L'âme révélée du chemin suisse de Compostelle
La Via Jacobi, le chemin suisse de Compostelle, offre d’enthousiasmantes découvertes spirituelles et culturelles. Emmanuel Tagnard, journaliste à RTSreligion, raconte dans un nouveau livre son expérience de cheminement d’un bout à l’autre de la Suisse.
Des bords du lac de Constance aux confins du Léman, Emmanuel Tagnard a parcouru, pendant l’été 2019, 431 km en 18 jours. Un périple qui n’avait rien d’effrayant pour le journaliste-marcheur qui arpente depuis de nombreuses années toutes sortes de chemins mythiques. Dans un premier ouvrage paru en mai 2018 intitulé « Très Saint-Père, lettres ouvertes au pape François », il avait déjà couché sur papier ses impressions de voyage sur un tronçon de la Via Francigena, qui relie Cantorbéry à Rome.
Avec ce Via Jacobi-sur le chemin suisse de Compostelle, paru en mai 2020 aux Editions Saint-Augustin, Emmanuel Tagnard propose une œuvre à plusieurs niveaux de lecture. Elle ressemble à première vue à un carnet de voyage classique, avec ces descriptions de lieux visités, de paysages somptueux et ces «adresses où dormir». L’itinéraire est sympathiquement illustré par le dessinateur suisse Alex Baladi, que l’auteur connaît personnellement. Une mise en valeur dont l’écrivain est très satisfait. «Alex a parfaitement compris l’esprit du livre. Il l’a restitué à sa manière, avec une légèreté et un humour qui apportent un véritable complément».
Sous le signe du labyrinthe
Mais Via Jacobi est bien plus qu’un guide touristique. «Il s’agit d’un parcours non seulement culturel, mais aussi historique, spirituel et personnel», confie l’auteur à cath.ch.
Sur le plan culturel, le récit permet de partir en imagination sur des lieux mythiques et pittoresques de Suisse, de l’Abbaye d’Einsiedeln au château de Bossey (Ge) en passant par le Flüeli Ranft. Un ouvrage qui tombe donc à point nommé pour les sans doute nombreuses personnes désireuses de découvrir le patrimoine en se ressourçant, alors que la tendance de l’été 2020 sera aux vacances dans le pays.
Le hasard? Peut-être pas, car Emmanuel Tagnard est sensible aux multiples marques de la Providence face à toutes ces «coïncidences» qui ont marqué son périple et qui lui ont finalement donné sens.
Il souligne ces labyrinthes qui ont tissé le fil rouge de son parcours. Au début de sa marche, il a en effet visité une exposition, à la bibliothèque de Saint-Gall, sur le thème du labyrinthe. En passant Fribourg, il s’est arrêté au domaine de Notre-Dame de la Route, connu pour son labyrinthe de pierres levées. Le pèlerin a également rencontré une telle structure devant le couvent de la Fille-Dieu, à Romont.
Ces labyrinthes étaient là pour lui révéler un enseignement essentiel de sa démarche. Il s’agit en effet d’un lieu dans lequel on doit se perdre avant de se retrouver. Il indique au pèlerin qu’il ne comprendra le sens de sa marche qu’une fois celle-ci terminée.
Forêts de symboles
Le livre peut ainsi se parcourir comme une sorte de «récit initiatique», qui emmène le lecteur bien au-delà de la simple visite culturelle. Le but final d’Emmanuel Tagnard est de faire saisir que le pèlerinage est une forme de voyage plus intérieur qu’extérieur. Le pèlerin y passera à travers des forêts de symboles qu’il saura décrypter s’il garde l’esprit ouvert.
Dans cette démarche, les rencontres sont des éléments centraux. Celles qui ont émaillé le parcours d’Emmanuel Tagnard l’ont aidé à approfondir sa signification. Cela a été le cas du premier personnage croisé sur la route. Petr, un pèlerin improbable venant de Prague. Une sorte de «juif errant», sans attache ni but précis à atteindre, un vagabond sans le sou mais riche de sa liberté. Echange de sagesse réciproque, comme il y en a toujours sur ce parcours, souligne le journaliste.
Ces «clins d’œil» donnés au marcheur par le chemin de Compostelle apparaissent à chaque page du livre. «Sur le trajet, l’on reçoit toujours, d’une manière ou d’une autre, de l’assistance quand on est en difficulté». Il prend pour preuve sa première nuit à Rorschach (SG), où tous les hôtels sont pleins, alors que le ciel déverse des trombes d’eau. Il croise une classe en sortie scolaire. L’enseignante lui signifie qu’il peut occuper une tente libre.
Un «grand continuum mythique»
Car le chemin de Compostelle n’est pas une route comme les autres, Emmanuel Tagnard pense qu’il est possible, si on l’aborde avec authenticité, de percevoir son «âme». «En l’empruntant, on se rattache à un grand inconscient collectif. On peut se connecter à toute cette énergie laissée par les milliers de pèlerins qui sont passés par là, avec leurs espoirs, leurs souffrances. C’est une force, si on la ressent, qui nous pousse à avancer».
Via Jacobi articule ainsi une évolution à travers l’histoire, passant d’une momie égyptienne «oubliée» dans la bibliothèque du monastère de Saint-Gall à la Genève internationale, épicentre de la mondialisation et de la modernité. «J’ai toujours ressenti cela sur la route de Compostelle, confie Emmanuel Tagnard: le sentiment d’appartenir à un grand continuum mythique».
Un parcours qu’il ne poursuivra cependant pas en 2020. Il a décidé, pour cet été de poser son sac à dos à l’Abbaye de Conques, dans l’Aveyron. Là, il accueillera les pèlerins de Compostelle. Après avoir glané les forces et les sagesses offertes par le Chemin, l’écrivain-journaliste a ressenti le besoin de «rendre ce qu’il m’a apporté». (cath.ch/rz)