L'ancien grand rabbin de France Joseph Haïm Sitruk n'a laissé personne indifférent
L’ancien grand rabbin de France Joseph Haïm Sitruk, décédé le dimanche 25 septembre 2016 à Paris à l’âge de 71 ans, a été enterré le lundi suivant au cimetière du Mont des Oliviers, à Jérusalem. Cet homme «intransigeant», père de neuf enfants, a dirigé la première communauté juive d’Europe de 1987 à 2008.
Il n’a laissé personne indifférent et restera sans aucun doute dans les mémoires «comme l’une des très grandes figures du judaïsme français», selon Actualité Juive Hebdo. Il avait été victime d’une attaque cérébrale en 2001 et était malade depuis plusieurs années.
«Un intellectuel juif détesté par les intellectuels juifs»
Dans le quotidien français Le Monde du 27 septembre 2016, le journaliste Henri Tincq rappelle que Joseph Sitruk «emporte avec lui nombre de mystères». C’était «un intellectuel juif, mais détesté par les intellectuels juifs. Charismatique, moderne, mais confondu avec l’orthodoxie la plus archaïque».
Ce juif d’Afrique du Nord, issu du judaïsme séfarade, est né le 16 octobre 1944 à Tunis. Il fut d’abord grand rabbin de Marseille, avant d’être élu grand rabbin de France pour la première fois en 1987, réélu en 1994, puis en 2001. Il était «attaché aux institutions laïques mais vitupéré pour son intégrisme. Prêchant le dialogue entre les religions, mais se frottant assez peu, sinon pour une rencontre à l’Elysée ou une cérémonie commémorative, à ses pairs catholiques, protestants ou musulmans», écrit Henri Tincq.
Une orthodoxie «toujours plus rigoureuse»
«On l’a accusé d’avoir remanié les statuts pour se doter d’une sorte de mandat à vie, incompatible avec l’esprit du rabbinat», poursuit le journaliste. «Mais en un peu plus de trois septennats, il aura été la figure la plus symbolique de toutes les mutations de la communauté religieuse juive, de sa vitalité fiévreuse, de son orthodoxie toujours plus rigoureuse, de son exigence de l’étude, aussi de ses conflits internes, toujours au bord de la rupture, enfin de sa proximité inconditionnelle avec Israël».
«Leader né», «spirituel», «rabbin bâtisseur» – il a inauguré nombre de synagogues et de centres communautaires à travers la France – Joseph Sitruk était d’une «intransigeance absolue» en ce qui concerne les grandes options de la vie religieuse (cashrout, mariages, conversions), appuyé par un tribunal rabbinique «trié sur mesure». Son intransigeance, il la dissimulait «sous un éternel sourire et un art de séduire, par le geste et un verbe toujours émaillé de références talmudiques, qui n’appartenait qu’à lui».
«Chaque campagne du Front national le faisait monter au créneau»
Henri Tincq relève que ses ennemis en faisaient une sorte de «télévangéliste» à l’américaine ou, pire, un «chef de secte». S’il était un défenseur fervent de la République laïque, il n’en déplorait pas moins que la place de la religion n’était pas bien ajustée à l’espace public. Ainsi, «il plaidait pour que les examens scolaires n’aient pas lieu le samedi ou un jour de fête religieuse, pour qu’un tour d’élection nationale ne tombe pas un jour de kippour». Il s’exprimait publiquement lorsqu’éclataient des incidents antisémites, et «chaque campagne du Front national le faisait monter au créneau».
Il avait fait polémique dans la presse juive et bien au-delà le 3 juin dernier en déclarant que la Gay Pride de Tel Aviv était «une tentative d’extermination morale du peuple d’Israël». Il avait affirmé dans sa chronique hebdomadaire sur RadioJ que «la Torah qualifie l’homosexualité d’abomination et elle la considère comme un échec de l’humanité. Israël, par cette manifestation, se trouve rabaissé au rang le plus vil ! (…) C’est la morale même du peuple juif et de toute l’humanité qui est en jeu. Il n’y a pas de mot assez fort pour le crier. (…) Si nous perdons notre morale et notre idéal, que dire à l’humanité qui a les yeux tournés vers nous. J’espère que les auditeurs écouteront mon appel au secours et réagiront de façon radicale à une telle abomination».
Il voulait «rejudaïser les juifs»
L’association juive LGBT Beit Haverim avait alors vivement protesté, se demandant «à quelle radicalité pense le rabbin Sitruk ?». Et de rappeler qu’en 2015, Yishaï Shlissel, un juif ultra-orthodoxe, avait tué à coups de couteau Shira Banki, une jeune israélienne de 16 ans qui participait à la Gay Pride de Jérusalem. Cette attaque d’un extrémiste récidiviste, qui avait fait encore plusieurs blessés, avait été condamnée avec force par les deux grands rabbins d’Israël, David Lau et Yitzhak Yossef.
S’il était favorable à «une société ouverte, contre toute forme de ghetto» et défendait l’intégration des juifs dans la société française, il voulait cependant «rejudaïser les juifs» qu’il trouvait trop laïcs et les faire revenir dans les synagogues. (cath.ch-apic/lemonde/com/be)