L'assassinat de Marielle Franco a provoqué une vague d'indignation au Brésil (Photo:Romerito Pontes/Flickr/CC BY 2.0)
International

L’assourdissant silence des évêques brésiliens sur l’assassinat de Marielle Franco

Une semaine après l’assassinat de Marielle Franco, conseillère municipale de Rio de Janeiro, et de son chauffeur, le 14 mars 2018, de nombreux Brésiliens, ainsi que la communauté internationale, continuent de dénoncer ce crime odieux. Contrairement à de nombreux catholiques, la Conférence nationale des évêques du Brésil (CNBB) garde le silence.

Le 14 mars dans la soirée, Marielle Franco (Parti Socialiste et Liberté – PSOL), élue au Conseil Municipal de Rio de Janeiro en 2016, repart vers son domicile en voiture en compagnie de son assistante et de son chauffeur, après avoir participé à un rassemblement pour la promotion des femmes noires. Prise en chasse par un véhicule et au terme d’une course-poursuite, des assaillants ouvrent le feu. La conseillère municipale est atteinte de plusieurs balles à la tête. Son chauffeur, Anderson Pedro Gomes, est également abattu. Son assistante est blessée. Une «exécution» caractérisée, puisque les meurtriers repartent sans n’avoir rien volé.

Des milliers de gens dans la rue

Les manifestations de solidarité se sont multipliées dans tout le pays après l’assassinat de cette femme noire charismatique de 38 ans, sociologue de formation, et mère d’une fille de 19 ans. Originaire du Complexe de Maré, l’une des plus violente favela de Rio, elle était fortement engagée contre le racisme et les violences policières.

Le 15 mars, 50’000 personnes ont manifesté leur colère et leur peine dans les rues de Rio. 30’000 se sont rassemblées à Sao Paulo et des milliers dans d’autres grandes villes du pays, comme à Salvador de Bahia, où se tenait, du 13 au 18 mars, le Forum Social Mondial (FSM). Une bonne partie des travaux ont été suspendus pour que les participants puissent aller manifester.

Des balles ayant appartenu à la police

La conseillère municipale critiquait avec véhémence le décret du président brésilien Michel Temer du 16 février confiant la sécurité de la ville de Rio de Janeiro à l’armée nationale brésilienne. L’assassinat de la politicienne a entraîné de nombreuses réactions sur les réseaux sociaux, en particulier sur Twitter, avec de très nombreux messages de personnalités politiques, de la société civile et du monde artistique. Le président Michel Temer a qualifié l’assassinat «d’inadmissible» et «d’attentat contre la démocratie et l’Etat de droit». Le ministre de la Sécurité publique, Raul Jungmann, a promis que tout serait mis en œuvre pour punir les responsables de «ce crime barbare». Un engagement d’autant plus important que, d’après les premiers éléments de l’enquête, les balles retrouvées sur place auraient appartenu à la police.

Au niveau international, les réactions et condamnations se sont également multipliées. L’antenne brésilienne de l’ONU a fait part de sa «consternation», soulignant que Marielle Franco était l’une des principales voix pour la défense des droits de l’homme à Rio. Amnesty International a réclamé une enquête immédiate et rigoureuse, afin «qu’il n’y ait aucun doute sur le contexte, la motivation et les auteurs» de l’assassinat. Le 20 mars 2018, au siège de l’ONU à New York, plus de cent ONGs et entités internationales se sont unies pour dénoncer l’Etat brésilien et demander une enquête indépendante.

Emotion et consternation des catholiques

Du côté de l’Eglise catholique, la première réaction est venue du Frère Fidêncio Vanboemmel, responsable de la Province franciscaine de l’Immaculée Conception du Brésil. Dès le 15 mars au matin, un communiqué exprimait «l’indignation et la tristesse» des franciscains. Ces derniers soulignent le motif probable de la mort comme étant la dénonciation de Marielle Franco des cas d’abus d’autorité et des exécutions de jeunes pauvres, souvent noirs, dans divers secteurs de Rio de Janeiro.

Le même jour, le site de l’archevêché de Rio de Janeiro publiait une note laconique «de solidarité à l’attention des familles et des proches des deux victimes». Le communiqué indique que «face à la mort de tant de personnes, parmi lesquelles Marielle Franco et son chauffeur, Anderson Gomes, il est encore plus urgent de réaffirmer la valeur de la vie (…). De fait, la violence est un mal qui se multiplie sans cesse, prend différents formes (…) et fait de plus en plus de victimes».

Parmi les autres réactions, celle de Leonardo Boff. Le père de la théologie de la libération au Brésil a écrit sur son blog que «Marielle et Anderson sont devenus des semences de tant et tant autres Marielle et Anderson, qui vont germer au sein d’un peuple qui n’accepte plus l’humiliation et le mépris». Pour le Frère dominicain Frei Betto, «les tirs qui ont ôté la vie de Marielle ont atteint chacun de nous qui luttons afin que vive la parole de Jésus, (Jean 10, 10), pour que les hommes aient la vie et qu’ils l’aient en abondance».

Faire taire les voix qui luttent pour la justice

De son côté, la Société de théologie et sciences de la religion (SOTER), une entité qui regroupe des théologiens et des chercheurs en religion du Brésil, a publié un communiqué le 15 mars. Le texte affirme que «l’exécution de Marielle Franco est une tentative pour faire taire la voix de ceux et celles qui luttent pour la justice et pour les droits, qui incarnent la cause de la défense des plus pauvres et vulnérables, et, comme cela était le cas pour Marielle, défendent la dignité des hommes et femmes noirs, en majorité jeunes, victimes de violences et d’une exclusion créées par la société».

Le recteur de l’Université pontificale catholique de Rio (PUC), le Père jésuite Josafa Carlos de Siqueira, a également manifesté son «sentiment de douleur suite au brutal assassinat de notre ex-élève du département de sciences sociales, qui défendait les droits des pauvres et des marginaux de notre ville». Le Père de Siqueira a célébré une messe à la mémoire de Marielle Franco et de son chauffeur, le 20 mars dans la chapelle de l’université carioca.

Service minimum de la CNBB

Cette mobilisation des catholiques tranche avec le silence de la Conférence nationale des évêques du Brésil (CNBB), alors même que cette dernière a lancé, le 14 février dernier, la Campagne de fraternité 2018 sur le thème «Fraternité et résolution de la violence». Depuis le double homicide, le site internet de la CNBB s’est en effet contenté de reprendre la «note de solidarité» aux familles et aux proches des victimes, publiée le 15 mars sur le site internet de l’archevêché de Rio.

«Nous avons agi comme d’habitude, explique un représentant du service de presse de la CNBB joint par téléphone. Lorsqu’une information importante est produite par le site web d’un archevêché, nous la reprenons pour la diffuser sur notre site». Une note qui a d’ailleurs disparu de la page d’accueil du site de la Conférence épiscopale, «au profit d’autres informations plus récentes», précise le service de presse de la CNBB.

Le pape François appelle la mère de la victime

En attendant, de nombreux catholiques ne cachent pas leur déception face à ce service minimum de la CNBB. Le silence est d’autant plus marquant que les occasions d’évoquer et condamner le meurtre de la conseillère municipale n’ont pas manqué. Notamment le 16 mars, soit moins de deux jours après les faits, lorsque Mgr Leonardo Steiner, secrétaire général de la CNBB, a rencontré le ministre de la Sécurité publique pour lui remettre le texte officiel de présentation de la Campagne de fraternité 2018. Interrogé par mail sur l’absence de déclaration de Mgr Steiner, le service de presse de la CNBB n’avait toujours pas répondu au moment de conclure cet article.

En revanche, le pape François n’a pas hésité à manifester sa solidarité avec la famille de Marielle Franco. Le site italien spécialisé Vatican Insider a révélé que le pontife avait appelé la mère de la Conseillère municipale pour lui témoigner son affection et sa solidarité. Le média précise que le pape argentin avait décidé d’appeler la famille après avoir reçu une lettre de la fille de Marielle.


Un prêtre insulté pour avoir évoqué Marielle Franco

Le Père Mario de França Miranda, âgé de 81 ans, a été interrompu et insulté par deux hommes alors qu’il célébrait une messe, dimanche 19 mars, dans la paroisse de la Résurrection, à Ipanema, dans la zone sud de Rio de Janeiro. Les faits se sont déroulés alors que le prêtre venait d’évoquer le double assassinat de Marielle Franco et de son chauffeur. Les deux hommes ont été sortis de l’Eglise et le prêtre a pu continuer la célébration.

Interrogé par le journal O Globo, le Père Miranda, également professeur à l’Université pontificale catholique de Rio (PUC) a indiqué qu’il avait «fait une homélie normale, citant Martin Luther King, Mgr Oscar Romero et des personnes qui cherchent à améliorer la société, comme Jésus a tenté de le faire aussi, avant d’être assassiné précocement».

«L’Evangile dit que le grain tombe dans la terre et donne des fruits. J’ai souligné que quand on tue une personne, il semble que tout s’effondre, mais non! Dans le cas de Jésus, il a influencé toute l’humanité. Et les fruits sont également ces personnes qui suivent cet exemple, qui ont une vie difficile mais avec du sens, et qui engendrent beaucoup de paix en faisant le bien». (cath.ch/jcg/rz)

 

L'assassinat de Marielle Franco a provoqué une vague d'indignation au Brésil
22 mars 2018 | 11:29
par Raphaël Zbinden
Temps de lecture : env. 6  min.
Assassinat (61), Brésil (392)
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