L’abbé Jacques Rime tisse le fil de l’eau
Avec son dernier livre Pays des Trois-Lacs, trente excursions au bord de l’eau, Jacques Rime, curé de Grolley, Courtion et Belfaux, présente une série de balades instructives et contemplatives. Le prêtre-historien-découvreur propose ses réflexions et méditations sur l’eau, dans ce qui est bien plus qu’un guide touristique.
Du Vully, à l’Aar, en passant par le Seeland, Yverdon et Neuchâtel, Jacques Rime, son appareil photo à la main, a longé les lacs sérénissimes, les rivières sauvages et les marécages mystérieux, diverses expressions de l’eau qui ont profondément impressionné le prêtre. Il a aussi rencontré maints lieux empreints d’une histoire oubliée porteuse d’immémoriales leçons. Autant de découvertes et de pensées rassemblées dans Pays des Trois-Lacs, illustré de photographies prises par l’auteur lui-même, sorti en septembre 2021 aux Editions Cabédita (Bière). Jacques Rime plonge dans les profondeurs du projet et les sources de sa réflexion.
Votre livre ressemble plus à un guide touristique qu’à un ouvrage spirituel. Comment, en tant que prêtre, avez-vous senti le besoin de proposer des itinéraires de balades?
Jacques Rime: L’idée du livre m’est venue pendant le confinement. J’ai profité de cette période pour aller me balader dans le Pays des Trois-Lacs, une région très belle que je connaissais déjà un peu, mais où je savais qu’il y avait encore beaucoup à découvrir. Ecrire un livre sur ce sujet pouvait rencontrer son public. Le temps du covid a du reste montré l’intérêt des Suisses pour les promenades dans la nature.
Vous voulez dire que l’objectif était commercial?
Evidemment non. Mon but premier était de joindre l’utile et l’agréable, de conjuguer plaisir de la randonnée, recherches et publication. Je voulais d’abord faire une réflexion sur l’eau au fil des différentes balades. L’idée de guide est venue après-coup. Le guide c’est le canevas, qui permet de placer des réflexions philosophiques et spirituelles, de citer des auteurs, d’amener le lecteur à s’interroger…
Vous évitez d’être trop théologique…
C’est un parti pris, discuté aussi avec l’éditeur Cabédita, de garder un aspect plutôt profane, afin de toucher un large public. Nous voulions que le livre ne soit pas trop marqué «religieux». Les références sont le plus souvent spirituelles et philosophiques au sens large.
Si l’ouvrage permet aux lecteurs de réfléchir, c’est déjà bien, s’il l’amène à méditer, c’est encore mieux. Et je serais bien sûr heureux qu’il puisse aider quelqu’un à se rapprocher de Dieu.
De quelle manière amenez-vous le lecteur à s’interroger?
Principalement par les réflexions sur l’eau. Cet élément a une symbolique très riche. L’eau renvoie à d’innombrables choses, surtout positives, mais pas seulement. Elle donne la vie, on ne peut pas subsister sans elle. Elle signifie différentes choses selon ses différentes expressions. La source, c’est la vie qui jaillit, qui donne en abondance. Avec le lac, il y a une idée de profondeur, de mystère qui renvoie à l’infini. Il symbolise aussi la plongée dans les souvenirs, dans les couches anciennes de l’histoire, ainsi que dans son propre passé.
La rivière, c’est la force, la vigueur, le flux constant de la vie. Quand vous vous placez sur le pont de Walperswil, un ouvrage au-dessus de l’Aar, dans la région du Seeland, vous ne pouvez que ressentir cette impression de puissance, qui est aussi générosité.
Mais l’eau peut avoir une symbolique négative.
Elle est également destructrice, symbole de mort. Elle l’était fréquemment dans la région des Trois-Lacs avant la correction des eaux du Jura. Le niveau pouvait monter très haut et il y avait de nombreuses victimes dans la population et le bétail. Les inondations ravageaient les récoltes, ce qui mettait les paysans en danger de famine.
Cela nous rappelle aussi que l’homme, même avec ses moyens techniques actuels, ne maîtrise pas totalement les éléments. L’eau nous remet à notre place dans l’univers, nous force à l’humilité.
Et il y avait aussi à l’époque des problèmes liés au paludisme…
Effectivement. Avant la correction des eaux du Jura, le flux des rivières venait s’étaler entre les trois lacs, créant une large zone humide où proliféraient les moustiques. Aujourd’hui, beaucoup de ces zones marécageuses ont disparu, mais il en reste encore à visiter dans la région.
Ces zones humides revêtent-elles aussi une symbolique?
Certainement. Pour cette eau stagnante, la symbolique est particulièrement ambivalente: pour nous elle est porteuse de beaucoup de vie, mais jadis la symbolique de mort dominait. Outre les moustiques, l’on peut s’y ensevelir et disparaître corps et bien. Les marais impressionnaient les anciens qui y voyaient un lieu limite, une zone de communication avec l’Au-delà, parfois la porte des Enfers.
Mais votre livre aspire plutôt à montrer la porte du paradis…
J’y mets surtout en avant la symbolique du lac, support de la sérénité, miroir, qui nous pousse à nous contempler nous-mêmes et à contempler le monde. Il s’en dégage une paix intérieure incomparable. Rousseau, qui venait à l’île Saint-Pierre, a parlé d’un lieu où l’on pouvait «s’enivrer du charme de la nature». Il a décrit son séjour sur l’île du lac de Bienne comme l’un des épisodes les plus heureux de son existence.
L’eau porte ainsi cette symbolique mémorielle. Un aspect qui se retrouve dans votre passion pour l’histoire.
C’est vrai. En tant qu’historien, je n’ai pas manqué de placer dans mon livre de nombreuses références aux légendes, aux traditions, ainsi que des anecdotes historiques.
En quoi est-ce important pour vous?
Cette passion de l’histoire m’accompagne depuis l’enfance. C’est notamment un héritage familial. Mais au-delà, il m’est toujours apparu que la connaissance du passé permet de prendre du recul sur le présent, de relativiser. Par exemple, on a l’impression aujourd’hui que tout va mal dans l’Eglise. Mais les historiens savent qu’il y a toujours eu des hauts et des bas dans la vie de l’Eglise.
C’est la même chose avec le Covid. Lorsqu’on se rappelle les ravages de la peste, au Moyen Age, cela donne une autre perspective sur la situation actuelle.
Le thème de la beauté, notamment de la nature, apparaît aussi fréquemment dans Pays des Trois-Lacs…
Cela est évidemment lié à ma passion pour la balade, qui me vient aussi de mon enfance. Je suis né en Gruyère, et nous allions souvent nous promener en famille dans les Préalpes. La nature m’a toujours intéressé. A l’école primaire, j’avais édité un petit journal qui s’appelait, sauf erreur, «Les Amis de la nature».
J’ai également lu avec beaucoup d’enthousiasme Laudato si’, en me réjouissant que le pape François thématise la nécessité de protéger notre Maison commune.
La foi, la culture et la nature semblent être trois aspects particulièrement importants pour vous. Comment les reliez-vous entre eux ?
Je pense que l’on ne peut pas vivre la foi sans un support culturel, qu’il s’agit de bien connaître. L’ignorance actuelle de la culture et de l’histoire religieuses m’inquiètent ainsi un peu. Mais si la dimension spirituelle de la culture est importante, la dimension profane l’est aussi. En ce qu’elle permet de questionner la religion et la foi, et de les faire avancer.
La foi doit aussi intégrer la nature dans sa réflexion, sinon on risque de faire de la religion une réalité purement intérieure et, à la limite, anthropocentrique. De son côté, la culture n’est pas à opposer à la nature, comme si l’homme se réalisait sans la référence à son milieu.
Il y a donc une relation triangulaire entre ces trois éléments, la foi, la culture et la nature. Un des liens forts qui la révèle est la dimension esthétique. Pour moi, une partie de la culture qui me touche particulièrement est le patrimoine architectural, surtout religieux, et il est des spectacles naturels que j’aimerais pouvoir conserver en moi. Autant les magnifiques cathédrales que les lacs resplendissant sous le soleil me font voir la beauté, qui est une voie de prédilection vers Dieu. (cath.ch/rz)
Jacques Rime est né en Gruyère. Il étudie à Fribourg et à Rome, avant d’être ordonné prêtre en 1997. Docteur en théologie et titulaire d’une habilitation en histoire de l’Eglise, il est curé de Belfaux, Courtion et Grolley (FR). Après Lieux de pèlerinage en Suisse (Editions Cabédita, 2011), il a publié chez le même éditeur plusieurs autres ouvrages liant nature, culture et foi. RZ