L'altruisme est parfois plein de piquants | © Myriam Bettens
Suisse

L’altruisme, un héritage génétique qui s'entraîne

Pour l’éthicienne Christine Clavien, l’altruisme humain, au-delà de son aspect culturel, possède bien un socle biologique, évolutionnaire et transmissible génétiquement. Un élément constitutif de l’altruisme est l’empathie. A la fois innée et limitée. Cette base commune à tous les êtres vivants est également modulée par des facteurs culturels, éducationnels et personnels.

«L’être humain est limité dans sa capacité d’empathie et d’altruisme» explique Christine Clavien, Maître d’enseignement et de recherche à l’Institut Ethique Histoire Humanité de l’Université de Genève. Elle intervenait dans le cadre d’un cycle de conférences sur l’éthique, proposé par le Groupe genevois de philosophie à Uni-Mail, le 27 novembre 2017. Le ton est donné, la conférencière explique que l’altruisme, motivé par l’empathie est multifactoriel, mais aussi limité. De quoi faire douter de la bonté humaine. Et pourtant.

L’empathie, une faculté innée, mais aussi discriminatoire

Christine Clavien, Maître d’enseignement et de recherche à l’Institut Ethique Histoire Humanité de l’Université de Genève | © Myriam Bettens

Selon Christine Clavien, l’empathie est un mécanisme génétique qui se transmet de génération en génération. Les travaux du chercheur Daniel Batson, de l’Université du Tennessee, ont montré que le mécanisme d’empathie est automatique «lorsqu’on est capable de percevoir l’autre comme soi». Daniel Batson a démontré que l’empathie était proportionnelle au sentiment de ressemblance. «Le mécanisme d’empathie est discriminatoire. Il est dirigé vers les personnes qu’on aime et qui partagent nos valeurs» explique la conférencière. «Toutes les vies ne sont pas évaluées de façon égale. Il y a clairement une individualisation du mécanisme d’empathie». En effet, l’être humain sera plus altruiste et empathique envers un individu particulier auquel il peut s’identifier plutôt qu’envers un groupe. Christine Clavien avance même que l’empathie est inversement proportionnelle au nombre de personnes du groupe.

«Le fait d’être croyant n’influence pas le degré d’empathie»

Les croyants, sont-ils plus empathiques ?

Face à de telles limitations, on peut légitimement se demander la raison pour laquelle l’humain continue à être empathique et altruiste. Une des pistes aurait été de penser qu’un arrière-fond ou une éducation religieuse pourrait changer la donne. Apparemment pas. Pour la chercheuse «le fait d’être croyant n’influence pas le degré d’empathie ou d’altruisme». Au contraire, certaines études ont montré qu’il existait une sorte de thermostat moral chez l’individu. «Une bonne action rend fier et donnerait la quittance suffisante pour être plus laxiste moralement la fois suivante», explique-t-elle. Pourtant, même si l’altruisme universel n’existe pas, il continue à se transmettre à travers les générations et «ne peut évoluer que dans un contexte très particulier». C’est ce que l’on appelle le phénomène «barbe-verte» explique Christine Clavien. Cette théorie avance que l’individu possède des gènes qui le poussent à être altruiste envers des individus qui possèdent eux-même ce gêne. La sélection naturelle assure alors une survie de ce groupe d’individus par un échange de services durables.

Fratello 2016 Pèlerinage des personnes de la rue à Rome (Photo: fratello2016.org)

L’altruisme évolue selon le contexte

L’être humain possède des mécanismes psychologiques qui influencent ses décisions. Ces processus restent aussi très sensibles au contexte. «Lorsque l’humain vit dans un environnement dans lequel l’entraide est naturelle, le sentiment de sécurité qui en découle va favoriser un comportement altruiste», explique la conférencière. Le conformisme oriente aussi cette propension, les personnes d’un même groupe auront tendance à s’influencer mutuellement. «Le facteur de réputation est aussi très important», affirme Christine Clavien. L’image que l’être humain renvoie de lui-même compte.

«L’altruisme s’entraîne et se développe»

En outre «si les ressources sont limitées, les actes altruistes se délimitent d’eux-mêmes à un cercle très restreint, celui de la famille par exemple». L’état de guerre est ainsi très révélateur: l’altruisme dévoile souvent une double face. «D’un côté, nous trouvons des actions extrêmement altruistes envers sa propre communauté et, de l’autre, des actes atroces envers l’ennemi».

Pour Christine Clavien, chaque élément n’est, en définitive, qu’une explication causale partielle et n’éclaire qu’une part de la question de l’altruisme. «Même s’il n’existe pas de gène qui explique tout, l’altruisme s’entraîne et se développe» déclare la conférencière en souriant. D’ailleurs, l’avènement d’un monde altruiste n’est peut-être pas une utopie «puisqu’il a déjà eu lieu ! Nous connaissons tous des gens altruistes autour de nous». (cath.ch/myb/mp)

L'altruisme est parfois plein de piquants | © Myriam Bettens
5 décembre 2017 | 08:00
par Maurice Page
Temps de lecture : env. 3  min.
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