bons canaux de dialogue avec le gouvernement Trump, travaillant notamment de concert sur des questions telles que la liberté de religion.
Mais qu’en sera-t-il désormais? Quelle sera la ligne de l’ambassadrice des États-Unis auprès du Vatican, Callista Gingrich, alors que son patron a soutenu quelqu’un qui considère que le pape devrait démissionner? Le président Trump s’attend-il à ce qu’elle transmette son soutien à Mgr Viganò au Saint-Siège?
Il faut aussi rappeler que le mari de l’ambassadrice, Newt Gingrich, est l’une des «pom-pom girls» les plus bruyantes du président. Ancien président de la Chambre des représentants, il évite scrupuleusement de se mêler de la politique du Vatican. Mais son soutien constant à Donald Trump correspond au comportement d’un «éléphant dans un magasin de porcelaine», lorsque le président s’aligne sur les positions de Mgr Viganò.
Une «géopolitique de l’Apocalypse»
Le «tweet Viganò» n’est, comme il a été dit, pas la première attaque du président contre le pape François sur ce réseau social: en 2013, alors que Donald Trump n’était encore qu’un homme d’affaires et une star de la télé-réalité, il avait critiqué le pontife nouvellement élu pour avoir payé la note de la pension dans laquelle il séjournait avant le conclave. «Ce n’est pas un comportement de pape», avait déclaré le futur président. Les tensions ont atteint un point culminant à l’approche des élections de 2016, lorsque le pape argentin a déclaré que le projet du candidat à la présidence de l’époque de construire un mur entre les États-Unis et le Mexique n’était «pas chrétien».
Le Vatican n’a fait aucun commentaire officiel sur le tweet présidentiel. Mais le Père Antonio Spadaro, rédacteur en chef de la revue jésuite La Civilta Cattolica – qui défend officieusement la position du Saint-Siège – ait fait un lien avec un article de 2017 co-écrit avec le pasteur protestant Marcelo Figueroa sur la façon dont les groupes catholiques et évangéliques promouvaient un «œcuménisme de la haine». Antonio Spadaro affirmait dans ce texte que la foi était utilisée pour faire avancer un programme politique de droite et que le président Trump en profitait pour promouvoir une «géopolitique de l’Apocalypse».
«Trump est sur un terrain dangereux avec les catholiques blancs»
Cet article avait été fortement critiqué lors de sa publication. Un prélat américain de haut rang le décrivant comme «volontairement ignorant». La lettre de Viganò et la récente promotion qu’en a faite le président, mettent à présent en évidence l’aspect prophétique de ce texte.
Marcelo Figueroa a de son côté également répondu à Trump en tweetant une partie de cet article de 2017 affirmant que «cet amalgame de politique, de morale et de religion a adopté un discours totalement manichéen qui divise la réalité entre le Bien absolu et le Mal absolu».
Trouble chez les catholiques blancs
Une seconde implication du tweet du président est peut-être plus inquiétante pour lui. Elle renvoie à l’effet de son soutien à Mgr Viganò sur son électorat catholique. Les sondages montrent déjà qu’il est en train de perdre du terrain chez les catholiques blancs des «Etats balanciers», ceux-là même qui ont assuré sa victoire inattendue en 2016. Il est clair que les tentatives de Donald Trump de renforcer Mgr Vigano et ses thèses complotistes contre le pape et les dirigeants de l’Eglise pendant la campagne 2020 risquent de troubler les consciences des catholiques qui l’ont soutenu jusque-là.
«Trump est sur un terrain dangereux avec les catholiques blancs», confirme David Gibson, directeur du Centre pour la religion et la culture de l’Université de Fordham (Etat de New York).»Les catholiques qui le soutiennent n’aiment peut-être pas François, mais ils pourraient également ne pas être heureux de voir le président attaquer le pape». Un certain nombre de catholiques très en vue qui ont apporté leur soutien au président sont également dans une position délicate. Comment peuvent-ils maintenant prétendre être loyaux à la fois au pape et à Trump?
L’influence de Lifesite News
Plus gênant encore, le «tweet Viganò» du président est arrivé un jour après qu’il a suggéré qu’un militant catholique pour la paix, jeté au sol par la police, était un «provocateur Antifa» (de l’extrême gauche). Deux policiers ont été, suite à cet événement, suspendus et accusés d’agression.
«Derrière tout cela, il faut principalement voir l’influence des conseillers catholiques qui gravitent autour de Trump, explique David Gibson. Le fait qu’on lui fournisse des informations provenant de Lifesite News (le site conservateur qui a publié la lettre de Mgr Vigano le 7 juin 2020, ndlr.) montre d’où il tire sa vision de l’Eglise catholique».
La grande majorité des catholiques, ajoute l’universitaire, ne savaient probablement pas grand-chose de l’archevêque Viganò avant le tweet de Trump. Cette démarche a certainement augmenté la notoriété de ce diplomate retraité de 79 ans. (cath.ch/tablet/rz)