Manifestation contre les abus de la loi sur le blasphème au Pakistan | © asianews
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L'armée pakistanaise protège les chiites durant le mois sacré de Moharram

Lahore, 15.10.2015 (cath.ch-apic) Pour protéger les musulmans chiites, qui fêtent depuis jeudi 15 octobre le mois sacré de Moharram, le Pakistan a déployé 10’000 soldats et 6’000 autres hommes armés afin de prévenir toute violence confessionnelle.

Cette minorité musulmane, qui représente tout de même près de 20% des 190 millions de Pakistanais, est régulièrement prise pour cible par les extrémistes sunnites.

Pendant ce mois sacré, où ils sont particulièrement visés, les musulmans chiites pakistanais commémorent le martyre de l’imam Hussein, petit-fils du prophète Mahomet. Les processions et célébrations sont régulièrement visées par des fanatiques.

Propos haineux contre les minorités religieuses

De son côté, la minorité musulmane des Ahmadis – considérée comme hérétique par la majorité musulmane sunnite au Pakistan – exige elle aussi des autorités pakistanaises qu’elles fassent cesser les discours de haine des prédicateurs sunnites qui enflamment les fidèles dans les mosquées.

Les autorités ont promis de réprimer ceux qui tiennent de tels discours dans le cadre d’un plan national pour combattre l’extrémisme. Mais, a dénoncé le 13 octobre Saleem ud Din, porte-parole de la communauté ahmadie, les religieux musulmans sunnites sont libres de tenir des conférences publiques où ils déversent leur haine en pleine connaissance des autorités. «De la littérature basée sur la haine des musulmans ahmadis est continuellement produite et distribuée, et cela devient un grand danger pour la vie des Ahmadis», a-t-il déclaré à la presse pakistanaise.

Les Ahmadis persécutés par les extrémistes sunnites

Au Pakistan, où les Ahmadis sont peut-être 5 millions, la Constitution du pays déclare qu’ils ne sont pas musulmans et ne peuvent donc pas se désigner comme tels. Ce qui suscite la haine des fanatiques: en mai 2010, 94 fidèles ahmadis ont été tués et une centaine blessés dans des attentats contre deux de leurs mosquées à Lahore, capitale de l’Etat du Pendjab. Les talibans pakistanais avaient revendiqué cette attaque sanglante.

Cette minorité persécutée dénonce les propos haineux la visant une nouvelle fois alors que le 12 octobre dernier, un Ahmadi et ses deux neveux ont été mitraillés dans la ville portuaire de Karachi alors qu’ils revenaient de la mosquée.

La loi sur le blasphème, un instrument aux mains des fanatiques

Cette attaque est survenue alors que dans une autre partie du pays, Naveed Masih, un chrétien de 24 ans, était arrêté en raison de la loi controversée sur le blasphème, utilisée fréquemment pour persécuter les minorités religieuses dans le pays.

Naveed Masih a été accusé et arrêté à Sargodha, au Pendjab. Selon une pratique répandue parmi les groupes chrétiens pentecôtistes et charismatiques, le jeune homme priait en privé avec une autre personne, demandant à Dieu de la libérer de maux physiques et spirituels.

A son domicile se rendaient souvent des fidèles de différentes religions, y compris des musulmans, pour lui demander de prier pour eux. L’un d’eux, un agent de police venu incognito, avait apporté une épée sur laquelle étaient gravés des versets du Coran. Lorsque le jeune homme l’a mise sous ses jambes, le policier l’a dénoncé, affirmant que Naveed Masih avait agi intentionnellement pour outrager le Coran. Selon l’agence de presse catholique asiatique UcaNews, un membre de la famille a déclaré que le policier avait demandé un pot de vin, et comme Naveed Masih avait refusé, il l’avait accusé d’avoir blasphémé contre l’islam. La famille de Naveed Masih est désormais également menacée.

D’autres cas d’attaques de chrétiens par des musulmans fanatisés ont été signalés ces derniers temps au Pakistan. Ainsi, la famille d’Aftab Gill a été contrainte d’abandonner sa résidence dans la zone de Wazirabad, également au Pendjab, pour fuir la colère d’une foule de musulmans qui l’accusaient de blasphème.

Une famille échappe au lynchage

Aftab Gill, âgé de 40 ans, allait prendre de l’eau à une fontaine appartenant à une mosquée, comme nombre d’autres personnes dans la communauté. Un musulman lui a dit: «Les chrétiens ne sont pas autorisés à utiliser cette eau, autrement vous, infidèles, la contaminez. Si vous en voulez, vous devez vous convertir à l’islam». Aftab Gill et ses enfants ont refusé et il s’en est suivi une altercation que la police a dû calmer. En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, environ 200 hommes se sont rassemblés pour agresser Aftab Gill et sa famille, les accusant de blasphème. La police a dû intervenir pour sauver la famille du lynchage.

«Les lois sur le blasphème promeuvent actuellement au Pakistan un climat d’intolérance, générant la violation d’une vaste gamme de droits fondamentaux, y compris les droits à la liberté d’expression et de religion», remarque Me Sardar Mushtaq Gill, avocat chrétien et responsable de l’ONG LEAD.

1’400 cas de blasphème enregistrés en 2014

Rappelons qu’en 2014, 1’400 cas de blasphème ont été enregistrés au Pakistan. Il s’agit d’un pic, par rapport à la tendance de ces dernières années, qui révèle une situation très préoccupante, indique Me Syed Mumtaz Shah, avocat intervenant lors d’un séminaire dédié au thème «Droits fondamentaux, liberté religieuse, inclusion sociale et participation politiques des minorités» organisé à Karachi par le «Pakistan Institute of Labour Education and Research» (PILER).

Selon l’agence vaticane Fides, les données diffusées lors de ce séminaire révèlent qu’environ 800 cas de blasphème ont été enregistrés à l’encontre de musulmans. «Ceci devrait faire réfléchir les musulmans eux-mêmes, lesquels devraient se mobiliser contre l’abus de cette loi», ont remarqué les participants, appartenant à plusieurs confessions religieuses.

Me Nisar Shar, porte-parole de l’Association des avocats de Karachi, souligne qu’»il est devenu dangereux, même pour les avocats, de faire leur travail et de défendre un inculpé accusé de blasphème». Il a rappelé le cas de Me Rashid Rehman, assassiné parce qu’il assurait la défense d’un inculpé dans un cas de ce genre. (apic/ucan/fides/be)

Manifestation contre les abus de la loi sur le blasphème au Pakistan | © asianews
15 octobre 2015 | 17:10
par Jacques Berset
Temps de lecture : env. 4  min.
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