Le Père Adam Serafin s'est vu retirer sa mission canonique | kath.ch © Roger Wehrli
Suisse

L'affaire de Turgi révèle les tensions de l'Eglise alémanique

Le retrait de la mission canonique du Père Adam Serafin, par l’évêque de Bâle, Mgr Felix Gmür suscite une vive controverse dans la zone pastorale de Wasserfallen, dans le canton d’Argovie. Une majorité des paroissiens de Gebenstorf-Turgi veut garder son prêtre et s’oppose à la décision épiscopale.

Au-delà de son caractère spécifique, l’affaire de Turgi est révélatrice d’un certain fonctionnement de l’Eglise catholique en Suisse alémanique et des tensions qui y règnent.

Dans un décret du 26 octobre 2020, l’évêque Felix Gmür accuse le religieux d’origine polonaise, Adam Serafin (48 ans), d’un comportement qui a causé «de sérieux dommages et de la confusion pour la communauté ecclésiale». Il fait également état d’une «réticence de la part de nombreux fidèles à laquelle il ne sera probablement pas remédié de sitôt». En conséquence, il lui retire sa mission canonique comme prêtre associé de la zone pastorale de Wasserfallen.

Dès le 1er janvier 2021, le provincial de la province polonaise des Salvatoriens, en tant que «supérieur légitime du Père Adam, est responsable de sa résidence et de son entretien».  Ce qui signifie en clair que le diocèse de Bâle ne s’occupera pas de l’avenir du prêtre polonais. Le désaveu de l’évêque porterait aussi sur l’utilisation abusive de fonds.

Le Père Adam, fort du soutien d’une partie de ses paroissiens, conteste cette décision et a décidé de faire appel à la congrégation compétente du Vatican. L’affaire se complique du fait que dans certains cantons du diocèse de Bâle, les paroisses ont le droit d’élire leur prêtre dont elles sont l’employeur. L’évêque lui accorde de son côté la mission canonique qui lui permet d’exercer légitimement sa charge. Habituellement les choses se passent dans la concorde, et le plus souvent sans élection formelle, mais des conflits surviennent parfois. Une longue polémique avait ainsi secoué la paroisse de Röschenz (BL) dans les années 2000.

L’église du Christ-Roi à Turgi (AG) | © wikimedia commons Paebi CC-BY-SA-4.0)

Une nouvelle élection

Forte de son droit, la paroisse de Gebenstorf-Turgi a décidé d’organiser une nouvelle élection de son prêtre. Faute de pouvoir se réunir en assemblée, à cause des mesures sanitaires de lutte contre le covid-19, elle a organisé un vote par correspondance. Sur 156 votes valides, 92 voix sont allées au Père Adam, largement au-delà de la majorité absolue de 79 voix.

Pour le diocèse, ce vote est illégitime puisque le religieux polonais ne possède plus de ‘certificat d’éligibilité’. Il ne saurait donc être question de revenir sur le décret de Mgr Gmür. Pour les partisans du Père Adam, cette attitude, qualifiée de dictatoriale, est inacceptable.

L’Eglise cantonale soutient l’évêque contre la paroisse

La corporation ecclésiastique cantonale d’Argovie a également désavoué la paroisse. L’organisation d’une élection paroissiale sans consultation préalable de l’autorité épiscopale compétente sur les candidats possibles représente une violation flagrante de l’ordre ecclésiastique cantonal. Même si le droit des paroisses d’élire leur pasteur, contenu dans la constitution du canton d’Argovie, est bien sûr incontesté, a expliqué à kath.ch, Marcel Notter, secrétaire général de l’Eglise catholique romaine d’Argovie.

Les paroisses de Gebenstorf-Turgi et de Birmenstorf avaient engagé conjointement le Père Adam au 1er août 2017 comme ‘prêtre collaborateur avec des responsabilités paroissiales’. Il devait seconder le diacre Peter Daniels, responsable de la communauté (Gemeindeleiter).

Peter Daniels ayant démissionné de son poste à fin juin 2020, le Père Adam aurait dû faire de même, comme le prévoyait le contrat d’engagement. Une clause que des juristes jugent en contradiction avec le droit du travail. Dans la mission canonique octroyée, Mgr Gmür avait précisé aussi que le Père Adam ne pouvait pas exercer la charge de curé ou d’administrateur paroissial.

Désaccord avec ses confrères salavatoriens  

En désaccord avec l’évêque, le Père Adam l’est aussi avec la province suisse des religieux salvatoriens qui s’est désolidarisée de son confrère polonais. «Nous sommes désolés que vous ayez tant de problèmes avec notre confrère», a écrit à Mgr Gmür le provincial des Salvatoriens suisses, le Père Karl Meier. «Il ne nous met pas sous un bon éclairage.»

Le Père Adam Serafin est en Suisse depuis 1999. Il a étudié la pédagogie à Fribourg. Par la suite, il a été prêtre auxiliaire à Guin (FR) et à Cormondes (FR). «Il n’a pas fallu longtemps avant que les premières plaintes arrivent», dit le Père Karl. «Les curés, les vicaires épiscopaux et les catéchistes ont exprimé des doutes.» Néanmoins, le Père Adam avait aussi son «fan club».

L’école catholique de Zurich a ensuite engagé le prêtre polonais. Mais les choses se sont gâtées. Et en 2015, le Père Meier a rompu le contrat avec la province de Pologne. Depuis le Père Adam est à nouveau rattaché aux Salvatoriens polonais. Il est resté néanmoins en Suisse dont il a entre-temps acquis la nationalité.

Pour le Père Karl Meier, «tout son comportement, toute son attitude, toute son obstination n’ont rien à voir avec une vie religieuse et sacerdotale. Partout où il travaille, il polarise».

Un conflit de génération?

Cette opinion est vivement contestée par Daniel Ric (39 ans), jeune président de la paroisse de Gebenstorf-Turgi. Même s’il conteste le décret épiscopal, ce qui est son droit, le Père Adam s’y est soumis et n’assume plus de services sacerdotaux tels que la célébration de la messe depuis janvier, relève-t-il d’abord pour kath.ch.

Il connaît le Père Adam depuis qu’il a été son collègue à l’école catholique de Zurich. Pour lui, le religieux polonais n’a pas peur de s’approcher ouvertement de ceux qui connaissent peu la foi. Il s’intéresse également aux personnes en marge de la société. Il ne se gêne pas de parler de foi et ignore la ‘timidité’ missionnaire trop fréquente chez les prêtres ou les pasteurs.

«Lorsqu’un prêtre arrive dans une paroisse, il y a un grand nombre de paroissiens qui ont dominé la vie de la paroisse pendant des décennies. Faites-vous confiance à ces fidèles ou aux idées de la jeune génération? Le Père Adam a choisi cette dernière, ce qui lui a valu le mécontentement du groupe précédemment dominant», analyse Daniel Ric.

Tensions avec le diacre responsable de communauté

Il révèle aussi les tensions avec le diacre Peter Daniels, responsable de la paroisse, liées notamment au fait que Daniels ne soit pas un théologien diplômé. Le prêtre polonais s’est ainsi opposé à ce que le diacre prononce l’homélie lorsque qu’il célébrait la messe. Il a tenu en outre à ce que la messe du dimanche ne soit pas remplacée par une célébration de la Parole.

La prédication par des laïcs et la célébration eucharistique dominicale sont souvent sources de tensions dans un diocèse où les théologiens laïcs ont reçu de nombreuses responsabilités dans la conduite des communautés. La concurrence avec les prêtres, dont certains s’estiment ainsi dépouillés d’une part de leur ministère, s’en trouve régulièrement exacerbée.  

Daniel Ric relève aussi que tous les grands événements qui ont enrichi la vie paroissiale au cours des trois dernières années ont eu lieu à la demande des fidèles: messes des familles suivies d’un repas, soirées télévisées, messes avec un accompagnement musical spécial, Noël dans la forêt, cafés théologiques, diffusion de messes en streaming lors la pandémie, etc.

Il y a de très bonnes personnes parmi les critiques du Père Adam, admet Daniel Ric. Mais ce sont des gens qui ont défini la vie paroissiale depuis très longtemps. Il serait bon de tirer les leçons des erreurs du passé. Les dernières décennies n’ont pas été fructueuses. Pas seulement ici, mais dans tout le diocèse.

Daniel Ric est le jeune président de paroisse de Gebenstorf-Turgi (AG) | © kath.ch Roger Wehrli

«Mgr Gmür agit comme un fonctionnaire d’Eglise»

Les critiques du président de paroisse visent aussi directement Mgr Felix Gmür. Depuis dix ans qu’il est évêque de Bâle, il n’est jamais venu à Gebenstorf et à Turgi. «Il n’a pas parlé une seule fois avec le Père Adam. Pour moi, il fait partie des fonctionnaires de l’Eglise qui veulent administrer la foi.»

Daniel Ric livre aussi son analyse plus globale de la situation de l’Eglise en Suisse alémanique. A la question du rôle polarisant du Père Adam, il répond: «Le christianisme a-t-il jamais réussi à polariser depuis 2000 ans? Cette gestion d’une Eglise en Suisse, qui ne cesse de rétrécir et de mourir, ne s’est pas avérée être la meilleure recette pour réussir. Elle a besoin de prêtres et de laïcs qui soutiennent l’Evangile et qui, par conséquent, polarisent également.» «On peut détester le Père Adam ou l’aimer. Mais il est diplômé en théologie, il n’a commis aucun crime, et il n’a jamais été coupable de quoi que ce soit dans le domaine de la jeunesse ou des enfants», s’agace-t-il.

Au-delà des personnes, l’Eglise en Suisse est interpellée

Le président de paroisse se dit satisfait que la discussion atteigne une dimension où les gens se rendent compte qu’il ne s’agit pas tant de personnes que de problèmes généraux. Selon lui, des prêtres et des fidèles de tout le diocèse signalent des problèmes similaires. Récemment, une lettre de lecteur est parue dans les médias, relevant le caractère «raciste» de Mgr Gmür qui continue de refuser des prêtres étrangers qui sont pourtant populaires.

Pour Daniel Ric, le diocèse et la corporation ecclésiastique cantonale ne veulent pas que l’affaire soit rapportée, parce que cela conduirait inévitablement à des questions liées à la structure du diocèse et à la politique du personnel de l’évêché. «Quels sont les critères utilisés par l’évêque pour sélectionner ses prêtres, diacres et agents pastoraux?»

Nous avons besoin d’un nouveau départ dans tout le diocèse. Nous sommes loin d’une Eglise pauvre pour les pauvres, comme le veut le pape François», conclut-il. (cath.ch/kath.ch/mp)

Le Père Adam Serafin s'est vu retirer sa mission canonique | kath.ch © Roger Wehrli
28 janvier 2021 | 16:07
par Maurice Page
Temps de lecture : env. 7  min.
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